SAMEDI SOIR USAGÉ
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1972 |
Rajeunir est un jeu d'enfant pour Trenet ("J'aimerais bien échanger / Un samedi soir usagé / Contre un dimanche matin / Plein d'entrain"), et il en profite pour revivre encore une fois les moments heureux (le premier couplet et ses échos de L'abbé à l'harmonium) comme les moments malheureux (une nouvelle évocation du Petit pensionnaire dans le deuxième couplet : "Nous jouerions aux enfants / Éloignés de leurs parents / Et qui montent au dortoir / En pleurant") de ses "jeunes années".
LA RENCONTRE AVEC ALBERT BAUSIL
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)
Voilà ! Le hasard ensuite tient parfois à la force des choses : vivant sous le même ciel, tous deux esprits forts et originaux, tous deux épris de belles choses, les routes d'Albert Bausil et de Charles Trenet ne pouvaient que se croiser.
Le petit Charles aussitôt sera fasciné par ce personnage caustique et tendre, à la fois ombre et lumière, émouvant et drôle. Il le connaît certes déjà - du moins de vue et de réputation. Dame, Bausil est un ténor à Perpignan où, outre son journal qui alimente tant les conversations, il organise chaque année des revues délirantes avec sa troupe de théâtre amateur. Mais aussi, Bausil est un vieil ami de Lucien Trenet, le notaire. Charles le connaît donc, depuis 1921, semble-t-il. Mais c'est en 1926 que l'enfant, qui a alors treize ans, va réellement rencontrer celui qui, dès lors, sera son guide et son mentor. De cette rencontre qui s'avérera capitale, il existe deux versions. Celle de Bausil lui-même d'abord, qui la situe sous les mimosas de la place Arago et qui l'a racontée un jour au micro de Radio-Montpellier :
« Un jour en plein soleil, car il faut que le soleil soit à l'origine de cette histoire, un petit garçon, tout gai, tout blond, aux mollets nus, aux joues de pommes, qui attendait l'entrée du collège avec ses livres sous le bras, s'avance résolument, insolemment même, vers moi, sous les mimosas de la place Arago :
- Monsieur, vous ne me connaissez pas. Je suis le fils de votre ami Lucien Trenet, notaire. Je suis poète et artiste-peintre. Je suis en troisième latin-langues. Et je veux jouer dans votre revue !
Vingt jours après, Charles Trenet débute au Nouveau Théâtre de Perpignan avec une couronne de raisins dans les cheveux et une peau de tigre autour des reins au final d'une de mes revues... »
Quant à Trenet, dans Mes jeunes années, il raconte ainsi les faits :
« Un jeudi matin, une foule joyeuse envahit le studio de Bob (photographe ami de son père). Un mariage ? Que non, c'est la troupe de la revue. Quelle revue ? La revue locale écrite, réalisée, jouée et chantée par un boute-en-train du nom d'Albert. Albert par-ci, Albert par-là. Il n'y en a que pour lui. On s'affaire autour de sa petite personne, on s'enquiert du détail d'un ruban dans les cheveux des filles ou d'une cravate mal nouée au cou des garçons. Combien sont-ils ? Une vingtaine qui piaillent à loisir, se chamaillent pour des riens, se réconcilient de même, tout cela à cause d'Albert, pour lui montrer qu'on est vivant, bien dans la tradition de la joie qu'il préconise, provoque, pratique et prêche à tous les vents.
Ils sont venus se faire photographier en "costume". Alors brusquement tout ce petit monde ouvre des valises et se déshabille, pêle-mêle : Arlequin, Colombine, un pâtre grec de derrière le Péloponnèse, une bergère-Trianon, des Hollandais du faubourg Saint-Assiscle, des Trabucayres du rempart Villeneuve, Fantasio, un prince de Mantoue et deux sylphides fort gracieuses qui montrent innocemment leurs fesses reflétées à l'infini par deux miroirs à trois faces. Bob est débordé. Albert, d'un geste, fait taire la compagnie. "Mes enfants, nous n'avons qu'une demi-heure pour la séance de pose. Ensuite, répétition au Municipal." Par bonheur le théâtre est à deux pas, juste la rue de l'Argenterie à traverser. Je file le train à la troupe et me faufile dans le groupe. Je me cache derrière un portant (...) Albert, me découvrant :
- Qu'est-ce qu'il fabrique celui-là ? Il n'est pas de la troupe.
- Non, c'est le petit Trenet.
- Le fils de Lucien ?
- Eh oui... Tu vois, le temps passe. Il chante bien, tu sais.
Albert se radoucit, s'approche, cligne ses petits yeux, me toise avec une condescendance amusée :
- Ça te plairait de jouer dans la revue ?
(...) Voilà, je suis engagé dans la revue locale Allô Père Pigne. On répète au municipal mais on jouera au Nouveau Théâtre dont on essuiera les plâtres. Le grand soir arrive. Au finale, oui c'est moi, vous m'avez reconnu, revêtu seulement d'un minuscule slip en peau de chèvre couronné de pampre, entouré de deux silènes ventrus en maillot rose. Je suis Bacchus enfant, Bacchus dansant et bondissant au rythme d'une sardane déchaînée comme une vengeance, dans ces vendanges de Jouvence ! »
« Dès lors, écrit-il encore, ma vie perpignanaise évolue grâce à la fréquentation d'Albert. »