LES PATRIOTES
Paroles | Georges Brassens | |
Musique | Georges Brassens | |
Interprète | Georges Brassens | |
Année | 1976 |
Huit quatrains à la forme originale (un alexandrin puis trois vers de quatorze syllabes, tous écrits sur le même canevas) pour le dernier assaut de Brassens contre le nationalisme et le militarisme, un dernier assaut où l’ironie atteint des sommets d’absurdité : "Quant à nos trépassés, s'ils ont tous l'âme en peine / C'est pas d'être hors d'état de mourir d'amour, cré nom de nom, / Mais de ne plus pouvoir se faire occire à la prochaine. / Au monument aux morts, chacun rêve d'avoir son nom."
LES GUEULES CASSÉES
(Les Collections de L'Histoire n°21 ; Sophie Delaporte ; octobre-décembre 2003)
Au sortir de la conflagration de 1914-1918, l'un des signes les plus spectaculaires de la guerre fut la présence de faces terrifiantes, partie intégrante d'un "paysage" dévasté par le conflit. La Grande Guerre a en effet laissé entre 10 000 et 15 000 combattants défigurés. La nouveauté du phénomène résidait moins dans le type de blessure que dans sa fréquence et sa gravité, causées par un armement beaucoup plus destructeur qu'auparavant. Ces fameuses "gueules cassées" constituent sans nul doute l'un des pires héritages de la Première Guerre Mondiale. La présence emblématique, en juin 1919, lors de la signature du traité de Versailles, de cinq d'entre eux, près de la table où était déposé le texte du traité, demeure, à ce titre, hautement symbolique.
Pour ces hommes jeunes, toute réinsertion au sein de la société de l'après-guerre s'annonçait difficile : ils avaient perdu, sur le champ de bataille, une part de leur identité. Aux épreuves morales s'ajoutaient de dramatiques difficultés matérielles. Aussi, à l'initiative de deux anciens de la Vè division du Val-de-Grâce, appelée le "service des baveux" (car beaucoup n'avaient plus de lèvres ni de mâchoire pour retenir leur salive), fut fondée, en 1921, l'Union des blessés de la face. Placée sous la présidence du colonel Picot, lui-même grand blessé de la face soigné au Val-de-Grâce, elle fut la première association spécialisée en fonction de la nature de la blessure.
La précocité de cette création témoigne de la profonde détresse dans laquelle se trouvaient les mutilés du visage. Se posait notamment, de manière cruciale, le problème de leur réinsertion professionnelle. Comme le reconnaît, avec une douloureuse franchise, un défiguré dans leur bulletin, s'il "existe des difficultés de placement pour tous les blessés, il n'en est pas qui dépassent celles rencontrées par les gueules cassées. Au degré d'incapacité fonctionnelle vient s'ajouter la nature même de nos blessures qui constitue à proprement parler l'Horreur. Et nous comprenons l'hésitation des employeurs empressés de mettre à la disposition de leur clientèle oublieuse des employés au sourire correct".
De plus, les difficultés économiques des années 1920 n'ont guère favorisé l'embauche des mutilés. Si des emplois ont été réservés aux anciens combattants, les "gueules cassées" ne purent pas toujours y accéder, ce qui contribua à les marginaliser un peu plus. En outre, quatre années d'une bataille acharnée furent nécessaires pour qu'enfin soient pleinement reconnus, en 1925, le préjudice spécifique à la défiguration et le droit à la réparation.
Restait à réaliser l'un des vœux les plus chers aux blessés de la face : l'acquisition d'une "maison" capable de les accueillir. Le financement du projet se fit par le biais d'une large souscription ouverte dès 1925. Deux ans plus tard, l'établissement, situé dans le château de Moussy-le-Vieux, était inauguré par le président de la République, Gaston Doumergue. Il était conçu pour recevoir ceux dont les capacités de travail étaient trop diminuées, ainsi que les défigurés en période de convalescence. Un tel projet signifiait finalement la résignation à une certaine forme de marginalité sociale et le renoncement à affronter le regard des autres.