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Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1940

Un condensé de l'univers de Trenet dans sa période Fou chantant : titre en forme d'onomatopée (le troisième après Boum ! et Hop ! Hop !), jazz effréné, exaltation des amourettes de jeunesse qui passent comme dans un "rêve" ; et toujours la même image fascinante : "Nos cœurs sont deux oiseaux légers / Nos cœurs vont voltiger".

LE THÉÂTRE DES AILES
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo : 1993 ; Editions Lieu Commun)

Heureusement, l'armée ne compte pas que des officiers qui font peler des pommes de terre à Jacques Prévert ou trier des lentilles à Marcel Aymé : pour certains, l'utilisation des compétences est une arme efficace pour soutenir le moral des troupes. C'est ainsi que, après quelques semaines de langueur au soleil de Provence, l'officier commandant Charles lui demande de cesser de rêver devant sa Japy et de s'occuper de distraire ses camarades :

« C'était un colonel, se souvient Charles. Il n'était pas encore général mais n'allait pas tarder à le devenir. Il m'a dit : "Organisez donc quelque chose à Marseille au profit du foyer du soldat." J'ai répondu : "Donnez-moi huit jours de permission - Non, cinq ! - Bien, alors cinq !" Et je suis allé voir où étaient mes camarades. Fernandel venait juste d'être démobilisé parce qu'il faisait trop rire les passants quand il montait la garde. Je lui ai demandé de participer et il a tout naturellement accepté. Même chose pour Tino Rossi qui a très aimablement prêté son concours. J'ai réuni un superbe plateau et le gala, dans un cinéma des allées Meilhan, a rapporté un argent fou (...) »

« Ce théâtre a pour but, écrit Charles Trenet à Albert Bausil le 1er novembre 1939 depuis Marseille, d'apporter la récréation saine aux militaires des régions isolées : ligne Maginot, frontières, etc. Là-bas spectacles gratuits. A l'intérieur du pays : galas de bienfaisance au profit du foyer du soldat et de la caisse des soldats nécessiteux (fondation Ch.-Trenet). Deux troupes : celle de l'armée (vedettes mobilisées que je dirige) et celle où se joindront les vedettes féminines, ou non sous les drapeaux. Le théâtre des Ailes est celui de la 4è Région aérienne. Son slogan sera : "Un air nouveau." »

Il s'agit là de la première référence au théâtre des Ailes dont le gala d'ouverture est prévu le 19 novembre à Marseille. A cette occasion Charles écrit encore à l' « oncle Albert » le 14 novembre : « Je vous attends samedi à 11 heures du matin avec Pepa - en grand sur les affiches ! - (Pepa Bonafé, sa camarade et complice des revues de Bausil à Perpignan) à l'hôtel Beauveau. La matinée sera triomphale. Dînerons le soir avec Raimu, Fernandel, etc. » On notera enfin que c'est à cette époque que son premier roman, Dodo Manières, s'apprête à paraître (à partir du 24 février 1940) en feuilleton dans Candide : Trenet dans ses lettres y fait sans cesse allusion.

« Ce premier gala marseillais a si bien marché que le ministère de l'Air, à Paris, s'en est ému et m'a fait muter Porte de Versailles, poursuit Charles Trenet. C'est là que nous avons monté le théâtre des Ailes, qui était le théâtre de l'aviation. J'étais entouré de gens extraordinaires : Jean Wiener, qui m'accompagnait au piano, Guy Luypaerts, qui m'accompagnait aussi, et puis l'ancien champion du monde de boxe Georges Carpentier, et Albert Préjean aussi, qui était déjà capitaine. En outre le chef de la section des cuivres était Richard Blareau, qui par la suite est devenu chef d'orchestre de l'Opéra de Paris ! C'était une affiche vraiment somptueuse. Et pendant toute la "drôle de guerre", c'est-à-dire pendant huit mois, nous avons sillonné toutes les bases aériennes françaises où nous donnions des représentations. Moi, je chantais le répertoire qui m'avait fait un peu connaître : "Biguine à Bango", "La polka du roi", "Je chante", "Fleur bleue", "Y'a d'la joie", une dizaine de chansons qui étaient dans l'air, pour un numéro de cinquante minutes dans lequel je parlais entre les titres. »

Il parle, oui. Il parle poésie et amour. Imperturbable dans ce qui n'est pas encore la tourmente, Charles Trenet continue de rêver le monde, et de le rêver beau. Un message qui sonne un peu anachronique en cette époque où le ciel apparaît résolument plombé, où l'horizon de jour en jour s'obscurcit, cette période d'étrange flottement au cours de laquelle le général Weygand n'hésite pas à proclamer : « Je crois que l'armée française a une valeur plus grande qu'à aucun moment de son histoire. Elle possède un matériel de guerre de première qualité, des fortifications de premier ordre, un moral excellent et un haut commandement remarquable. Personne chez nous ne désire la guerre, mais j'affirme que si l'on nous oblige à gagner une nouvelle victoire, nous la gagnerons. »

Dans Paris où l'on se promène tête nue puisque l'usage des chapeaux a quasiment disparu, l'angoisse même de la déclaration de guerre va peu à peu se dissiper. On peut bien distribuer des masques à gaz aux populations, organiser des exercices de descente rapide dans les caves, faire mugir les sirènes d'alerte pour déclencher les répétitions et affûter les réflexes, personne ne veut croire au retour des horreurs de la guerre, personne ne veut croire aux bombardements, aux gaz, aux combats meurtriers, à la marche des troupes ennemies vers Paris. Personne ne veut croire à la peur et au sang, à la souffrance et aux larmes. Personne ne veut croire à la mort. La guerre, cette fois, n'aura pas lieu : la ligne Maginot est inexpugnable, et personne n'a envie de se battre ! L'affaire donc en restera là, à cette « drôle de guerre » sans odeur ni saveur, à ces interminables journées de molle incertitude. « Drôle de guerre » : une appellation inventée par André Billy, de l'Académie Goncourt, en 1943, qui ne trouvera un écho que bien des années plus tard.

Cet optimisme aveugle, pourtant, n'est pas partagé par tout le monde. Ainsi dans son livre Allegro appassionato (Belfond), Jean Wiener raconte-t-il cette aventure du théâtre des Ailes avec moins de bonne humeur que Charles. Qu'on en juge :

« ... Voici la pseudo-raison d'être de "Ceux de l'escadrille" : pour distraire les hommes de troupe et les aviateurs à qui on n'envoyait pas - et pour cause - les appareils qu'ils attendaient, on avait imaginé une sorte de tournée qui sillonnerait les routes et irait s'installer dans les baraques Adrian ou sous quelque hangar, transformés en salles de spectacle. On imaginerait un programme de variétés pour lequel on aurait le jeune et déjà célèbre Charles Trenet, le capitaine Préjean et l'orchestre de l'armée de l'air dirigé par Richard Blareau. »

A propos de Charles Trenet, Jean Wiener précise quelques pages plus loin : « (...) J'avais parfois quelques difficultés avec Charles Trenet qui était, bien entendu, la vedette du spectacle. Il disait - et j'étais d'accord avec lui : "Ou je suis 'trouffion' comme les autres, ou je suis le chanteur Charles Trenet ; si je dois répondre à l'appel chaque fois que j'entends un coup de trompette, je n'ai pas à m'exhiber ; si je suis le chanteur Charles Trenet, j'entends être libre et dispensé de toute contrainte, et dans ce cas seulement, j'irai distraire le général dans son château."

Nous allions vivre ainsi pendant quelques semaines, d'escadrilles en châteaux, de poulardes en vins de champagne. Dans chaque escadrille, on entendait à peu près les mêmes phrases : "On nous oublie, nous attendons des appareils..." Mais c'était le début du drame, de la "drôle de guerre". Moi, j'avais honte d'être là, de jouer ce rôle, ce rôle imbécile, cette comédie sinistre, confortablement commanditée par les "manufacteurs" de guerres. »

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