BÉCASSINE

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1969

Dans un cadre médiéval (au sens large) mais avec des allusions à trois chansons qui renvoient aux XIXè et XXè siècles (La chanson des blés d’or, Fleur bleue et Le temps des cerises), Bécassine (un surnom peu flatteur déjà utilisé dans Le temps passé) forme, sur le douzième 33 tours, un diptyque avec Rien à jeter, un diptyque tout entier voué aux attraits physiques de la femme dans une vision machiste que tempère ici, comme dans Les croquants, une indifférence de la belle aux richesses dont les "grands personnages" voudraient la combler.

BÉCASSINE : CENT ANS ET PAS UNE RIDE !
(L'Histoire n°298 ; Bruno Calvès ; mai 2005)

Surnom : Bécassine. Profession : nourrice chez la marquise de Grand-Air. La petite Bretonne, qui a connu deux guerres mondiales et l'exode rural, fête ses cent ans cette année.

Le 2 février 1905 paraît le premier numéro de La Semaine de Suzette. Un hebdomadaire ancré dans la droite conservatrice et « attaché à refaire la part de l'enfant chrétien dans la presse pour jeunes ». Jacqueline Rivière, la rédactrice en chef, a l'idée, pour égayer le dos de couverture, d'y faire figurer l'histoire d'une servante bretonne que sa naïveté et sa maladresse entraînent dans de malheureuses aventures. Elle confie au dessinateur Joseph Porphyre Pinchon - futur directeur artistique de l'Opéra de Paris - le soin d'imaginer les traits de la jeune bonne.

Le succès de Bécassine est tel qu'au cours des semaines suivantes on réclame son retour. La revoilà donc 23 numéros plus tard. Suivent des apparitions toujours remarquées, mais irrégulières. Jusqu'à ce que Maurice Languereau, alias Caumery, ait l'idée d'en faire un album.

Neveu de l'éditeur de La Semaine de Suzette, Henri Gautier, Caumery propose en 1913 à Pinchon de reprendre les « historiettes illustrées » en racontant l'histoire de Bécassine depuis sa naissance. Et comme La Semaine de Suzette fête en 1910 les vingt-cinq ans de son héroïne, on peut déduire qu'Annaïck Labornez serait née en 1885 à Clocher-les-Bécasses, petit village de bord de mer dans les environs de Quimper. Son surnom, fruit de la dérision familiale, lui vient de la petitesse de son appendice nasal, qui contraste avec le bec proéminent des bécasses.

Vingt-sept albums, au total, seront publiés entre 1913 et 1948, de La Naissance de Bécassine aux Petits Ennuis de Bécassine planches éditées en 2005.

L'intérêt des Bécassine est de nous offrir un regard unique sur la société du début du XXe siècle. Quelque 1 200 personnages côtoient la petite Bretonne.

Tous sont caricaturaux mais forte­ment emblématiques. Sa famille, d'abord : le fantasque oncle Corentin, maire de Clocher-les-Bécasses, et la méchante cousine Marie Quillouch. Les bons maîtres : la bienveillante marquise de Grand-Air et Loulotte, orpheline recueillie par la marquise et donnée en nourrice à Bécassine, qui en fera sa fille adoptive ; Bertrand de Grand-Air, le valeureux officier ; Adalbert Proey-Minans, le distingué savant ; le très british major Tacy-Turn ; les redoutables cheminots syndiqués, Lerouge et Lenoir. Et encore : le jeune prince africain Zozo, le père La Pipe, garde champêtre de son état, et le chien... Hindenbourg !

La France des premiers numéros de Bécassine est encore celle du XIXe siècle. On y croise une marquise entourée d'une domesticité importante à laquelle le petit peuple marque sa déférence. L'instruction, incarnée par l'institutrice ou l'académicien, ne s'y trouve pas encore à la portée de tous. Et quand le médecin vient de la ville, c'est avec du quinquina qu'il rétablit ses patients.

Après la Première Guerre mondiale, les différences sociales s'estompent. L'heure est aux pionniers de l'industrie, tandis que l'aristocratie terrienne voit ses revenus fonciers s'évanouir sous le poids des dévaluations. Dans le même temps, Paris attire de nouvelles vagues d'immigrants, dont Bécassine est, en quelque sorte, le porte-étendard.

C'est en effet poussée par la misère que la Bretonne a quitté son village natal pour Quimper, où elle entre en apprentissage chez une modiste avant de devenir employée chez la châtelaine de Clocher-les-Bécasses. Elle suivra ensuite la marquise à la capitale, devenant nourrice de la jeune Loulotte.

Pour Bernard Lehembre, spécialiste des flux migratoires, « Bécassine restera une figure emblématique de l'exode rural. [...] A cette date [1905], Paris comptait 100 000 bonnes, dont la majorité était originaire de Bretagne » (1).

Le breton étant sa langue maternelle, Bécassine a du mal, à Paris, à maîtriser les nuances de la langue française : « A la ville, on dit tout le temps des mots qui ne veulent pas dire ce qu'ils disent. » s'écrie-t-elle. Bécassine découvre pêle-mêle la pompe publique, le gaz de ville, les demoiselles du téléphone, l'éclairage électrique...

La modernité l'effraie, certes, mais elle n'hésite pas à se frotter avec enthousiasme aux nouvelles pratiques sociales et culturelles. Qui donc s'étonnera de la voir pratiquer les sports de montagne, se lancer dans la photographie aérienne, nager sur la côte normande ou partir en excursion entre Dinard et Saint-Briac, au volant de son side-car ? D'abord placée comme bonne - pardon, gouvernante - chez Mme de Grand-Air, Bécassine sera aussi infirmière, ouvrière d'usine, aide-vitrier pendant la Grande Guerre et, plus tard, receveuse sur une ligne de tramway à Paris.

On a reproché à Caumery et Pinchon leur conservatisme social : le portrait de Lerouge et Lenoir, les deux cheminots butés à l'allure de bolcheviks dans les Les Cent Métiers de Bécassine 1920, qui évoque les grandes grèves de 1919 et offre une image peu avenante du syndicalisme. Mais on peut aussi voir, en Bécassine la figure de l'employée de maison qui parvient à s'élever socialement au-dessus de sa condition. En femme libre, elle choisit sa vie.

Les deux conflits mondiaux mobilisent également notre jeune Bretonne. Elle sera patriote dans Bécassine pendant la Grande Guerre (1915), Bécassine chez les Alliés (1917), Bécassine mobilisée (1918) et Bécassine chez les Turcs (1919), puis résistante dans Les Petits Ennuis de Bécassine.

La guerre a même un effet inattendu chez elle. Elle est alors « comme soulevée au-dessus de ses idées habituelles, elle ne fait plus de bêtises » et salue gravement le drapeau tricolore, « image de la France meurtrie, mais héroïque, sûre de son droit, forte de sa bravoure, confiante en la victoire », déclare Caumery. Sa haine des Boches et sa popularité poussent d'ailleurs les Allemands, dès le 16 juin 1940, à rafler les stocks d'albums chez son éditeur parisien et à en interdire la détention dans toutes les familles françaises.

Une figure aussi protéiforme a suscité au cours des ans des lectures contrastées. En Bretagne, sa popularité a été particulièrement forte chez les enfants, qui découvraient ses aventures dans le quotidien Ouest-Éclair. Cependant, des voix se sont élevées pour dénoncer l'image négative que Bécassine donnait de son pays et de ses compatriotes. Aujourd'hui encore, ces derniers n'hésitent pas à voir en Bécassine un repoussoir de l'identité bretonne.

Mais Bécassine n'est-elle qu'une « ambassadrice » de la Bretagne ? Comme l'explique Marie-Anne Couderc, « on ne recherche plus dans l'univers de Bécassine des effets de miroir, mais des signaux de dépaysement » (2). Et son parcours est celui emprunté par des générations de Français au cours du XXe siècle, un itinéraire qui n'est pas sans rappeler celui de beaucoup d'immigrés qui continuent à s'installer en France.

Héroïne intemporelle, pas très éloignée du personnage de Charlot de Charlie Chaplin, Bécassine devient bientôt source d'inspiration pour les créateurs les plus divers. Il est reconnu que la simplicité et la hardiesse du trait de Pinchon, adjointes à une mise en page résolument moderne, font de Bécassine l'ancêtre de la bande dessinée. Hergé n'hésita pas à déclarer : « Moi-même, je me suis inspiré de Bécassine, de sa tête ronde et de son air naïf », troquant la coiffe de la Bretonne contre la houppe de Tintin.

A l'occasion de ses cent ans, de grands couturiers - Karl Lagerfeld, Chantal Thomass, Paco Rabanne ou encore Louis Féraud - ont osé « relooker » la petite paysanne. Suprême honneur, La Poste lui consacre un timbre en 2005. A l'heure d'entamer son deuxième centenaire, Bécassine l'étourdie fait incontestablement partie de notre patrimoine. Par courtoisie et en hommage à sa longévité, on lui laissera le mot de la fin : « J'ai trop d'idées, j'en ai souvent plusieurs ensemble, et pas pareilles ; alors je fais des choses qui surprennent tout le monde. »

(2) A.-M. Couderc, Bécassine inconnue, Paris, CNRS éditions, 2000.

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