LES INDIENS
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1993 (inédit 2006) |
Une suite quasi ininterrompue de calembours en piano-voix sur les Indiens de ces westerns (mais il y a aussi les Incas et les Aztèques) qui faisaient rêver "Les enfants sages des villes" quand Trenet était petit.
WESTERN : LA CINQUIÈME GÉNÉRATION
(Les Collections de L'Histoire n°54 ; Farid Ameur ; janvier-mars 2012)
Depuis la naissance du cinéma, la conquête de l'Ouest demeure aux États-Unis un sujet inépuisable. La figure de l'Indien n'a jamais cessé d'y être caricaturée. Bon sauvage dans le cinéma muet, l'Indien est devenu l'ennemi par excellence avant d'incarner les nouvelles valeurs écologistes.
Le 24 septembre 1894, Thomas Edison et ses techniciens filment une séquence insolite dans le studio de Black Maria, dans le New Jersey. Saisissant l'aubaine du passage de la troupe du Buffalo Bill's Wild West Show, ils ont réussi à convaincre quelques Sioux d'exécuter une « danse des Esprits » devant la caméra. Certes, la scène ne dure qu'une poignée de secondes. L'image est floue, la prise de vue erratique et, en fin de compte, l'intérêt de la bobine apparaît plus ethnographique qu'historique. Il n'empêche que le grand inventeur a atteint le but qu'il s'était fixé en immortalisant à l'écran des Indiens qui, avant de faire leur soumission, ont combattu les tuniques bleues aux côtés de Sitting Bull. Ce film, l'un des premiers réalisés aux États-Unis, est le précurseur du western, un genre dans lequel la mythologie de la conquête de l'Ouest devait trouver ses lettres de noblesse (1).
1. LE BON SAUVAGE
Contrairement à une idée reçue, l'Indien connaît des débuts prometteurs à l'époque du cinéma muet. A la veille du premier conflit mondial, l'heure est à l'exploitation d'une imagerie naïve et naturaliste. Le mythe du « bon sauvage » refait surface. Face à la cupidité des Blancs, les Indiens sont représentés comme des individus stoïques, intègres et fiers, vivant en osmose avec la nature.
S'ils versent dans le stéréotype, les réalisateurs s'attachent surtout à mettre en exergue des scènes de la vie quotidienne, d'où la dimension ethnologique de courts métrages tels que L'Amour d'une squaw (1911) de David W. Griffith et La Romance de Petite Colombe (1911) de Thomas Ince. Dans Nanouk l'Esquimau (1921), Robert Flaherty décrit le mode de vie d'un Inuit de la côte Est de la baie d'Hudson, de ses méthodes de navigation, de chasse et de pêche, à la fabrication d'un igloo au milieu de la banquise.
Rares sont cependant les réalisateurs à afficher un parti pris pro-indien. Seul Griffith, dans Le Massacre (1914), suggère le triste sort réservé aux tribus amérindiennes. Les Indiens n'y déterrent la hache de guerre qu'après avoir été attaqués par la cavalerie et s'ils finissent par être vaincus, leur sens de l'honneur est exalté.
2. PEAUX-ROUGES ET TUNIQUES BLEUES
A la fin des années 1930, à l'ère du parlant, s'élabore la forme classique du western sous l'impulsion de John Ford, Raoul Walsh et Cecil B. DeMille. Pour répondre aux attentes d'un public friand d'action, le souffle d'une épopée, celle de la conquête de l'Ouest, inspire les productions hollywoodiennes. Les « Peaux-Rouges » sont représentés comme des obstacles aux progrès de la civilisation, à la « destinée manifeste » du peuple américain. A dessein, les cinéastes leur prêtent des traits grossiers. Sauvages et cruels, perfides et dépourvus de la moindre intelligence, ils doivent faire peur (2). Ces hordes de guerriers hurlants et parés de plumes encerclent le convoi de pionniers au milieu de la prairie, dispersent leurs chevaux, décochent des flèches et s'enfuient au galop lorsque paraît la colonne de cavalerie appelée en renfort.
Parce que les « visages pâles » traversent leur territoire, les Indiens prennent le sentier de la guerre, se livrent à une série de déprédations, scalpent leurs victimes, enlèvent femmes et enfants, torturent leurs prisonniers qu'ils attachent à un poteau ou à une roue. Tel est le sort réservé à Gary Cooper dans Une aventure de Buffalo Bill (1936) de Cecil B. DeMille. Dans La Captive aux yeux clairs (1952), réalisé par Howard Hawks, Kirk Douglas échappe miraculeusement aux Sioux lancés à sa poursuite. Dans La Charge fantastique (1941) de Raoul Walsh, Errol Flynn, qui y joue le rôle de Custer, trouve une mort héroïque à Little Big Horn. Le clou du film est resté dans les mémoires. Debout près de son fanion personnel, le commandant du septième de cavalerie est le dernier survivant du côté des tuniques bleues. Le regard fier et poitrine au vent, il tombe après un ultime face-à-face avec les Sioux.
Dans sa trilogie à la gloire de la cavalerie américaine (Le Massacre de Fort Apache en 1948, La Charge héroïque en 1949 et Rio Grande en 1950), qui assied la renommée de John Wayne, le cinéaste John Ford nous livre une version aussi manichéenne de la conquête de l'Ouest. L'Amérique conservatrice des années 1950 applaudit ces diverses productions cinématographiques. En période de guerre froide, elles imposent le respect de l'uniforme et des mœurs puritaines en même temps qu'elles font valoir l'idée que le droit a toujours été du côté des États-Unis. Qui s'attaque à leur puissance doit s'attendre à des représailles. Somme toute, la figure de l'Indien symbolise l'Ennemi, celui qui a toujours tort, avec lequel on ne peut s'entendre et qui finit par expier ses crimes.
3. DE QUELQUES EXCEPTIONS
Certes, quelques westerns échappent à la règle. Dans La Flèche brisée (1950), Delmer Daves s'inscrit à contre-courant en présentant Cochise, le redoutable chef apache, sous des traits avantageux. Intègre, réfléchi et éloquent, il parvient, non sans mal, à contenir l'agressivité de ses guerriers au nom de l'intérêt général. Vers la fin de sa carrière, John Ford, véritable maître du genre, apporte une touche plus nuancée à sa vision de la conquête de l'Ouest. Dans La Prisonnière du désert (1956), il innove en mettant en scène des exactions dont ont été victimes les Indiens. Il se révèle plus audacieux dans Les Cheyennes (1964), son dernier western et sans doute le plus émouvant. S'appuyant sur une histoire vraie, il y rend un vibrant hommage à la souffrance d'un peuple exilé, harcelé par l'armée, qui tente de regagner ses terres ancestrales en bravant le froid et la faim. « Ce sera l'Ouest vu du côté des Indiens, a annoncé John Ford durant le tournage. J'ai tué plus d'Indiens dans ma carrière que n'importe quel réalisateur, alors j'ai pensé que ce ne serait que justice si je racontais maintenant leur point de vue... » (3)
Mais on aurait tort de penser que les stéréotypes ont vécu. Même dans ces westerns atypiques, les Indiens incarnent la marginalité. Ils se tiennent obstinément à l'écart de la civilisation anglo-saxonne, baragouinant quelques mots d'anglais, et, dès la nuit tombée, communiquant en imitant des cris d'animaux. La condescendance est de mise.
Un autre signe ne trompe pas. Pour incarner des rôles secondaires indiens, on fait appel à des acteurs blancs. Anthony Quinn, Burt Lancaster, Charles Bronson et Rock Hudson, pour n'en citer que quelques-uns, ont « joué à l'Indien ». Jeff Chandler a reçu un oscar pour son rôle de Cochise dans La Flèche brisée. Seul Jay Silverheels, de la tribu des Mohawks, fait exception avec son rôle de Tonto dans Le Justicier solitaire (1956) (4). Les Indiens restent les faire-valoir des tuniques bleues, des trappeurs, des pionniers et des cow-boys.
4. HÉROS DE LA CONTRE-CULTURE
Le renversement de cette image intervient à la fin des années 1960 avec l'essor de la contre-culture. Les États-Unis sont secoués par une remise en cause sociale et culturelle qui conduit notamment les réalisateurs à réinterpréter le rôle des minorités (5). Sous l'impulsion de Dennis Banks, les militants de l'American Indian Movement (AIM) n'hésitent pas à aller manifester devant des salles de cinéma. L'image de l'Indien est retournée. Il devient le héros malheureux de la conquête de l'Ouest, qui a noblement défendu son mode de vie et sa terre face à d'injustes prétentions. Bien qu'ils dépassent rarement la simple antithèse des westerns d'autrefois, les personnages indiens étant enfermés dans des schémas simplificateurs, certains films ont laissé leur empreinte dans l'histoire du cinéma (6).
Dans Little Big Man (1970) d'Arthur Penn, l'horreur des guerres indiennes nous est racontée à travers les tribulations de Jack Crabb, ballotté du monde des Blancs à celui des Indiens depuis qu'il a été recueilli, enfant, par les Cheyennes. A la croisée de la comédie, de l'aventure et du drame, ce film offre une vision idyllique de la vie tribale - avec, aux côtés de Dustin Hoffman, le rôle de Peaux-de-la-Vieille-Hutte incarné par Dan George, un chef de la tribu salish de Colombie-Britannique (7) - et condamne l'ambition ethnocidaire des Blancs. La reconstitution du massacre de la Washita est à la limite du soutenable. Comme dans Soldat bleu (1970), de Ralph Nelson, où c'est au tour de la tuerie de Sand Creek d'être mise en scène de façon encore plus crue, elle établit un parallèle avec les exactions commises par l'armée américaine au Vietnam, comme celui de My Lai en 1968. Les tuniques bleues ne sont plus en odeur de sainteté : ils pillent, tuent et violent des innocents.
Il arrive qu'on se soucie désormais de véracité historique. Dans Un homme nommé Cheval (1970) d'Elliot Silverstein, l'accent est mis sur les rites et coutumes des Sioux. Dans Jeremiah Johnson (1972), Sidney Pollack signe une œuvre environnementaliste. Le trappeur qu'incarne Robert Redford trouve dans le monde indien un plein équilibre que l'arrivée des Blancs finit par perturber. Dans La Porte du paradis (1980), Michael Cimino souligne l'âpreté des luttes sociales au cours de la conquête de l'Ouest. A Hollywood, les Indiens sont devenus les porte-parole d'une nouvelle forme de contestation, tout à la fois spirituelle, politique et sociale. Ils incarnent la remise en cause des valeurs de l'Occident et de sa foi dans le progrès. Les événements de Wounded Knee et d'Alcatraz ont frappé les esprits. En 1973 déjà, Marlon Brando, qui a prénommé l'une de ses filles Cheyenne, avait refusé l'oscar du meilleur acteur pour son rôle dans Le Parrain de manière à témoigner sa solidarité envers les premiers habitants du continent.
Il faut cependant attendre le début des années 1990 pour que le pas décisif soit franchi. Le mérite en revient principalement au succès planétaire de Danse avec les loups (1990), de et avec Kevin Costner. Adapté d'un roman de Michael Blake, le film aux sept oscars retrace les aventures d'un lieutenant de la cavalerie américaine, lequel se lie avec les Sioux au point de tout connaître de leurs coutumes et de se fondre parmi eux. La beauté des paysages, une incroyable chasse aux bisons, contribuent au succès de cette vaste fresque écologique, bien que son originalité soit de mettre en scène des dialogues en langue lakota et de se signaler par la présence d'acteurs amérindiens, notamment l'Omaha Will Grant et l'Oneida Graham Greene. Surtout, Costner fait école.
5. LES INDIENS SONT À LA MODE
A Hollywood, les Indiens sont à la mode. En 1992, Michael Mann, qui s'était déclaré « sensible à l'injustice faite aux Indiens », réalise une excellente version du Dernier des Mohicans avec Daniel Day-Lewis dans le rôle principal. La même année sort Cœur de Tonnerre de Michael Apted, qui relate les pérégrinations d'un agent du FBI d'origine amérindienne, envoyé dans une réserve sioux pour élucider un meurtre, mais dont le séjour va peu à peu lui permettre de renouer avec ses valeurs ancestrales (8). Dans Geronimo (1993) de Walter Hill, le drame des guerres indiennes est abordé de front. Wes Studi, un habitué des rôles d'Indiens, y incarne un chef apache humilié, dépité par les fausses promesses des Blancs et déporté en Floride dans des conditions effroyables.
Le cinéma amérindien, à proprement parler, naît à la même époque. En 1998, Chris Eyre, d'origines cheyenne et arapaho, réalise Phoenix, Arizona, un film à petit budget tiré des nouvelles de l'écrivain Sherman Alexie, lui-même membre de la tribu spokane. Il raconte l'odyssée tragi-comique de deux jeunes Amérindiens, en conflit avec leurs familles, à travers l'Ouest américain : l'occasion d'une méditation sur leurs origines, leur condition sociale et le délabrement des réserves où règnent pauvreté, alcoolisme et chômage (9). Faute de moyens, la source s'est quelque peu tarie. Aujourd'hui, le cinéma indien n'existe guère qu'au travers de films ou de documentaires de réalisateurs indépendants tels que Sandra Johnson Osawa, de la tribu Makah.
À Hollywood, qui plus est, l'effet de mode est passé. Comme pour le petit écran, les Indiens servent le plus souvent de support à une trame de fond et à la réappropriation de personnages historiques, notamment dans Le Nouveau Monde (2005) de Terrence Malick, où la princesse Pocahontas vient au secours du capitaine Smith. Si les cinéastes se targuent de respecter le « politiquement correct », ils hésitent encore à confier des premiers rôles à des Indiens. Les westerns se font rares, et avec eux les Indiens à l'écran, comme si les deux étaient liés inextricablement.
D'autres stéréotypes ont vu le jour. Une frustration qu'exprime sans ambages l'acteur Graham Greene : « Maintenant que nous avons cessé d'être les méchants ou les "bons sauvages" de service, les réalisateurs se sentent tous obligés de faire de l'Amérindien un être mystique, mal dans sa peau, forcément en quête de ses racines... » La question est toute posée. Finiront-ils un jour, dans la vie quotidienne comme dans la fiction, par être considérés comme des Américains à part entière ?
(1) Cf. G. Bataille, C. Silet, The Pretend Indians : images of Native Americans in the Movies, Ames, Iowa State University Press, 1981, et P. Rollins, J. O'Connor (dir), Hollywood's Indian : The Portrayal of the American Indian in Film, Lexington, University Press of Kentucky, 1998.
(2) A. Garrait-Bourrier, « L'iconographie de l'Indien dans le cinéma américain : de la manipulation de l'image à sa reconquête », Revue USA, vol. II, n°6, 2004, pp. 10-30.
(3) Cité par L. Anderson, John Ford, Hatier, 1985, p. 61.
(4) En 1979, il devient le premier acteur amérindien à avoir droit à son étoile dans le prestigieux Walk of Fame d'Hollywood Boulevard.
(5) Cf. Vine Deloria, Custer Died for Your Sins : An Indian Manifesto, Norman, University of Oklahoma Press, réed. 1988.
(6) Cf. J. Rostkowski, Le Renouveau Indien aux Etats-Unis, Albin Michel, réed. 2001, p. 278.
(7) Sa prestation lui vaudra une nomination aux Oscars.
(8) Cf. A. Garrait-Bourrier, art. cit.
(9) Cf. J. Rostkowski, op. cit., p. 280.