LES PETITS REGRETS

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1959

Projets avortés et amours "Qui n'ont duré qu'un soir" : un Trenet mélancolique en proie aux "petits regrets / Qui viennent vous pincer le cœur".

UN PETIT REGRET
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)

Dans toutes ses maisons Charles Trenet a accroché quelques-unes de ses propres toiles comme, à La Varenne, cette vue d'Aix-en-Provence qu'il avait peinte de manière peu orthodoxe en la badigeonnant de bleu puis en enlevant peu à peu ce bleu au détacheur jusqu'à faire surgir le paysage de ses rêves... Mais la peinture sera aussi l'un des plus grands regrets de cet homme qui, poète et musicien, avait décidément tous les dons. En septembre 1981 il dira à Rémy Kolpa-Kopoul, de Libération, qui lui demande s'il a le sentiment d'avoir manqué quelque chose dans sa vie ou sa carrière :

« J'ai souvent regretté de ne pas avoir continué à faire de la peinture. J'ai fait l'école des Arts décoratifs à Marseille, et quand j'ai commencé la chanson, on me disait toujours, dans ma famille, "peintre, ce n'est pas comme le music-hall, c'est un vrai métier." Je n'ai jamais vraiment repris les pinceaux, mais il y a quelques années, lors d'un reportage de la télévision suisse, on m'a demandé de dessiner quelque chose. En un quart d'heure, j'avais déjà bien avancé l'esquisse et la mise en place. »

Et puis, parce qu'il ne peut s'en s'empêcher même au plus fort de ses passions, Trenet finit par évacuer le sujet sur une pirouette, manière de marquer aussi que jusqu'au bout il ne se prendra pas au sérieux :

« Ne parlons pas de mes tableaux qui sont bien peu de chose, mais qui me permettent parfois de passer des moments agréables que l'on peut comparer à ceux du pêcheur à la ligne. Il m'est arrivé une fois de peindre un sujet vivant qui est devenu une nature morte car je m'étais mis en devoir de traiter le sujet d'un homme assis à son bureau, d'un homme d'affaires, et puis tous les jours je travaillais le tableau et je corrigeais certains mouvements du personnage, si bien que le monsieur petit à petit se leva, ouvrit la porte et sortit, il ne resta plus que le bureau, c'était une nature morte !... »

Plus grave, à Claude Chebel, il dira encore :

« Il ne faut pas trop exposer. Cocteau disait : "Quand on expose, on s'expose !" Il m'avait raconté une histoire extraordinaire. Une dame était venue le voir un jour pour un journal d'art. Jean avait tapissé tous les murs de choses très jolies, très décoratives et il y avait là tout de même quelques tableaux de lui qu'il comptait exposer en Suisse. Justement pour ne pas s'exposer ! Elle voit donc ces tableaux, les trouve magnifiques et, en sortant, elle avise deux grandes toiles d'une facture extraordinaire, très ancienne et très différente de celle de Jean, et elle demande : "Que sont ces merveilleux tableaux ? - Ce sont des Gréco. - Ah, je ne savais pas qu'elle peignait !..."

La peinture, j'en fais encore un peu de temps en temps, à ce qu'on appelle des moments perdus et qui sont finalement des moments gagnés. Quand j'avais dix-huit ans, j'avais un certain métier de peintre que j'ai oublié par la suite mais qui revient un peu maintenant. Si je ne fais pas d'expositions, j'ai trouvé un moyen détourné : illustrer chacun de mes albums par une toile.

J'ai chez moi quelques très beaux tableaux. Pas d'une valeur considérable mais très beaux. J'ai eu la chance d'avoir des amis peintres. Ainsi j'ai un Chirico magnifique, un Laprade, un dessin de Renoir représentant une femme entrant au bain, un très joli Marie Laurencin aussi (1). Pourquoi ne collectionnerait-on pas les œuvres d'art ? J'ai un Rodin, une étude pour le baiser, et de très belles tapisseries encore. L'autre jour, je suis allé dîner à la Coupole et le directeur m'a montré un vieux livre d'or où j'avais signé en compagnie de Vlaminck et Derain. Ils se ressemblaient un peu physiquement et ils faisaient de la bicyclette ensemble : du tandem. Ça datait de longtemps et ça m'a ému de revoir ce livre.

Quand on songe qu'aujourd'hui trois pommes peintes par Cézanne se vendent des millions et des millions, c'est fou ! C'est un peu exagéré aussi, parce que la peinture atteint parfois des prix tellement astronomiques qu'on se demande ce que cela vaut vraiment.

- Vous valez combien le point ?

- Moi je n'ai que des points de retraite ! »

Un autre jour, en 1982, il répondra « sans pirouettes » à quelques questions sur cet art différent - sur cet autre talent :

« Depuis quand peignez-vous ?

- Très jeune, depuis l'âge de sept ans. Ma mère nous emmenait alors, mon frère et moi, sur les plages autour de Narbonne, surtout celle de La Nouvelle, avec nos boîtes de couleur.

- Quels sont vos sujets d'inspiration ?

- Essentiellement les paysages, les bords de mer. Les endroits que j'ai aimés dans mon enfance, et que j'ai peints, certains de mémoire, longtemps après.

- Combien de tableaux avez-vous peints ?

- A ce jour, près de trois cents. La plupart ont été vendus il y a longtemps, les autres sont dans mes maisons de La Varenne, Aix-en-Provence, Juan-les-Pins et Perpignan.

- Avez-vous déjà exposé à Paris ?

- J'ai fait une exposition pendant la guerre chez Delpierre. L'exposition s'appelait "Paysages de mémoire", car ils n'étaient pas peints devant le sujet, mais à Aix-en-Provence et de mémoire... Telle cette vue de La Varenne avec la tour Eiffel au fond, que j'avais rajoutée. En réalité, cette vue n'existe pas, mais ça m'a amusé de peindre une tour Eiffel sous le soleil du Midi !

- Pensez-vous qu'il y a un rapport entre la musique et la peinture ?

- Oui, car ce sont les mêmes mots que l'on emploie dans le langage "musical" et "pictural", comme : nuances, tonalités, climats...

- Vers quels maîtres vont vos préférences ?

- Les impressionnistes surtout. Et puis, j'aime aussi Manet et Vélasquez. J'ai été influencé par Cézanne, et j'ai hésité dix ans avant d'oser peindre la montagne Sainte-Victoire, que j'appelle d'ailleurs "la montagne de Cézanne". (Le Domaine des esprits, propriété de Charles Trenet à Aix, offre une vue superbe sur la montagne Sainte-Victoire.) »

(1) La peinture est présente dans l'œuvre de Charles Trenet ; ainsi sa chanson Le jardin extraordinaire est justement inspirée d'un tableau de Laprade. Autre exemple : Coin de rue (1954) lui a été inspirée par un tableau d'Utrillo, vu au domicile même du peintre, et qui l'avait beaucoup frappé.

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