C. Trenet / Sous le lit de Lily

Aux États-Unis, la musique est le produit de la société multiculturelle où elle s'est développée. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, comme pour la peinture, les modèles restent européens, mais à partir des années 1890, sous l'influence des divers groupes ethniques, afro-américains en particulier, des formes autochtones populaires apparaissent, ragtime, spirituals et blues. Surtout, c'est à La Nouvelle-Orléans qu'émerge au début du XXe siècle le genre dont l'impact en Europe sera le plus sensible : le jazz. Aux racines blues et gospel se mêlent les tambours et les fanfares des anciens esclaves, les airs d'opéras français et les mélodies irlandaises et espagnoles. Ce New Orleans Jazz ou Dixieland porté à partir de 1915 par Louis Armstrong ou Sidney Bechet, que suit dès la fin des années 1920 le swing de Count Basie et de Duke Ellington, conquiert les grandes villes du pays.

Porté par la réputation un peu trouble du Jazz Age et popularisé par les artistes américains expatriés en France - Gertrude Stein, Scott Fitzgerald ou Ernest Hemingway -, la modernité et l'exotisme du jazz séduisent l'Europe. Dans les années 1930, la chanson française y puise un regain d'énergie et d'originalité : Charles Trenet, Ray Ventura et ses Collégiens. Django Reinhardt et Stéphane Grappelli l'infléchissent en jazz manouche et Paris s'entiche de Joséphine Baker. Même la musique classique en sort revivifiée, comme l'attestent les concertos de Maurice Ravel. La Grande-Bretagne, initialement séduite par le dansant boogie-woogie des années 1940, connaîtra à partir des années 1950 un regain d'intérêt pour le style « trad » néo-orléanais. Enfin, c'est d'Europe que viendra la reconnaissance officielle, sous la plume d'Hugues Panassié qui fonde une des premières revues consacrées au genre, Jazz Hot, en 1935. Aujourd'hui encore, de l'Italie à la Scandinavie, l'Europe reste une terre d'accueil privilégiée pour de nombreux musiciens, tel que Wynton Marsalis à Marciac et son célèbre festival. Certains choisirent même de s'y installer, en particulier les Afro-Américains après 1945, qui y trouvèrent momentanément un climat marginalement plus accueillant et une écoute attentive.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la relative aisance économique de la classe ouvrière, l'émergence des « adolescents », l'impatience grandissante des Afro-Américains ayant participé aux combats en Europe suscitent des évolutions spectaculaires qui voient la musique de la jeunesse des classes sociales et ethniques défavorisées devenir la norme de référence, y compris pour les élites. Le rhythm and blues dansant des Afro-Américains accède sous le nom de rock'n'roll au succès international lorsque des musiciens blancs, Elvis Presley en tête, en produisent une variante influencée par la country, le rockabilly. La communauté noire lui préfère la soul profane, aux influences gospel.

D'abord condamnées au cours des années 1950 par les franges les plus conservatrices de la société, ces musiques vont devenir le symbole de la puissance et du dynamisme américains et enthousiasmer la jeunesse de l'Europe occidentale. Les rares notes qui filtreront de l'autre côté du rideau de fer y galvaniseront la résistance de la jeunesse à la censure communiste. La pop music et le rock qui résultent des fructueux échanges entre Grande-Bretagne et USA et entre musiciens blancs, noirs et latinos, finiront par étendre leur influence à l'ensemble de la planète.