LES QUAT'Z'ARTS
Paroles | Georges Brassens | |
Musique | Georges Brassens | |
Interprète | Georges Brassens | |
Année | 1964 |
Une chanson qui marque un basculement dans la façon dont Brassens parle de la mort, un basculement sensible dans la progression même du récit : le canteur croit d'abord assister à une joyeuse parodie d'enterrement organisée par des étudiants amateurs de chansons paillardes (ex.Non, non, non, saint Eloi n'est pas mort ; Le curé de Camaret), avant de s'apercevoir que la cérémonie n'a rien de factice et qu'il est même "le plus proche parent du défunt", allusion sans équivoque au récent décès de la mère de l'auteur (1962). Le temps qui passe a fini par rattraper celui qui se moquait volontiers de la mort (ex.Grand-père ; Les funérailles d'antan), et le dernier vers de la chanson n'a plus qu'à en tirer les conséquences qui s'imposent : "Viens, pépère, on va se ranger des corbillards."
LES ENFANTS QUI CHAPARDENT DES CRÂNES TERREUX
(Georges Brassens ; 1941)
Et si un enfant te réclame, pour y appliquer son oreille,
ce gros coquillage difforme que sera mon crâne,
donne-le lui (Charles Vildrac)
Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Dans le charnier des cimetières de province
Ne pourront plus jamais dire qu'on les évince
Du langage des dieux.
Bien loin d'agir à la légère,
Comme affirment les faux témoins,
Les effrontés folliculaires,
Ils apportent beaucoup de soin
À la mise au point
De l'affaire
Les enfants qui chapardent des crânes terreux.
Au fond de leur grenier poudreux
Dont ils ont voilé la lucarne
(Pour barrer le passage aux indiscrets),
Sans la moindre plainte ils s'acharnent
Sur des monceaux de documents secrets
Et font tant d'orgies
De bougies
Que le marchand de cire en est
Tout étonné.
Un beau matin leur stratège se lève et, grave,
Leur dit : « Mes braves
L'heure a sonné. »
Vêtus de macfarlanes amples
(Caches habituelles du butin),
Ils se mettent en marche, insignes paladins.
Et si, par hasard, l'un d'eux tremble,
Ce n'est pas d'effroi
Mais de froid,
Tel ce guillotiné dont la littérature
Leur conta la mésaventure.
Ils arborent avec orgueil
À l'endroit de la boutonnière
Un petit morceau de cercueil,
Fruit d'une croisade dernière.
Merveilleusement sûrs
De bien mener leur barque,
Ils mettent le cap sur
L'océan de la Parque.
Au reste dans le port
Déjà hors
De portée,
Ils se savent des sœurs, parfois des fiancées,
Qui, pour leur éviter le pire,
Prient
Pour eux.
Se plonger dans le trou pullulant d'araignées,
N'en déplaise aux crâneurs c'est assez dangereux.
Et, plus qu'on ne suppose, ils ont l'âme soignée
Les enfants qui chapardent des crânes terreux.
En voulez-vous des têtes de mort : une, deux,
Trois, quatre, dix, vingt, cent, bien faites ou mal faites ?
Nom d'une pipe ! en voulez-vous des têtes ?
Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Dans le charnier des cimetières de province
Connaissent la fontaine isolée où l'on rince
Les macabres larcins à l'abri des curieux.
Voici les filles à qui par cent détours
On révèle les arcanes de l'ossuaire ;
À qui l'on offre des petits bouts de suaire
En gage d'immortel amour ;
À qui l'on murmure : « Je t'aime »
En effeuillant le chrysanthème.
Et voilà les capitulards, on les houspille ;
Au large, au large, au large, éloignez-vous peureux !
Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Ne les échangent pas contre des sacs de billes.
Le temps passe. L'enfance meurt dans la mansarde,
Au cœur d'un bric-à-brac attachant et affreux,
Trône le dieu déchu, le vieux crâne terreux
Qui s'escrime à serrer les dents sur sa bouffarde.
Le temps passe. Avec son sourire et son trousseau,
Il vient une petite femme qui se pique
De bon ordre. Une tyrannette. Le fléau
De tout ce qui franchit les horizons pratiques,
Un jour, n'y tenant plus, elle grimpe là-haut
Et fait en sorte que le vieux crâne épique
Se casse un reliquat de nez dans le ruisseau
Et donne chair de poule à quelque chemineau.