LES PASSANTES
Paroles | Antoine Pol | |
Musique | Georges Brassens | |
Interprète | Georges Brassens | |
Année | 1972 |
Seul poème mis en chanson par Brassens dans le treizième 33 tours (Fernande), et dernier des seize qui figurent dans les quatorze albums parus de son vivant, Les passantes (dont l'adaptation ne conserve que sept des neuf sizains écrits par Antoine Pol) succède sur ce disque à Quatre-vingt-quinze pour cent dans un contraste saisissant. La chanson fait d'ailleurs figure d'exception dans un univers très viril : obnubilé d'ordinaire par les beautés faciles et voluptueuses, Brassens songe ici à des femmes à "la svelte silhouette" et "Dont les yeux, charmant paysage, / Font paraître court le chemin" ; si paillard et si prompt à s'en amuser, le voilà aussi qui cède à des rêves platoniques dont il ne pense pas à sourire et qu'il accentue au contraire par une contrebasse dont "la mélancolie" renvoie à tous ces "fantômes du souvenir" qui peuplent la "solitude" du vieillard qui "a manqué sa vie".
LES PASSANTES
(Émotions poétiques ; Antoine Pol ; 1918)
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu’on aime
Pendant quelques instants secrets.
A celles qu’on connaît à peine
Qu’un destin différent entraîne
Et qu’on ne retrouve jamais.
A celle qu’on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s’évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu’on en demeure épanoui.
A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin.
Qu’on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu’on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main.
A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n’est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal.
A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d’un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D’un avenir désespérant.
A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil.
A celles qui s’en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d’un stupide orgueil.
Chères images aperçues
Espérances d’un jour déçues
Vous serez dans l’oubli demain.
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu’on se souvienne
Des épisodes du chemin.
Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
A tous ces bonheurs entrevus,
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre,
Aux cœurs qui doivent nous attendre,
Aux yeux qu’on n’a jamais revus.
Alors, aux soirs de lassitude,
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir,
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir.