CELUI QUI A MAL TOURNÉ

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1956

Brassens part de ses souvenirs des années de vaches maigres chez Jeanne et Marcel (cf. Chanson pour l'Auvergnat) pour imaginer une histoire en cinq couplets sans refrain où il se projette en miséreux devenu criminel sous l'effet de la faim. L'aventure se termine dans une atmosphère de fraternité entre petites gens du "quartier natal", ce qui renvoie ici aussi à la la solidarité qui régnait entre voisins impasse Florimont.

LE TEMPS DE LA MISÈRE ET DES COPAINS
(Georges Brassens ; Louis-Jean Calvet ; 1991 ; Editions Lieu Commun)

La guerre, en cette année 1945, touche à sa fin, les prisonniers et les travailleurs du STO sont rapatriés. Georges décide d'aller passer quelques jours à Sète pour voir ses parents, sa sœur Simone qui s'est mariée avec Yves Cazzani, le fils de son patron, et qui aura bientôt un fils, Serge. Il y retrouve Victor Laville qui travaille dans un journal issu de la Résistance, La Voix de la patrie, où il fait la mise en pages, la maquette. Les deux amis remuent des souvenirs : ils se sont quittés à l'automne 1939, alors que Brassens fuyait Sète et la mauvaise réputation qu'il venait d'y acquérir, et cinq ans de guerre les ont fait vieillir un peu plus vite que de nature. Victor voit son avenir dans la presse, pense venir à Paris. Georges ne semble pas avoir de projets très précis, mais quitte très vite sa ville natale pour retourner dans la capitale où il va retrouver d'autres amis, ceux de la guerre, du STO.

Parmi eux, Pierre Onteniente qui regagne sa chambre de bonne de la rue Pigalle et son travail de contrôleur du Trésor. Il est réinstallé dans cette vie depuis quelques semaines lorsqu'un soir on frappe à sa porte. Il ouvre : « Tiens, un ami de Basdorf ! » Tout content, il le fait entrer, lui offre à boire. Cinq minutes plus tard, on frappe à nouveau : coïncidence, un autre ancien de Basdorf ! Cinq minutes encore et arrive un troisième larron, toujours de Basdorf, puis un quatrième. D'évidence, il ne s'agit plus d'une coïncidence mais d'un coup monté dont l'instigateur, Brassens, arrive d'ailleurs le dernier : ils sont alors une quinzaine dans la chambre et passent une fort bonne soirée à remuer les souvenirs du camp. Toute l'opération avait été montée quelques jours avant, alors que Larue, Iskin et Brassens s'étaient retrouvés à la fontaine du boulevard Saint-Michel pour boire un verre.

Mais si la bande des anciens de Basdorf ne se reverra que très épisodiquement (par exemple à la sortie de l'église de Créteil pour le mariage de Micheline et René Iskin), Georges va devenir un habitué de la rue Pigalle. Il arrive en général à l'heure du repas, Onteniente redescend avec lui, va chez un traiteur italien du coin acheter des raviolis ou des lasagnes, les deux amis remontent, font la dînette, parlent de littérature, de filles, puis Brassens chante, en tapant sur la table pour s'accompagner, ou en jouant de la guitare lorsqu'il a pensé à prendre son instrument. Peu à peu, Pierre se rendra compte que son ami n'a pas un centime, qu'en ces temps de privation Jeanne ne peut pas le nourrir (lorsque Onteniente vient le dimanche à l'impasse Florimont, il pense toujours à apporter son beefsteak), elle le loge et c'est déjà bien, et qu'il fait donc ainsi sa tournée, dînant ici ou là, chez différents amis. Il est vrai que Brassens n'a pas de gagne-pain : il écrit des chansons et lit, lit et écrit des chansons, et ne cherche absolument pas à les faire écouter, à les placer : il vit sur ses amis. Outre Pierre Onteniente, il y aura Victor Laville, un Sétois, et André Larue, un copain de Basdorf, tous deux journalistes, Lepoil, un militant anarchiste, Loulou Bestiou, un autre Sétois... Mais, s'il fonctionne ainsi pendant quelques années sur le mode du pique-assiette, il rendra largement aux amis la monnaie de leur pièce...

Peu à peu, son circuit s'est stabilisé. Le lundi par exemple, il va chercher Onteniente à la fin de sa journée de travail, au métro Chaussée-d'Antin, et ils remontent ensemble vers Pigalle. Celui-ci se souvient que dans la rue les filles qui sortaient elles aussi du bureau se retournaient sur eux : « Ah, ce qu'il est laid ! »

« Quand j'étais seul, poursuit-il, personne ne me remarquait. Avec Georges, tous les regards déviaient sur nous. » La célèbre moustache « en tablier de sapeur » avait maintenant remplacé la fine moustache à la Clark Gable du camp de Basdorf, les cheveux étaient toujours plus touffus, toujours plus rebelles (Brassens ne fréquentait pas les coiffeurs, et il ne se coupait pas les cheveux, il les brûlait...). « Elles le trouvaient peut-être laid, mais dès qu'il en entreprenait une, les yeux dans les yeux, lui récitait du Baudelaire, tout changeait... »

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