JEANNE

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1962

Brassens avait déjà repris quelques passages de Les amoureux qui écrivent sur l'eau dans La première filleLa marche nuptiale et Je rejoindrai ma belle. Il puise à nouveau, et plus abondamment, dans cette longue "pièce poétique" pour un second hommage à "Jeanne, la Jeanne" (comme le dit l'anaphore qui marque le début de chacun des six couplets), c'est-à-dire Jeanne Planche, "l’hôtesse" de Chanson pour l’Auvergnat, la muse, la maîtresse, dont il sacralise la grandeur d’âme et la générosité (comme il l'avait fait pour l'amitié dans Au bois de mon cœur) en multipliant les références à l’Evangile, faisant d'elle l'équivalent contemporain de la Vierge de miséricorde chère à son Moyen Age de prédilection.

LES AMOUREUX QUI ÉCRIVENT SUR L'EAU
(La mauvaise réputation ; Georges Brassens ; 1954 ; Editions Denoël)

...

LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE

Ne s'agirait-il pas de Jeanne de Bretagne ?
Que l'on surnomme Grobidon
Par antiphrase.

LE CHŒUR DES JEUNES AMOUREUX

Il s'agit d'elle, il s'agit d'elle.
Les nymphes ont percé les voiles.
Battons un ban, lançons des fleurs !
Vivent les nymphes ! Vive Jeanne et vivent
Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau !

LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE

La douce Jeanne de Bretagne, ah ! mes aïeux !
La pluie et le beau temps d'une auberge opportune
Qu'on pourrait appeler l'auberge du bon Dieu
S'il n'en existait déjà une.
Un refuge miraculeux
Où les diables sans feu ni lieu,
Les va-nu-pieds, les ventres creux
Trouvent vivre et couvert à des prix dérisoires ;
Un semblant d'accord de guitare,
Des graines d'herbes à cloches bleues,
L'adresse d'un nid de fourmis comme pourboire.
La douce Jeanne, elle est si pauvre
Que l'asperge qu'elle offre
Assouvit
Pour la vie.
Elle a dans le cœur tant de charmes
Qu'elle ouvrirait sa porte au satrape,
Au gendarme,
Eventuellement traqués par leurs semblables.
Hormis porter une main homicide
Sur sa vieille cane sarcelle,
Et chanter d'une voix acide
Le distique selon lequel
Il y a dans le Finistère
Plus de filles de joie que de pommes de terre,
On peut tout sous son toit propice : elle tolère
Que l'on joue mal du chalumeau rustique,
Comme Corne d'Aurochs savait si bien le faire
Et sait si bien le faire encore
Quoiqu'il soit mort.

(Entre le spectre de Corne d'Aurochs. Il s'assoit
sur le seuil de Jeanne et tire de son chalumeau
rustique les plus déplorables flonflons qui aient
jamais écorché des oreilles...
)

LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE

Elle tolère que les toiles
Du charmant disciple d'Apelle
Ressemblent parfois, trou pour trou,
Au linge qu'elle met à sécher devant sa porte
Et qui, de l'avis des experts,
S'échappe dans l'éther en même temps que l'eau
Sous le masque de fluide aériforme...

VÉNUS HOTTENTOTE

Elle tolère que, sous le prétexte
De la liberté des poissons,
Robin-pêche-en-eau-de-boudin
Défonce son aquarium.

YAMUBA-PIED-MENU

Elle tolère qu'Huon de la Saône,
Passé deux heures du matin,
Revienne en faisant un potin
D'ivrogne.

ÉGÉRIE TOMAHAWK

Elle tolère enfin que, brochant sur le tout,
Témoin le vieux prophète de Cormeilles,
On descende du ciel avec une certaine étoile
De première grandeur
Et l'intention bien nette
De l'introduire dans l'étroite maisonnette
En guise de porte-bonheur
D'exorcisme contre les vilains jettatori...

LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE

On entre un jour, n'importe quand.
Et, comme par enchantement,
On appartient à la famille,
On devient un enfant de Jeanne...
Jeanne n'a pas eu de bébé.
D'elle et de son compère Planche
Aucun être n'a pris naissance.
Elle n'a jamais dit : « Prends garde de tomber ! »
A la chair de sa chair, n'a jamais pomponné
Les postères d'un nouveau-né.
N'importe qui en souffrirait comme un damné.
L'affectueuse Grobidon
Ne s'en soucie pas plus que de Colin Tampon :
Être mère de trois poulpiquets, à quoi bon ?
Quand elle est mère universelle,
Quand tous les enfants de la terre sont à elle.

...

NDLR : Brassens a écrit Les amoureux qui écrivent sur l'eau en 1948-1949, mais cette pièce n'a été publiée qu'en 1954 dans le recueil poétique La mauvaise réputation, dont elle constitue la dernière partie.

Nous contacter

Veuillez entrer votre nom.
Veuillez entrer un sujet.
Veuillez entrer un message.
Veuillez vérifier le captcha pour prouver que vous n'êtes pas un robot.