SUR LE YANG-TSÉ-KIANG

Paroles Albert Bausil
Musique Johnny Hess
Interprètes Charles et Johnny
Année 1933

Le premier des trois textes d'Albert Bausil, le mentor de Trenet, dans le répertoire du chanteur : une parodie, dans un cadre chinois, des chansons d'apaches, et la première apparition de la mort dans l'œuvre du futur Fou chantant.

ALBERT BAUSIL
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)

Né à Castres en 1881, Albert Bausil avait débuté dans la vie comme journaliste parisien, à L'Excelsior, mais son esprit d'indépendance n'avait pas supporté longtemps les contraintes d'une telle existence. Revenu à Perpignan, il investit toute la (modeste) fortune familiale dans la création de « son » journal, Le Cri catalan (qui rapidement deviendra Le Coq catalan), un petit hebdomadaire local « littéraire, satirique et sportif » dont il est à la fois le rédacteur en chef, le principal (et parfois unique) rédacteur, le maquettiste et le gérant (cette ultime fonction était peut-être regrettable : son sens des affaires étant pour le moins approximatif, Le Coq catalan naviguera constamment en lisière du naufrage - de la faillite*). Un journal où, au fil des ans, on relèvera les signatures les plus prestigieuses, étonnant répertoire des grands noms de l'époque comme Joseph Delteil, Jean Cocteau, Louis Amade, Marc Lafargue, J.S. Pons, Max Jacob, Jean Giono, Antoine de Saint-Exupéry, Henry de Montherlant ou Gaston Bonheur ! Ce journal, surtout, constituera un formidable creuset pour les jeunes talents, un catalyseur précieux et sans égal. C'est Bausil qui publiera les premiers poèmes du jeune Charles Trenet, alors âgé de treize ans et évidemment inconnu. C'est lui encore qui publiera les premiers vers d'un autre inconnu, collégien de quatorze ans à la plume flamboyante : Robert Brasillach. Ou encore ceux du petit Louis Amade. Louis Amade, de son côté, évoque Bausil qu'il tient pour son « maître » en ces termes : « Quand je traverse Perpignan en attendant le train du soir, je revois partout Bausil. Il est présent à chaque carrefour, sa pensée frissonne dans tous les arbres, son esprit meurt et renaît dans chaque glycine du boulevard... Car il fut le poète de la lumière, le poète de la jeunesse et de l'amitié, le poète des choses qui s'en vont mais qui doivent malgré tout et contre tout revenir. »

Mais avant tout, cet homme à l'énergie sidérante, à l'enthousiasme presque écœurant (pour les pessimistes) voulait que son journal soit « le bréviaire de la bonne humeur ». C'est ainsi qu'en 1923 il y écrit : « Il paraît que tout poète vient au monde avec une mission à remplir, avec un flambeau à brandir. Moi, mon flambeau, c'est la joie. Je n'ai pas d'ambition ; mais si j'ambitionnais un titre, ce serait celui de président de l'œuvre pour la Propagation de la Joie. »

Pour ce journal volontiers impertinent dans les colonnes duquel cet homme épris de vérité n'hésite pas à fustiger qui ne lui agrée point (n'ira-t-il pas jusqu'à y clamer, en pleine Occupation et à la une : « Monsieur Hitler, je vous emmerde, je ne sais pas si je me fais bien comprendre... » ? Une diatribe qui secouera en profondeur la petite ville de Perpignan frileusement retranchée dans sa miraculeuse quiétude au cœur de la zone libre), pour son Coq catalan donc Albert Bausil s'est forgé une devise à son image, imprimée en bandeau à la droite du titre, en regard d'un coq stylisé dressé sur ses ergots :

Et je serai fier de mon cri
S'il éveille en échos dociles
Le sourire des gens d'esprit
Et la fureur des imbéciles.

Tout Bausil est dans ces quelques mots, la finesse d'esprit, l'impertinence et l'humour, et puis cette sincérité écorchée qui saigne à chacun de ses vers. Bausil bien entendu laisse une œuvre considérable : quelques romans et pièces de théâtre, mais surtout d'innombrables poèmes, ces vers par milliers qu'il écrivait presque sans discontinuer - sans parler de ses chronique superbes du Coq catalan. Mais il se veut, il est avant tout poète. La poésie le hante, la poésie le ronge, maîtresse inlassable et fuyante dont il écrit en 1928 :

« La Poésie ne sait plus à quoi s'en tenir. Elle est bouleversée, révolutionnée, affolée. Elle est un peu dingo, comme on dit autour d'elle. Dame ! Mettez-vous à sa place. Après avoir été la fille d'Apollon, la muse au péplum blanc et aux cheveux dénoués, la latine pure et saine, la sœur de Virgile, de Ronsard et d'André Chénier - et être jetée tout à coup dans ce tourbillon de jazz, de cubisme, de dadaïsme, de surréalisme, de ciné, de six-cylindres, de danses nègres, d'art papou, de black-bottom, de cocktails, de cocteaux et de brigadiers-Rousseaux... La pauvre fille ne sait plus ce qui lui arrive. Il est loin, le petit bois de lauriers-roses, à mi-chemin du Parnasse, où elle jouait, blonde, avec ses huit sœurs...

D'abord, elle s'est réfugiée dans la bibliothèque obscure et magnifique de M. Paul Valéry. Mais, c'est triste à dire, elle y mourait d'ennui. Ça manquait d'air. La Poésie aime la clarté, l'espace, la lumière, le mouvement, la liberté, la vie. Elle aime chanter. On ne chante pas dans une bibliothèque. C'est une intellectuelle, mais ce n'est pas une cérébrale pure. Enfin, ce n'est pas une bureaucrate. Elle est née, et elle s'en souvient, sur une montagne d'Orient toute frémissante d'abeilles, d'oliviers caressés et de jeune soleil... »

Il est poète donc, poète de cœur et d'âme, il aligne les mots, les rimes et les images avec une espèce d'impatience fiévreuse qui a aussi, parfois, des accents pathétiques : Bausil est certes le poète de la joie, il est le chantre d'un monde lumineux mais il est aussi le miroir et le reflet du temps qui passe, d'une mélancolie douce, de la nostalgie de la jeunesse lasse. S'il y a dans Bausil, constantes dominantes, un enthousiasme juvénile, une ardeur inspirée, une ironie douce-amère, beaucoup de tendresse et un certain engagement philosophique, il y a aussi, en filigrane, toute la tristesse des soirs tombants sur d'éclatantes journées de soleil et sur des vies d'hommes, ces sentiments éternels de notre désespérance impuissante.

* Issu malgré tout d'une famille aisée, Albert Bausil n'a jamais réellement manqué de rien, et a toujours tiré l'essentiel de ses revenus des vignobles, et plus précisément du vin de Maury.

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