LE REVENANT

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1970

Après une introduction qui cite la Sonate au clair de lune de Beethoven (le deuxième et dernier emprunt, après Les bœufs, de Trenet à la musique dite classique), l'auteur se replonge, à la suite de L'épicière, dans les cauchemars de son enfance, mais ceux cette fois liés à la maison natale de Narbonne, des cauchemars qui défilent dans une succession de tableaux hallucinés (parmi lesquels une nouvelle apparition du diable, "Pieds fourchus et front cornu"), avant un final plus apaisé où le petit garçon, bercé par "Un train [qui] passe dans la nuit", rêve "De Paris, de la Tour Eiffel / (...) / Et de ne vivre que pour chanter".

LA MAISON DE NARBONNE
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)

A Saint-Chinian, saisie dans la quiétude d'une existence doucement provinciale, la famille Trenet une fois de plus va faire ses malles lorsque, en janvier 1915, Lucien le père est mobilisé : retour à la case départ, on réinvestit à la hâte la maison de Narbonne et Jeanne, la « nounou », est congédiée, au grand désespoir du petit Charles. L'enfant, qui va avoir deux ans, passera ici quelques années de tendres découvertes, ces années capitales de l'éveil au monde et à la vie qui, à jamais, le marqueront de leur empreinte nimbée de nostalgie. Narbonne, c'est son « pays », sa terre nourricière, et cette maison ocre avec ses volets verts sera son « nid », pour toujours. Des années plus tard, alors que son fils sera devenu une vedette universelle, Mme Trenet écrira : « Les vrais souvenirs de Charles, c'est Narbonne, c'est la grande maison, près de la passerelle ; les placards mystérieux dans lesquels on entassait tant de choses inutiles, c'est le vent, la poussière, les trains qui passaient sans relâche devant chez nous, faisant trembler l'immeuble et vibrer les vitres. C'est aussi l'atelier vaste, enfumé, qui sentait le bois, la résine, la colle - mes parents étaient fabricants de futailles. Toutes ces images, ces odeurs, ces bruits sont restés dans sa mémoire ; il ne peut les oublier. Charles a aimé la grande maison familiale, la salle à manger où le bois de châtaignier claquait et pétillait ; le hall pavé de carreaux noirs et blancs qu'il barbouillait de craie, sous les yeux indulgents et attendris de ses deux grands-mères ; l'escalier, les deux étages qu'on devait grimper pour aller dormir... C'est là la source dont ont jailli tant de poèmes que le public ignore encore et tant de chansons qu'il connaît... »

De son côté Charles Trenet lui-même, en 1953, évoquera cette maison de son enfance où naquirent tant d'images, tant de rêveries dont jamais, par la suite, il ne parviendra à se défaire :

« La voici, ma maison, elle dresse sa façade d'enfance, car elle est restée très enfant, cette vieille baraque, cette vieille folle pleine de courants d'air, de fantômes et d'armoires à glaces mortes. Ses couloirs sont obscurs. Qu'y avait-il au fond de ses placards ? Grand-père était-il un assassin ? Avait-il enfermé là ses douze femmes ? Je les ai vues un jour, ces douze femmes de mon grand-père. Ce n'étaient que douze vieilles robes pendant sur des cintres. Odeur de naphtaline, et de remèdes pour le cœur, odeur de laurier, odeur du laurier des sauces, véritable utilisation du laurier, odeur indéfinissable de moisi de la chambre de bonne-maman qui menait une vie de vertiges, de repassage et d'eau de mélisse. »

Quelques années plus tard, en 1966 (La nuit écoute), il racontera : « Mon grand-père maternel était marchand de bois et il avait eu l'idée, pendant la guerre de 1914, de faire des tonneaux pour envoyer le vin de ses propriétés aux armées. Le pinard des poilus, c'est un peu lui qui l'a fourni ! Si on dit que le vin a aidé à gagner la guerre...

Donc, mon grand-père était un tonnelier improvisé. Il y avait une grande pancarte sur la façade : "Tonnellerie nouvelle". Des ouvriers de l'usine sont, paraît-il, devenus célèbres. L'un d'eux était un chanteur : après avoir entonné de l'eau dans les tonneaux, il entonnait "La Marseillaise". C'était Affre, de l'Opéra.

Mon frère Antoine et moi, nous pensions voir le maréchal Joffre à la maison. C'était dans le contexte de la guerre de 1914. On nous avait dit qu'il était fils de tonnelier. Alors on croyait qu'il passait parfois devant la maison. Il y avait un général (Joffre n'était pas encore maréchal) qui ressemblait à Joffre. Je disais à Antoine, en le voyant passer : "Regarde, il surveille les tonneaux !"

En 1916, j'avais trois ans, j'étais très mûr, je comprenais bien ce qui se passait. Cette guerre de 14-18 m'a paru très longue. J'avais l'impression qu'on n'en sortirait jamais, qu'elle durerait toute la vie. J'étais né dans la guerre. Les premiers mots que j'ai entendus, c'étaient des mots de guerre. »

En 1983 il dit, avec ce détachement feint qui est la marque des grandes pudeurs : « J'ai toujours été sensible au mot maison. Parce que finalement c'est un havre de paix, surtout la maison de Narbonne dans laquelle je suis né. Je dis toujours de mes autres maisons qu'elles m'appartiennent, mais celle de Narbonne, c'est la seule à qui j'appartiens... »

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