MAMAN, NE VENDS PAS LA MAISON
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Johnny Hess | |
Interprètes | Charles et Johnny | |
Année | 1935 |
Sans doute la chanson qui laisse le mieux deviner le mécanisme de la création artistique chez Trenet : il suffit de voir comment le père est expédié en deux vers méprisants, incapable qu'il est d'entretenir sa famille, et comment son fils prend sa place en promettant de "gagner bientôt le million" et d'offrir à sa mère-épouse tout ce qu'elle désire (la liste se terminant par "une petite auto", trait de génie qui renvoie le pseudo-mari à ses jeux d'enfant) pour identifier un complexe d'Œdipe mal refoulé. Il suffit aussi de voir comment l'histoire se termine par un happy end totalement arbitraire pour comprendre comment la création d'une chanson permet à Trenet de plier la dure réalité à ses désirs de "grand garçon". L'âge venant, l'auteur prendra d'ailleurs si bien conscience d'en avoir trop dit qu'il censurera tous les passages trop parlants dans sa version en solo de Maman, ne vends pas la maison (album Chansons sans époque ; 1968). Ne restera alors qu'un "Mais toi malgré tes cheveux gris / Tu es jolie" pour témoigner de confidences plus troublantes.
LE COMPLEXE D'ŒDIPE
(Cinq leçons sur la psychanalyse ; Sigmund Freud ; 1910 ; traduction par Yves Le Lay ; 1921)
Revenons encore une fois à l'évolution sexuelle de l'enfant. Il nous faut réparer bien des oublis, du fait que nous avons porté notre attention sur les manifestations somatiques plutôt que sur les manifestations psychiques de la vie sexuelle. Le choix primitif de l'objet chez l'enfant (choix qui dépend de l'indigence de ses moyens) est très intéressant. L'enfant se tourne d'abord vers ceux qui s'occupent de lui ; mais ceux-ci disparaissent bientôt derrière les parents. Les rapports de l'enfant avec les parents, comme le prouvent l'observation directe de l'enfant et l'étude analytique de l'adulte, ne sont nullement dépourvus d'éléments sexuels. L'enfant prend ses deux parents et surtout l'un d'eux, comme objets de désirs. D'habitude, il obéit à une impulsion des parents eux-mêmes, dont la tendresse porte un caractère nettement sexuel, inhibé il est vrai dans ses fins. La père préfère généralement la fille, la mère le fils. L'enfant réagit de la manière suivante : le fils désire se mettre à la place du père, la fille, à celle de la mère. Les sentiments qui s'éveillent dans ces rapports de parents à enfants et dans ceux qui en dérivent entre frères et sœurs ne sont pas seulement positifs, c'est-à-dire tendres : ils sont aussi négatifs, c'est-à-dire hostiles. Le complexe ainsi formé est condamné à un refoulement rapide ; mais, du fond de l'inconscient, il exerce encore une action importante et durable. Nous pouvons supposer qu'il constitue, avec ses dérivés, le complexe central de chaque névrose, et nous nous attendons à le trouver non moins actif dans les autres domaines de la vie psychique. Le mythe du roi Œdipe qui tue son père et prend sa mère pour femme est une manifestation peu modifiée du désir infantile contre lequel se dresse plus tard, pour le repousser, la barrière de l'inceste. Au fond du drame d'Hamlet, de Shakespeare, on retrouve cette même idée d'un complexe incestueux, mais mieux voilé.
A l'époque où l'enfant est dominé par ce complexe central non encore refoulé, une partie importante de son activité intellectuelle se met au service de ses désirs. Il commence à chercher d'où viennent les enfants, et, au moyen des indices qui lui sont donnés, il devine la réalité plus que les adultes ne le pensent. D'ordinaire, c'est la menace que constitue la venue d'un nouvel enfant, en qui il ne voit d'abord qu'un concurrent qui lui disputera des biens matériels, qui éveille sa curiosité. Sous l'influence d'instincts partiels, il va se mettre à échafauder un certain nombre de théories sexuelles infantiles ; il attribuera aux deux sexes les mêmes organes ; les enfants, pense-t-il, sont conçus en mangeant et ils viennent par l'extrémité de l'intestin ; il conçoit le rapport des sexes comme un acte d'hostilité, une sorte de domination violente. Mais sa propre constitution encore impubère, son ignorance notamment des organes féminins, obligent le jeune chercheur à abandonner son travail sans espoir. Toutefois, cette recherche, ainsi que les différentes théories qu'elle produit, influe de manière décisive sur le caractère de l'enfant et ses névroses ultérieures.
Il est inévitable et tout à fait logique que l'enfant fasse de ses parents l'objet de ses premiers choix amoureux. Toutefois, il ne faut pas que sa libido reste fixée à ces premiers objets : elle doit se contenter de les prendre plus tard comme modèles et, à l'époque du choix définitif, passer de ceux-ci à des personnes étrangères. L'enfant doit se détacher de ses parents : c'est indispensable pour qu'il puisse jouer son rôle social. A l'époque où le refoulement fait son choix parmi les instincts partiels de la sexualité, et, plus tard, quand il faut se détacher de l'influence des parents (influence qui a fait les principaux frais de ce refoulement), l'éducation a de sérieux devoirs, qui, actuellement, ne sont pas toujours remplis avec intelligence.
Ces considérations sur la vie sexuelle et le développement pyscho-sexuel ne nous ont pas éloignés, comme il pourrait le paraître, ni de la psychanalyse, ni du traitement des névroses. Bien au contraire, on pourrait définir le traitement psychanalytique comme une éducation progressive pour surmonter chez chacun de nous les résidus de l'enfance.