LES QUATRE BACHELIERS
Paroles | Georges Brassens | |
Musique | Georges Brassens | |
Interprète | Georges Brassens | |
Année | 1966 |
Une évocation très enjolivée ("Pour offrir aux filles des fleurs / (...) / Nous nous fîmes un peu voleurs") de l’affaire de vol dans laquelle Brassens fut impliqué dans son adolescence, la chanson reprenant pour finir le message évangélique sur lequel se terminait déjà L'assassinat.
QUATRE BACHELIERS
(Georges Brassens ; Louis-Jean Calvet ; 1991 ; Editions Lieu commun)
Mais, s'il est tombé en admiration devant la poésie, le jeune Brassens n'en est pas pour autant un élève modèle. Au cours de l'année scolaire 1932-1933, en septième A, il avait obtenu un cinquième accessit d'orthographe et un troisième accessit de sciences. Son ami Henri Colpi, lui, obtenait un premier prix dans toutes les matières... Les choses, depuis, n'étaient pas allées en s'améliorant : Georges brille surtout en gymnastique et... en humour, mais il n'y a pas de prix d'humour, ou de dérision, dans le système scolaire français. Le père laisse faire : après tout, solide comme il est, son fils ferait un bon maçon, et nul besoin pour être maçon de collectionner les lauriers. Le « Vieil Ours » verrait volontiers le prénom Georges remplacer le sien sur le papier à lettres de la maison : « Louis Brassens, entrepreneur de maçonnerie et de plâtrerie,, travaux de ciment armé, réparation d'immeubles. » Mais la mère, elle, « l'Italienne », voit la situation d'un autre œil : elle aimerait bien que son petit Jo devienne médecin, avocat, à la rigueur fonctionnaire. Et la cérémonie cyclique de signature du bulletin scolaire est chaque fois un drame, au point que Simone, la sœur, compatissante, prend l'habitude de guetter chaque mois dans la boîte aux lettres le malheureux bulletin et de le signer en imitant la signature d'Elvira...
En fait, toute la bande rêve d'un autre destin. Marcel, un cousin de Simone, a donné à Georges un vieux banjo sur lequel il s'essaie maladroitement à accompagner quelques chansons. Delpont s'imagine acteur, Laville dessine : ils se sentent un peu à l'étroit dans cet univers provincial et pensent déjà à de plus vastes horizons, à un avenir qui ne peut passer que par la Ville lumière : Paris. Et, pour entamer leur carrière artistique, ils créent un petit orchestre : Miramont dit « le Tube » (il deviendra plus tard « Corne d'Aurochs ») joue de la trompette, Brassens du banjo, Delpont chante : il paraîtrait même, mais l'information est invérifiable, qu'ils se produisirent une fois au casino de Sète...
Mais, malgré les liens étroits et les projets artistiques qui l'unissaient à ses copains Laville, Miramont, Colpi ou Delpont, Brassens aura, au cours de l'année 1939, quelques activités extérieures dont les autres ne sauront d'abord rien. Un jour, le principal du collège convoque quelques élèves : Robert Bayle, Louis Bestiou, Robert Virillon, Georges Brassens... On chuchote dans les couloirs, on parle de cambriolages, de convocation au commissariat. Ce qui est sûr, c'est que Georges disparaît, enfermé chez lui par ses parents, dit-on. Les rumeurs, bien sûr, s'amplifient. Et puis, à la fin juillet de cette année 1939, la vérité éclate. Un titre du journal L'Eclair annonce : « Au tribunal correctionnel. - Une bande de mauvais garnements sétois avait commis quatorze cambriolages. » En fait, il s'agir de peccadilles, vol d'un billet de cent francs d'abord, puis 2100 francs dérobés à la grand-mère de Bayle : nous sommes début février 1939 et Brassens n'est pas encore dans le coup. Il n'arrive qu'à la mi-mars et participe cette fois à un vrai cambriolage : des bijoux que l'on vole à une certaine Marie Barthez pour les revendre à une receleuse, Catherine Bouillon. Puis, jusqu'au mois de mai, il participe à une dizaine de casses et, pour faire bonne mesure, dérobe aussi chez lui des bijoux de famille. Les sommes illicites ainsi obtenues leur permettent de « faire les jeunes gens », d'aller au cinéma, au bistrot, d'inviter des filles, de faire des balades jusqu'à Palavas-les-Flots ou Montpellier. Mais un jour, raconte Désiré Scopel (qui, lui, est pensionnaire et n'appartient donc pas à la bande), Marie Barthez reconnaîtra dans la vitrine de Catherine Bouillon une bague qu'on lui avait volée... Bref, tout cela finira par un piège que tend la police aux jeunes cambrioleurs puis, en juin, devant le tribunal de Montpellier où Brassens est condamné à quinze jours de prison avec sursis. Mais il se souviendra surtout du soir de mai où son père vient le chercher au commissariat de police. Pas un mot de reproche, pas une insulte. La scène sera plus tard reconstituée dans une chanson, Les Quatre Bacheliers :
Dans le silence on l'entendit,
Sans vergogne,
Qui lui disait : Bonjour petit,
Bonjour petit.
On le vit, on le croirait pas,
Sans vergogne,
Lui tendre sa blague à tabac,
Blague à tabac.
Certains témoins prétendent que, plus prosaïquement, Louis Brassens demanda à son fils s'il avait faim et lui tendit un sandwich. Mais sandwich ou tabac, qu'importe : l'accueil du père est compréhensif, et cette mansuétude marquera Brassens pour la vie. Le père ramène donc Georges à la maison où la mère, en revanche, est désespérée par son rejeton, par la honte aussi qui ne va pas manquer de s'abattre sur la famille. Pendant l'été, l'héritier Brassens ne se montrera guère sur la plage où il a l'habitude de rejoindre ses copains. Il écrit, gratte sur son vieux banjo, cherche des rythmes, des mélodies. En octobre 1939, on ne le verra pas non plus au lycée où ses copains entrent en seconde. Et ses parents, qui le cachent pour l'enlever à la vindicte publique qu'ils imaginent, décident enfin de l'envoyer à Paris. La capitale ! Ce voyage ne sera pas pour lui une première : il y a déjà, à sept ans, effectué un premier voyage avec sa sœur Simone, puis il y est retourné en 1937 avec son père, pour visiter l'Exposition universelle. Dans les deux cas, il a logé chez la tante Antoinette, celle qui va, une fois encore, l'accueillir. Mais les choses sont cette fois très différentes : non plus voyage d'agrément, mais départ qu'il peut imaginer sans retour.
Georges prend donc congé des copains, un peu triste, mais tous l'envient de partir. Henry Delpont, qui ne fréquente guère le collège, lit surtout Ciné-monde et connaît tout de la vie des vedettes de cinéma, rêve d'être acteur. Il est d'ailleurs sûr qu'on n'attend que lui aux studios de Joinville et il brûle de « monter » vers la capitale... Bestiou, de trois ans plus âgé et qui a, lui aussi, de bonnes raisons de vouloir quitter Sète puisqu'il était compromis dans cette série de cambriolages, jure qu'il ne tardera pas à le suivre. Victor Laville, pour sa part, voudrait être dessinateur et n'imagine pas son avenir ailleurs qu'à Paris. Le départ de Georges est donc considéré comme une mission exploratoire : les amis, c'est sûr, le rejoindront bientôt. Une période s'achève, une page se tourne.
Cinq ans auparavant, en juin 1935, tous les élèves du collège de Sète étaient réunis pour écouter la gloire locale, Paul Valéry, prononcer le traditionnel discours de remise des prix. Au palmarès, Maurice Clavel, en classe terminale, ramassait tous les prix, du thème latin aux mathématiques. Honoré Gévaudan, en classe de seconde, ramassait lui aussi quelques lauriers. Henri Colpi était le bon élève de la classe de quatrième, où Georges Brassens, pour sa part, ne brillait guère, pas plus que Pierre-Jean Vaillard ou Raymond Castans. Brassens, en route pour Paris, ne sait pas, bien sûr, qu'il va y devenir célèbre, et qu'il ne sera pas le seul Sétois dans ce cas. Après Paul Valéry, après Jean Vilar, ils seront plusieurs de sa génération à atteindre la notoriété dans la capitale. Pierre-Jean Villard deviendra le fantaisiste que l'on sait, et que Brassens retrouvera dix ans plus tard aux Trois Baudets, Maurice Clavel sera le philosophe, l'écrivain, le journaliste que l'affaire Ben Barka arrachera dans les années 1960 au gaullisme pour le plonger du côté des soixante-huitards. Henri Colpi deviendra la cinéaste rendu célèbre par Une aussi longue absence et pour lequel Brassens interprétera un jour la chanson d'un film, Heureux qui comme Ulysse, Raymond Castans sera journaliste à Paris Match et à RTL, Honoré Gévaudan commissaire de police, plus tard premier flic de France et tombeur de Mesrine. Par la suite, certains d'entre eux se retrouvèrent régulièrement pour des « dîners de Sétois » chez le cuisinier Pierre Vedel... Tous sont pour l'instant de parfaits inconnus, qui quittent leur ville natale à peu près à la même époque, dans la fumée d'une locomotive à vapeur, les poches vides mais la tête pleine de rêves. « A nous deux, Paris », en quelque sorte...