PAPA PEINT DANS LES BOIS
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1942 |
Calembours et contrepèteries dans la veine de Annie-Anna ("Papa peint dans les bois / Papa boit dans les pins"), et première chanson où Trenet laisse deviner son intérêt pour la peinture. Enregistrée à Bruxelles le même jour et publiée sur le même 78 tours que Ma rivière (cf. La poule zazou), Papa peint dans les bois réapparut également longtemps après dans l'album Chansons en liberté (1973) avec un couplet supplémentaire.
LA PEINTURE : UNE PASSION
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1973 ; Editions Lieu Commun)
Après la chanson, la peinture sera la seconde passion de la vie de Trenet. De lui sa mère disait : « Charles a raté sa vocation : il est né peintre. » Paradoxe ? Forfanterie ? Même pas ! Née très tôt, c'est là une passion qui ne le quittera jamais. Tout petit déjà il peint, en particulier lors des traditionnelles vacances à La Nouvelle. « Me voilà parti seul dans les rochers avec ma boîte d'aquarelle, écrit-il dans Mes jeunes années. Pour moi il s'agit de trouver un joli coin ; essayer d'en fixer l'image. C'est difficile de traduire cette perspective au bout de laquelle se dresse le phare qui ressemble à une ombrelle fermée. Et si j'ouvrais l'ombrelle ? Je l'ouvre. Le soir, je montre mon tableau.
- Pourquoi ce parapluie au fond de la jetée ?
- C'est pas un parapluie, c'est une ombrelle !
- Une ombrelle à la place du phare ?
- C'est pour que les bateaux n'aient pas trop de soleil.
- Tâche de faire ce que tu vois, conclut maman qui n'était pas encore habituée au surréalisme. »
Il a cinq ans alors ! A huit ans, il dessine des portraits de Landru, les tours de la cathédrale Saint-Just, sa mère assise au piano. C'est alors qu'il rencontre un ami de son père, le peintre Fons-Godail, qui l'initie à la poésie des couleurs - et l'on sait combien les couleurs jouent un grand rôle dans les chansons de Trenet ! Il racontera à Claude Chebel (Fidèle, France-Inter, 1983) :
« La peinture, c'était une évasion tout à fait physique que je pratiquais en compagnie d'un ami de mon père, Fons-Godail, une espèce de Renoir catalan, il avait à peu près ce talent-là. Il était très impressionniste, et c'est pour cela qu'il m'impressionnait beaucoup ! C'était un curieux personnage. Il avait inventé un parachute et s'était jeté du premier étage de la tour Eiffel ! Il s'était brisé les deux jambes d'ailleurs, et comme personne ne voulait lui acheter le brevet de son parachute, il avait inventé une machine à râper le chocolat... Tout cela est bien entendu dépassé aujourd'hui mais sa peinture, elle, s'est fixée. Seulement, comme il a très peu produit, il ne reste pas beaucoup de ses toiles. Heureusement, j'en possède quelques-unes.
Nous allions souvent peindre dans les admirables jardins de Saint-Jacques au mois d'avril, au moment de la floraison des pêchers. Il emportait son chevalet, et moi, qui n'avais pas les moyens alors d'en posséder un, je mettais mon petit carton sur mes genoux. Il me donnait de très bons conseils ; grâce à lui j'ai réalisé des tableaux qui ne sont pas trop mauvais, qui peuvent se voir encore, en tout cas qui pour moi ont une grande valeur sentimentale. »
Fidèle toujours aux compagnons de son enfance, Charles Trenet plus tard dédiera même une chanson à l'ami du parc Saint-Jacques :
(...) Les pierres de taille
Du mur romain
C'est Fons-Godail
Qui les a peints
Mort en chandail
Mon vieux copain le rapin...
Jusqu'en 1929 au moins, jusqu'à son séjour à la Künstgewerbeschule de Berlin, le petit Charles veut être peintre : la peinture est sans doute la principale occupation de ses jeunes années, et sa passion. Et, déjà, il expose. Les premières traces de cette activité de celui qui n'est encore qu'un enfant remontent au 29 janvier 1927. Ce jour-là, Le Coq catalan écrit :
« Trois toiles rutilantes de joie, de fougue et de lumière (on notera ici l'analogie avec ce que l'on écrira plus tard de ses chansons) attirent les regards et retiennent l'attention, cette semaine, à la vitrine de Parès-Tailor. Elles sont signées Charles Trenet, le plus jeune fils de notre ami Lucien Trenet, notaire à Perpignan.
Nous adressons nos compliment affectueusement charmés au jeune artiste qui n'a pas encore quatorze ans et qui témoigne déjà de dons exceptionnels et d'un tempérament remarquablement affirmé. »
Quelques mois plus tard, le 22 mai 1927, on peut lire :
« Dans la magnifique devanture de M. Parès, tailleur, rue des Marchands, notre jeune ami Charles Trenet expose quelques-unes de ses peintures et aquarelles.
Beaucoup de goût, de dessin personnel, de sentiment artistique sincère.
C'est jeune et ça sait !
Nos meilleurs encouragements à Charles Trenet. »
La même année, le 26 novembre cette fois, Le Coq catalan publie encore cet article d'une remarquable lucidité :
« A la vitrine de Campistro, place Laborie. Des coins d'océan et de forêt, des sous-bois et des marines d'Arcachon vus par des yeux d'enfant mais exprimés avec une fougue, une sincérité, une richesse de tons, une luminosité radieuse qui dénotent le tempérament véritable, la sensibilité la plus rare et la plus curieuse... Il ne faut pas trop louer les jeunes. Charles Trenet n'a pas quinze ans. Lui dire qu'il n'a plus rien à apprendre, qu'il est en possession de ses moyens définitifs serait lui rendre un mauvais service et manquer à la vérité. Mais tel qu'il est, il mérite mieux que la banalité des encouragements de complaisance. Pour nous qui suivons depuis si longtemps, avec plus de résignation que de surprise, l'éclosion des aspirations roussillonnaises, c'est une joie de voir se lever devant la splendeur de nos paysages une volonté aussi richement douée, une émotion visuelle de ce charme et de cette qualité.
Evidemment, c'est jeune. Ça n'a pas le respect absolu du classicisme et des traditions d'école. Le petit peintre aux mollets nus ne voit pas la nature comme un joli chromo vert et rose susceptible de provoquer l'extase roucoulante des professeurs sur éventail. Mais cette indiscipline un peu insolente n'est pas le moindre charme de sa personnalité. Or, avoir une personnalité à cet âge, c'est déjà mieux que d'avoir du talent et les palmes académiques.
Lloansi se réserve le plaisir de donner son opinion sur les toiles de Charles Trenet. Le Coq d'aujourd'hui est tout heureux de lui décerner une mention plus qu'honorable et d'inscrire son nom sur le palmarès amical, parmi ceux que nous suivons avec le plus franc intérêt et le plus affectueux contentement. »
C'est le 3 mars 1928 que Cyprien Lloansi, comme annoncé dans Le Coq, donnera son opinion. A propos des toiles de celui qui plus tard sera son ami, il écrit, autre jugement prémonitoire :
« Une toile de Charles Trenet dans la vitrine de Letrain, sous la Barre... Des maisons de pêcheurs, heurtées de soleil, contre une colline vigoureusement illuminée, au bord de la mer où tremblent des reflets. Un Collioure vu par un jeune.
L'acidité des pommes vertes, des couleurs fraîches et chantantes, une fougue un peu irréfléchie et ce délicieux arbitraire qui augmente le charme d'une toile éminemment précoce.
Chaque tableau de Charles Trenet ressemble à un manifeste. Il y a là une explosion d'indépendance, une affirmation de tempérament révolutionnaire. Grâces soient rendues à ses sincérités. Un gamin de quinze ans ose peindre et avoir des idées personnelles, à l'âge où l'on s'en tient ordinairement aux pâles copies et aux admirations toutes faites. Tant pis pour les myopes, auteurs d'aquarelles à l'usage des pensionnats.
Parmi cette génération d'après-guerre, si pauvre en natures artistes, Charles Trenet est un poète aux yeux neufs.
Après cela, allez discuter de la justesse d'un ton, sur telle ou telle imperfection de facture, sur une audace de conception plus ou moins agréable ! Charles Trenet suivra son chemin. Il nous présente actuellement mieux que des essais appliqués : de belles promesses intempérantes. "J'accepte la Révolution avec les massacres de septembre", disait Clémenceau. J'accepte le jeune Charles Trenet avec ses outrances, dis-je. Et je crois que les éloges qu'il recueille à ses débuts ne lui nuiront point, pas plus que les appréciations malveillantes des arbitres de sous-préfecture.
Il appartient aux meilleurs, en effet, d'être particulièrement sévères pour leurs productions et de trouver, eux-mêmes, leur vérité. »
Un texte prémonitoire, oui, où pour la première fois il est question du caractère « révolutionnaire » du petit Charles et, déjà, de son âme de poète.
A son retour de Berlin, Charles Trenet exposera à nouveau dans la vitrine de ce Campistro, en janvier 1930, sur le thème « Impressions d'Allemagne ». Et, par la suite, jamais il ne cessera de peindre, exposant de temps à autre ; sa première exposition parisienne se situe juste au lendemain de la guerre, à la galerie Delpierre, rue La Boétie : trente toiles réunies sous le titre « Paysages de mémoire ».
La peinture, donc, aura été l'un des grands bonheurs de sa vie, et une compagne, la peinture dont il dit : « C'est une autre forme d'écriture. Le pinceau peut exprimer des sentiments aussi bien que la plume. C'est aussi un extraordinaire moyen de communiquer avec la nature. Une façon de s'envoler vers d'autres horizons. »