RACHEL DANS TA MAISON

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1965 (inédit 1966)

Trenet éprouve à l'évidence le besoin de faire le point en ce milieu des années soixante : après A mi-chemin, le voici qui revient sur ses débuts de chanteur par l'intermédiaire d'une chanson-compilation de ses succès de la période Fou chantant.

RACHEL BRETON ET LES DÉBUTS DU FOU CHANTANT
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)

A sa libération, en octobre 1937, le caporal Trenet rapporte dans sa musette un petit répertoire de chansons folles écrites essentiellement en salle de police - que, décidément rétif à toutes les contraintes, il a beaucoup fréquentée... Il se retrouve donc sur le pavé, en cet automne 1937 maussade et baigné d'inquiétude, aspirant à pleins poumons l'air de la liberté mais sans un sou vaillant. C'est encore Raoul Breton, son éditeur, son ami, qui va venir lui tendre une main secourable. Breton a immédiatement cru en ce jeune homme inspiré, il a décelé dès le premier instant, sous la façade insouciante et désinvolte, les immenses possibilités de cet être sans pareil.

Le bureau de la rue Rossini n'a guère changé, qui en ce demi-siècle vit défiler tant de vedettes. Alors que le temps a passé, beaucoup de temps, années de joies et de souffrances, d'espérances folles et de chagrins diffus, Mme Breton (que Charles n'a jamais appelé autrement que « la marquise ») se souvient.

« Je n'étais pas encore mariée lors de la rencontre Breton-Trenet. Mon mari l'é découvert à l'époque où il chantait au Palace avec Johnny : deux gosses dont c'était la première apparition en public (1). Mon mari était là par hasard. Il a mis un mot à Charles : "Venez me voir demain." Ils ne se sont jamais quittés par la suite. Charles dit que c'est son plus beau souvenir. Il a d'ailleurs, sur sa table, sous verre, ce petit mot pour lui historique. Quand je me suis mariée, mon mari m'a dit : "Je vais te présenter un garçon qui va t'être très sympathique. Il n'a pas de chaussettes aux pieds, il porte une veste rouge." Je m'attendais à rencontrer un monstre, et j'ai vu arriver un grand et beau garçon, veste rouge, regard bleu, une espèce de fou exalté. Le hippie avant la lettre... Il était magnifique. nous ne nous sommes pas quittés non plus pratiquement depuis ce jour. J'avais l'impression d'avoir épousé deux hommes. Parce qu'ils étaient de la même taille, parce qu'on ne se quittait pas, parce qu'on se parlait. Toutes les choses se passaient en même temps, on avait la même vie, en somme !

- A ses débuts, était-il conscient de son potentiel, mesurait-il ce qu'il portait en lui ?

- On ne peut pas dire ça de lui. C'était plus que cela. Ça sortait de lui. Ça jaillissait ! D'ailleurs ça a toujours été comme ça. Charles n'a jamais fait une rature. Il m'est arrivé très souvent de prendre des chansons sous sa dictée au téléphone ! Deux exemples : un matin, il me téléphone et il me dit : J'ai rêvé cela et il me chante "La Madelon des années 16"... J'ai heureusement pris la précaution de l'enregistrer car il ne l'avait pas écrite ! Même chose plus récemment pour une chanson sur l'île Maurice. Vous allez croire que j'exagère mais j'ai l'impression que c'est le génie qui frappe à la porte et voilà... Conscience, non. En ce moment, ce sont les gens qui sont en train de dire, de lui dire ce qu'il est. Bien sûr qu'il croyait en ce qu'il faisait. Qui n'a pas conscience un minimum de ce qu'il est ? Bien sûr qu'il écrit des poèmes et qu'il sait qu'ils sont beaux. Il sait que c'est bon, sinon, il ne les montrerait pas ; il est trop pessimiste de nature. Si une idée lui vient et qu'elle ne débouche pas comme il veut, il n'en parle même pas. J'ai ainsi beaucoup de choses qu'il a commencées. on les lit, on se dit que ça va être magnifique et puis, il n'y a pas de suite. Naturellement qu'il sait ce qui est bon et ce qui ne l'est pas !

- Et vous ? Aviez-vous conscience de ce qu'il allait devenir ?

- Mon mari lui disait toujours qu'il était l'homme du siècle. Qu'il n'y en aurait pas deux comme lui dans le siècle.

- Et que répondait-il à cela ?

- Il riait. Quand il a commencé à chanter seul, qu'il s'est séparé de Johnny, après son service militaire, mon mari lui a dit : "Tu vas chanter seul à présent." Je me souviens, c'était au bois de Boulogne. Il a répondu : "Quel nom vais-je prendre ? - Eh bien, mais Charles Trenet ! - Ah non ! Charles Trenet, ce n'est pas beau ! Maurice Chevalier, c'est beau. Ça, c'est un nom ! - Mais Charles Trenet, quand tu seras connu, ce sera la même chose ! Quand il y aura des gens derrière toi, surtout quand il y aura des imitateurs, Charles Trenet, ce sera quelque chose !" Il ne le croyait pas...

- Mesure-t-il l'influence qu'il a eue sur la chanson française ? Il a influencé tout ce qui compte aujourd'hui.

- Son influence est indiscutable. Mais il ne s'en est jamais rendu compte. Il a influencé tout le monde, mais inconsciemment. Ce n'est pas lui qui a influencé, c'est son talent. J'édite également Amade et Aznavour, qui se veulent des enfants de Trenet. Brassens aussi le revendiquait. Lui, ça ne lui vient jamais à l'idée de dire : on m'a copié.

- A-t-il beaucoup hésité avant de se lancer tout seul ?

- Non. Il y avait mon mari qui le soutenait. Non, il n'a pas hésité. D'ailleurs, nous allions le voir à Salon où il était militaire. Il chantait déjà tout seul. C'est là qu'on l'a appelé "le fou chantant", parce qu'on lui avait rasé les cheveux comme soldat. Il allait chanter dans le cabaret du Grand Hôtel, avec ses cheveux rasés et sa tenue mi-costume militaire, mi-civile, comme un fou. Il avait vingt ans. Il était fou.

Il n'a jamais hésité. Mon mari le soutenait. La première audition que mon mari avait fait faire à Charles en revenant du service militaire (mon mari l'avait présenté à plusieurs directeurs de salles et tout le monde lui disait : "Ce n'est pas lui qui est fou, c'est toi !"), c'était à l'A.B.C. Il y avait Lys Gauty et Mitty Goldin, le directeur de la salle, a dit à mon mari : "Bon je te le prends mais il ne chantera que deux ou trois chansons. Qu'il répète donc deux ou trois titres." Mon mari a lors dit à Charles : "Répète huit ou neuf chansons" et il lui a fait apprendre ces huit ou neuf chansons, toutes celles qu'il venait d'enregistrer... Il passe donc en fin de première partie, en petit numéro, et Goldin dit à mon mari : "Surtout, ne lui faites pas chanter plus de trois chansons. Le programme est organisé, je ne veux pas le changer."

Charles a chanté ses trois chansons et alors le public était tellement délirant qu'il n'était pas possible qu'il s'arrête et Lys Gauty n'a pas pu chanter... Il a fallu qu'il revienne et qu'il chante les huit chansons qu'il avait préparées. Quand il est revenu dans les coulisses, Goldin l'a arrêté et lui a dit : "Je te déchire ton contrat, passe à mon bureau." Charles croyait qu'il était renvoyé et, en fait, il l'engageait comme vedette ! Il a arrêté le spectacle. C'était impossible de chanter après lui ! Moi, j'étais dans la salle avec Maurice Chevalier. Je me souviens de la tête de Maurice... Il était très malheureux. D'ailleurs, après, il était parti en tournée et il devait chanter "Ménilmontant" que Charles avait écrite pour lui. Il nous a écrit alors pour nous dire : "Vous m'avez mis dans les pattes quelqu'un qui peut être comme moi mais qui a une plus jolie voix, je ne peux pas enregistrer ça." C'était un grand monsieur en ce temps-là, et ils sont restés fâchés assez longtemps. Maurice était d'ailleurs fâché avec nous aussi. Pendant une bonne année on ne l'a pratiquement plus vu ! Il faut dire qu'à l'époque, Maurice c'était la plus grande star mais le lendemain de l'A.B.C., Charles touchait des cachets plus importants que les siens ! Mon mari était très fort pour ça. Il disait toujours : "Charles, je préfère qu'il ne chante pas ou qu'il chante cent jours par an en vedette, comme il doit l'être." Et il demandait des prix plus élevés (bien que n'étant pas imprésario, car nous n'avons jamais été imprésarios) que ceux de Maurice Chevalier, et on les lui donnait. Alors évidemment Maurice, qui était la plus grosse vedette de l'époque, lui en voulait un peu. Ça n'enlève rien à Maurice. Son succès était à l'échelle du monde. C'était une gigantesque star. Il le méritait car il avait une présence extraordinaire à tous points de vue. Il représentait Paris... Il était donc le seul artiste de music-hall vraiment important et tout d'un coup, il a vu arriver quelqu'un de différent de lui mais aussi grand ! Ça le choquait parce qu'il disait à Charles :"Vous, vous savez tout faire !" Il lui a même dit : "Vous allez m'obliger à écrire maintenant !" Il a vu Trenet surgir et se hisser au sommet pratiquement en un seul jour ! Parce que Charles a éclaté tout de suite. Mon mari l'avait bien préparé, bien sûr, mais le talent de Charles était tel à ce moment-là, sa fraîcheur était si saisissante qu'il n'y avait jamais rien eu de semblable. C'est pour cela que mon mari lui disait : "Tu es l'homme du siècle, à tous points de vue." Il n'y avait pas que le génie... Il ouvrait les portes ! Il arrivait en scène et on avait l'impression qu'il ouvrait toutes les portes des maisons et que tout le monde était heureux. Et c'est vrai que le pays était heureux à ce moment-là.

- Ça correspondait au climat de l'époque, au Front populaire ?

- Trouver quelqu'un comme Charles, à n'importe quelle époque, ça correspond toujours à une attente. La force qu'il avait pour imposer ce qu'il était ! Si quelqu'un trouvait ce qu'il faut maintenant, ce serait la même chose, et à tout moment. Lui, il avait cette puissance. Il a tout, et d'abord cette fraîcheur, et puis il est un grand poète. Or la poésie, qu'on le veuille ou non, elle commence à courir dans la rue. Cocteau lui a dit : "Ne fallait-il pas que nous épuisions la sève de nos âmes pour qu'un jour nos énigmes courent les rues ?" Les gens ne demandent que ça, de s'inspirer de poésie, de vivre de la poésie, mais ils ne savent pas la lire. Lui, il leur a offert la vraie poésie, et c'est pour cela qu'il s'est imposé. Qui n'a pas eu envie de dire "Y a d'la joie" de la façon dont il le dit ? Cette façon qu'il a de dire des choses très profondes, presque en riant... »

(1) Il semble qu'en réalité Raoul Breton ait rencontré le jeune Charles Trenet bien avant, à Vernet-les-Bains où il se trouvait en villégiature, lors d'une revue d'été d'Albert Bausil, et qu'il ait alors convié le jeune homme à venir le voir s'il « montait à Paris ». Ce que Charles fit en débarquant un jour chez lui, des sandalettes aux pieds et un petit béret sur la tête.

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