LA CHANCE AUX CHANSONS

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1971

Un texte écrit sur la musique du générique de La chance aux chansons, l'émission radiophonique que Trenet anima quotidiennement sur France-Inter en 1969, la chanson devenant à son tour le générique de l'émission éponyme diffusée à la télévision de 1984 à 2000.

PING-PONG EN CHANSONS
(Intégrale Trenet : introduction du volume 11 ; Daniel Nevers ; 2013 ; Editions Frémeaux et Associés)

Gilbert Bécaud, « Monsieur cent mille volts » comme on le surnommait à l'époque, était alors en pleine ascension et, flanqué de ses complices paroliers, Pierre Delanoë, Louis Amade et Charles Aznavour, faisait un malheur dans la jeune chanson française dans un genre qui devait sûrement pas mal au jazz mais aussi à Trénet. En cette année 1956, il tourna son premier film, Le Pays d'où je viens, sous la direction d'un monsieur qui avait réalisé près de vingt ans plus tôt Drôle de drame et Quai des Brumes. Dans les villes où il se produisait, les petites demoiselles n'hésitaient pas à embrasser les pneus de sa voiture (je les ai vues !). Comme quoi le phénomène n'a pas commencé avec Elvis ou les Beatles... Bien entendu, le Toulonnais Bécaud enregistrait des disques (pour la même grosse boîte que le Narbonnais Trenet, d'ailleurs) et passait fréquemment à la radio. C'est ainsi qu'il fut l'un des très remarqués participants d'une intéressante série intitulée Ping-Pong en chansons, diffusée sur l'antenne de Paris Inter entre dix-huit heures dix et dix-huit heures trente certains dimanches (en gros, un sur deux) du 22 avril au 23 septembre 1956. Les conviés devaient interpréter deux chansons de Charles éloignées de leur répertoire (quelques-unes trichèrent) et, en contrepartie, celui-ci devait chanter deux arias issues du répertoire de l'invité (e). Par exemple, avec Mouloudji (diffusion le 29 juillet), ce dernier chanta La Java du Diable, tandis que Trénet offrit Et pourtant, moi, je l'ai vu (le Diable) et Comme un petit Coquelicot. « Mise en ondes », comme l'on disait alors, par Michel Duplessis, la série autorisa Dominique Nohain à jouer tout du long le rôle de Maître de cérémonies. Son papa Jean, le remuant « Jaboune », parolier de la plupart des chansons de Mireille avant et après guerre, écrivain, journaliste, avait tâté de la radio dès les années 1930 et repris des activités dans cette branche après la Libération. Depuis le début de la décennie 1951-1960, il avait annexé la télévision dans son berceau, produisant et animant avec le concours de son fiston une série d'émissions fort suivie sur l'unique chaîne de la RTF, connue sous le nom de Trente-six Chandelles, donnant à voir et entendre les nouveaux venus autant que les vedettes confirmées de la variété. De surcroît, il garda un pied côté TSF, produisant chaque mercredi soir sur Radio Luxembourg son incroyable Reine d'un Jour. Bien sûr Trenet, une vieille connaissance, ne fut sans doute guère trop difficile à convaincre d'accepter les échanges de Ping-Pong...

Le calendrier des diffusions s'établit comme suit, étant entendu que rien n'est transmis en direct et que tout est confié à la bande magnétique quelques jours plus tôt.

Dimanche 22 avril :

Ping-Pong C. Trénet et Tino Rossi - pour la première émission, il importait que l'invité fût le doyen de la bande, bien connu des auditeurs et de Charles ;

dimanche 6 mai :

Ping-Pong C. Trenet et Annie Cordy ;

dimanche 20 mai :

Ping-Pong C. Trénet et Luis Mariano ;

dimanche 3 juin :

Ping-Pong C. Trenet et Jacqueline François ;

dimanche 17 juin :

Ping-Pong C. Trénet et Eddie Constantine ;

dimanche 1er juillet :

Ping-Pong C. Trenet et Eddie Constantine (sic) ;

dimanche 15 juillet :

Ping-Pong C. Trénet et Juliette Gréco ;

dimanche 29 juillet :

Ping-Pong C. Trenet et Mouloudji ;

dimanche 12 août :

Ping-Pong C. Trénet et Gilbert Bécaud...

Voilà pour ce qui est à peu près sûr. mais on note déjà une bizarrerie dans cette liste soigneusement compilée au cœur des numéros de la Semaine radiophonique de l'an 56 par Philippe Morin et le regretté Gérard Roig : ce doublon qui fait intervenir par deux fois Eddie Constantine (17 juin et 1er juillet). De toute évidence l'une des émissions n'eut pas lieu, probablement la première, alors que le programme communiqué à l'avance aux journaux était déjà imprimé. On ne sait ce qui la remplaça. D'autre part, les revues ne précisent pas le contenu des émissions du 26 août et du mois de septembre. Ainsi les 26 août et 9 septembre, on lit seulement la mention Ping-Pong, demie finale. Certes, mais avec qui ? Quant au 23 septembre, ultime date de programmation de cette collection Ping-Pong, aucun détail n'est fourni... On possède un duo entre Charles et Mireille sur une chanson peu connue de celle-ci et de Jean Nohain, La Demande en Mariage (CD2, plage 8). Sans doute provient-il d'une des demies finales ?

On sait en revanche ce que diffusa Paris Inter les dimanches intermédiaires, quand Ping-Pong n'eut pas lieu. Là encore, il s'agit principalement de chanson française : Jacqueline Joubert - la maman d'Antoine de Caunes - recevait elle aussi dans une suite tout simplement intitulée Rendez-Vous avec... des invités de marque, vedettes de l'heure : Georges Guétary (29 avril), Charles Aznavour (13 mai), Jean Bretonnière (10 juin), Georges Ulmer (8 juillet), Francis Lemarque (22 juillet), Les Sœurs Etienne (5 août), Micheline Dax (8 septembre), Lucien Jeunesse (à deux mains, si vous le voulez bien !, 16 septembre)... Ceux-ci, celles-là n'auraient donc pas pu faire une partie de ping-pong avec Charles, mais quelques autres pouvaient être de la fête, comme Line Renaud, Mick Micheyl, Brassens, Ferré, Montand, Salvador, Laforgue... Apparemment, cela ne se fit pas et les émissions disparurent définitivement fin septembre. Peut-être Trenet, trop pris par les répétitions de son spectacle d'automne à l'« Olympia », n'avait-il plus le temps ?

Signalons pour en finir avec toutes ces dates que le 24 juin 56 des extraits du Festival de Rouen (un festival de quoi, au fait ?) remplacèrent Ping-Pong et Rendez-Vous avec..., et que le 30 septembre une émission titrée Dansons un peu se glissa dans la place...

Déroulement des émissions Ping-Pong en Chansons : indicatif (très long, mais à l'époque, on avait encore le temps !) ; présentation de l'invité (e) et explication succincte du jeu par Nohain ; extrait (généralement piqué sur un 78 tours), par son interprète habituel, de la chanson que doit chanter l'autre, puis version de l'autre en question - c'est toujours l'invité (e) qui commence, puis Charles se plie à la règle à son tour ; seconde manche : même scénario avec deux autres chansons et fin, l'ensemble durant une vingtaine de minutes. La toute première émission, avec Tino Rossi, reproduite ici en entier (CD 1, plages 9 et 10), offre une parfaite illustration du déroulement des opérations : modulation d'amplitude, petites ondes, le cadre anti-parasites sur le poste de la marque « Parola » (qui n'a jamais existé), comme si on y était, comme en 56 ! Ça vous rajeunit. Vachement chouette. J'ai dix ans...

Avec d'autres invités (Gréco, Jacqueline François, Bécaud), il ne nous a pas paru indispensable de conserver le rappel des différentes chansons par leur interprète régulier avant de passer à la version surprise par l'une ou l'autre ou par Charles. Ce qui semblait peut-être nécessaire il y a cinquante-six ans ne l'est plus guère aujourd'hui : ceux qui s'intéressent à cette époque connaissent tous ces airs par cœur dans leur version originale.

Parfois aussi (Annie Cordy, Luis Mariano, Eddie Constantine, Mouloudji...), tout le baratin a sauté les pistes et seules restent les chansons, souvent pieusement recueillies par les fans d'alors (Henri Chenut, Claude Séris, notamment), sur de méchants Pyral qui grattent et sautent férocement. Mais qu'importe le flacon puisque l'ivresse est là ! Et tant pis si quelques arias manquent ça et là à l'appel chez Mariano, Annie Cordy ou Moulou... Quant aux accompagnements, ils varient d'une émission - voire d'un morceau - à l'autre, du piano solitaire à la petite formation à coloration exotique (Marinella). Difficile d'en identifier les auteurs, mais il est possible que dans le cas d'interprètes également pianistes (Mireille, Bécaud), ceux-ci pourvoient eux-mêmes à leur propre accompagnement.

Certes, on l'a signalé, deux dames trichent un brin en interprétant des chansons de Trénet figurant à leur propre répertoire depuis déjà un bout de temps : Jacqueline François (L'Âme des Poètes), Juliette Gréco (Coin de Rue). De son côté Charles se contente de dire La Fourmi, le poème de Robert Desnos sans se risquer à le chanter sur la zizique de Kosma... Mais le plaisir est grand d'ouïr les sus mentionnés, la grave Juliette sur Y a d'la Joie !, la coquine Jacqueline dans cette chanson éminemment masculine, J'ai connu de Vous... Et aussi la pétulante Annie musardant Dans les Pharmacies de la Belle Province ou bien l'éclatant Mariano célébrant Avril à Paris. L'Américain bagarreur, inévitable Lemmy Caution, Eddie Constantine se révèle délicat, émouvant, dans Dimanche prochain et Retour à Paris, où il se proclame « petit Français ». Gilbert Bécaud fait des étincelles sur Vous êtes jolie et Boum !, deux choses que l'on dirait écrites sur mesures pour lui. Seul peut-être Tino, malgré son métier et son sens de l'humour, paraît quelque peu coincé entre Le Soleil et la Lune. Et pourtant, La Mer, vue d'Ajaccio, ne peut que lui convenir comme un gant.

Néanmoins, quel que soit le talent déployé par ses amis, c'est quand même bien le grand Charles qui se taille la part du lion dans cette passionnante collection trop vite interrompue. D'autant plus passionnante que, ce n'est pas un secret, Trenet n'aimait pas trop interpréter les chansons des autres, même s'il les trouvait bonnes. Certes, au cours des Trente-six Chandelles de Nohain (Jean), il lui arriva parfois de donner sa version personnelle du Jardinier qui boite dont il semblait se délecter. Mais, en règle générale, il ne souhaitait pas enregistrer pour le disque ce qui n'était point sorti de sa plume... Aussi, des faces comme Espoir (de Jacqueline Batell), Imaginez, Chacun son Rêve (de Henri Bourtayre) ou encore My Heart Sings (alias En écoutant mon Cœur chanter), gravés en d'autres jours pas toujours très tranquilles (même à Clichy), sont-elles les exceptions confirmant la règle (pour ces titres, voir les précédents recueils portant sur la période 1940-1946). Trénet l'emporte haut la main dans des choses qui lui conviennent parfaitement comme Du Soleil (de l'injustement oublié Jean-Claude Darnal - répertoire Annie Cordy), Un Enfant de la Balle (répertoire Constantine), La Belle de Cadix envoyé de voix de (son) Maître ou, côté sombre, le tendrement cruel Si Tu t'imagines de Raymond Queneau (cheval de bataille de Gréco). Mais il se surpasse plus encore avec Bécaud en offrant des versions technicolor de l'assez agaçant Mes mains et, surtout, du bondissant Mé-qué, mé-qué. En finale, c'est avec Marinella qu'il triomphe sur toute la ligne, face à un Tino médusé qui n'en est sûrement jamais revenu ! On peut rêver à ce qu'il aurait pu faire du Parapluie (et pourquoi pas du Gorille ?), des Grands Boulevards, d'Il peut pleuvoir ou d'une Chanson douce, si Georges, Yves, Jacques et Henri avaient seulement été couchés sur la liste des invités... Rêvons.

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