LA PRIÈRE

Paroles Francis Jammes
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1953 (inédit 1954)

Le seul poème de Francis Jammes que Brassens a mis en chanson a d'abord été créé sur scène puis enregistré par Patachou (cf. Brave Margot), avant que Brassens ne le reprenne à son compte sur son deuxième 33 tours (Le vent). La chanson procède à des coupes très importantes dans le poème, ne conservant que cinq des dix-huit strophes d'origine. Au-delà du choix étonnant d'adapter un poète qui fonde son inspiration sur sa foi chrétienne (un choix qui donne du grain à moudre aux exégètes qui voient en Brassens un chrétien qui s'ignore), La prière est surtout un hommage, dans la lignée du Petit cheval et du Fossoyeur, aux anonymes oubliés de l'Histoire et victimes de toutes les misères et de toutes les injustices du monde, les animaux n'étant pas oubliés dans cette liste. Tous sont présentés par une anaphore réduite à un seul mot ("Par"), à laquelle répond le leitmotiv "Je vous salue, Marie".

ROSAIRE
(Clairières dans le ciel ; Francis Jammes ; 1906)

L’adolescente fait murmurer sa fenêtre
Qu’elle ouvre à son réveil en s’épanouissant.
Fleur de camélia, sa joue est rougissante.
L’enfant reçoit l’air vif, referme, et va se mettre
A genoux. Et sa bouche, ainsi que deux pétales
Par l’aube détachée d’une rose Bengale,
Effeuille avec ferveur, vers la nacre des cieux,
De son chapelet blanc les Mystères joyeux :

 

LES MYSTÈRES JOYEUX

Annonciation

Par l’arc-en-ciel sur l’averse des roses blanches,
Par le jeune frisson qui court de branche en branche,
Et qui a fait fleurir la tige de Jessé ;
Par les Annonciations riant dans les rosées,
Et par les cils baissés des graves fiancées :
Je vous salue, Marie.

Visitation

Par l’exaltation de votre humilité
Et par la joie du cœur des humbles visités,
Par le Magnificat qu’entonnent mille nids,
Par les lys de vos bras vers le saint-esprit
Et par Elisabeth, treille où frémit un fruit :
Je vous salue, Marie.

Nativité

Par l’âne et par le bœuf, par l’ombre et par la paille,
Par la pauvresse à qui l’on dit qu’elle s’en aille,
Par les nativités qui n’eurent sur leurs tombes
Que les bouquets de givre aux plumes de colombes ;
Par la vertu qui lutte et celle qui succombe :
Je vous salue, Marie.

Purification

Par votre modestie offrant des tourterelles,
Par le vieux Siméon pleurant devant l’autel,
Par la prophétesse Anne et par votre mère Anne,
Par l’obscur charpentier qui, courbé sur sa canne,
Suivait avec douceur les petits pas de l’âne :
Je vous salue, Marie.

Invention de Notre Seigneur au Temple

Par la mère apprenant que son fils est guéri,
Par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid,
Par l’herbe qui a soif, et recueille l’ondée ;
Par le baiser perdu, par l’amour redonné,
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie :
Je vous salue, Marie.

 

Ainsi que Crusoë dans son île déserte,
Le poète guette, à l’amère solitude,
Quelle voile apportera la béatitude
A son exil. La mer, comme une porte ouverte,
Semble donner l’espoir qu’apparaîtra soudain
Le bateau qui rira à l’horizon d’étain.
Et la fièvre prend le poète sur la grève.
Il croit voir cette voile. Il n’y a pourtant rien
Que le toujours pareil si accablant du rêve.
Le poète agonise. Il a soif, il a faim.
Sa passion lui tend du fiel et du vinaigre.
Et les seuls fruits offerts au naufragé par Dieu,
Ce sont les fruits des cinq Mystères douloureux :

 

LES MYSTÈRES DOULOUREUX

Agonie

Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s’amusent au parterre,
Et par l’oiseau blessé, qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s’ensanglante et descend ;
Par la soif et la faim et le délire ardent :
Je vous salue, Marie.

Flagellation

Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre,
Par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre,
Par l’humiliation de l’innocent châtié ;
Par la vierge vendue qu’on a déshabillée,
Par le fils dont la mère a été insultée :
Je vous salue, Marie.

Couronnement d’épines

Par le mendiant qui n’eut jamais d’autre couronne
Que le vol des frelons, amis des vergers jaunes ;
Et d’autre sceptre qu’un bâton contre les chiens ;
Par le poète dont saigne le front qui est ceint
Des ronces des désirs que jamais il n’atteint :
Je vous salue, Marie.

Portement de croix

Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
S’écrie : « Mon Dieu ! ». Par le malheureux dont les bras
Ne purent s’appuyer sur une amour humaine
Comme la croix du Fils sous Simon de Cyrène ;
Par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne :
Je vous salue, Marie.

Crucifiement

Par les quatre horizons qui crucifient le monde,
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains ;
Par le malade que l’on opère et qui geint,
Et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie.

 

Je suis une brebis qui court dans les œillets.
Elle tremble, et sa voix semble toute mouillée
Lorsque l’on voit le jour succéder à la nuit :
Car l’aurore est bien froide avant que la brebis
Dans le pur arc-en-ciel soit tout ensoleillée…
Renais, soleil ! Du fond des cirques ténébreux.
Renaissez, renaissez, Mystères glorieux,
Par la brebis qui tremble au milieu des œillets ?

 

LES MYSTÈRES GLORIEUX

Résurrections

Par la nuit qui s’en va et nous fait voir encore
L’églantine qui rit sur le cœur de l’aurore ;
Par la cloche pascale à la voix en allée
Et qui, le samedi saint, à toute volée
Couvre d’alléluias la bouche des vallées :
Je vous salue, Marie.

Ascension

Par le gravissement escarpé de l’ermite
Vers les sommets que les perdrix blanches habitent,
Par les troupeaux escaladant l’aube du ciel
Pour ne se nourrir que de neige de miel,
Et par l’ascension du glorieux soleil :
Je vous salue, Marie.

Pentecôte

Par les feux pastoraux qui descendent la nuit
Sur le front des coteaux, ces apôtres qui prient :
Par la flamme qui cuit le souper noir du pauvre ;
Par l’éclair dont l’Esprit allume comme un chaume,
Mais pour l’Eternité, le néant de chaque homme :
Je vous salue, Marie.

Assomption

Par la vieille qui atteint, portant un faix de bois,
Le sommet de la route et l’ombre de la Croix,
Et que son plus beau fils vient aider dans sa peine ;
Par la colombe dont le vol à la lumière
Se fond si bien qu’il n’est bientôt qu’une prière :
Je vous salue, Marie.

Couronnement de la Sainte Vierge

Par la Reine qui n’eut jamais d’autre couronne
Que les astres, trésors d’une ineffable aumône,
Et d’autre sceptre que le lys d’un vieux jardin ;
Par la vierge dont penche le front qui est ceint
Des roses des désirs que son amour atteint :
Je vous salue, Marie.

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