IL REVIENDRA CE GRAND AMOUR

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1965

Une chanson d'amour qui rappelle, tant au niveau du thème que de son traitement pompier, Imaginez et Si loin de ton amour.

JOYEUX MENSONGE
(Mes jeunes années racontées par ma mère et par moi ; Charles Trenet et Marie-Louise Caussat-Trenet ; 1978 ; Editions Robert Laffont)

Lorsque, fin décembre 1930, je quittai Prague pour Paris, avec l'espoir de vivre désormais en France, je trouvai Charles devenu assistant de J. de Baroncelli aux studios Pathé de Joinville et installé dans un petit hôtel au bout de l'avenue de Vincennes. Son père le croyait à l'école des Arts décoratifs... Cette raison-prétexte avait emporté son consentement au départ de Perpignan. Mensonge, joyeux mensonge ! Charles n'eut jamais l'intention d'aller aux Arts décoratifs. L'équivalent berlinois de la Künstgewerbeschule l'ayant à jamais dégoûté de ce genre d'école. Qui avait tort ? L'école ? L'élève ? Entre la règle et le tempérament de ce garçon de dix-sept ans, l'accord se révélait impossible.

Comme je connaissais les projets de Charles, j'avais, implicitement, participé au mensonge - mais, avec quelle inquiétude ! Le savoir seul à Paris me bouleversait. Tant de questions matérielles, morales, se posaient : le vivre, le couvert, l'entourage, les relations. Pour moi, autant d'épouvantails. Et je ne pouvais rien à tout ça. J'étais à Prague.

Pourquoi à Prague ? Parce que la Narbonnaise en rupture de ban que j'étais, courait le monde - depuis dix ans - avec son deuxième époux, homme génial, écrivain de talent, peintre, amant extraordinaire et mari catastrophique, car s'il gagnait beaucoup d'argent, il en dépensait plus encore, ce qui motivait notre errance parmi les grandes villes d'Europe où toujours la chance l'accueillait, lui tendait la main. A Paris, cette main tendue fut la Paramount. Marlène Dietrich venait de tourner à Hollywood le film Morocco, tiré du roman d'Amy Joly (publié à Berlin), dont mon phénomène conjugal était l'auteur. Ce succès lui avait rapporté une honorable somme en dollars et ouvert toutes grandes les portes des studios Paramount à Joinville.

Charles aimait beaucoup cet « oncle » par alliance, dont il ne percevait à huit et dix ans que le côté original, les dons artistiques. Cette affection fut réciproque, « l'oncle » ayant deviné sous les incartades du gamin, l'intransigeance de l'adolescent, le poète en gestation.

L'adresse qu'il m'avait donnée manquait de précision : au bout de l'avenue de Vincennes, rue de la Voûte (1) un petit hôtel... Elle n'en finissait plus cette avenue de Vincennes ! Ou cours de Vincennes ? Et il y en avait des rues, à droite, à gauche ! Chercher ce petit hôtel inconnu des agents de police ou qu'ils faisaient semblant d'ignorer, en marchant lentement, m'arrêtant à chaque coin de rue pour vérifier la plaque indicatrice, et par un froid de canard. J'aurais dû prendre un taxi à la sortie du métro, place de la Nation. Je n'y avais pas pensé, ignorante alors de ce quartier de Paris, de la longueur de l'avenue.

Enfin, je vis, inscrit sur une plaque, à ma droite : rue de la Voûte. Restait à trouver l'hôtel. Ce fut facile, la rue était courte, étroite, un seul hôtel y profilait son enseigne. Du premier coup d'œil, j'en jugeai la classe. Mon cœur se serra. J'entrai. C'était propre, mais très primitif. Personne derrière le bureau de réception. J'attendis. Très peu. La cloche de l'entrée ayant signalé une présence, je vis un homme, sorti comme d'une trappe - en vérité d'une petite porte se trouvant derrière le bureau - qui, sans dire : « Bonjour, madame », demanda :

- Vous désirez ?

- Je viens voir M. Charles Trenet.

L'homme - le patron - me dévisagea :

- Il n'est jamais là dans la journée. Faut venir le soir, et encore. Il se couche tard.

Mon interlocuteur me dévisageait de la tête aux pieds. Il renifla, haussa les épaules, alluma une cigarette.

- Qu'est-ce que vous lui voulez, à Trenet ?

- Je suis sa mère.

Du coup, l'homme devint méfiant.

- Sa mère ?

Il n'en croyait rien. J'avais quarante ans, étais alors jolie fille, élégante, légèrement maquillée, enfin « sujet à caution », pour lui, du moins.

J'insistai :

- J'aimerais voir la chambre de mon fils. Je lui apporte quelques petites choses - et mon adresse à Paris, mon numéro de téléphone.

Le patron décrocha une clef suspendue au tableau, puis, mi-goguenard, mi-insolent :

- C'est au second.

Il fit une pause, grimaça un sourire :

- Le bordel, je vous avertis, c'est au premier étage.

Je ne bronchai pas :

- Montons au second, je vous prie.

Nous montâmes. Le patron ouvrit une porte. J'entrai. Il me suivit et ne me lâcha pas d'une semelle tandis que je faisais le tour de la chambre, propre, bien simplette : un lit de fer, noir, verni, orné de quatre boules dorées. Les couvertures minces mais nettes, une table en bois blanc passée au brou de noix, cirée, deux chaises de même acabit, une armoire à vêtements que je n'osai ouvrir sous l'œil inquisiteur du patron. Un radiateur tiédasse luttait contre la crudité de l'air. Au-dessus, une fenêtre assez grande donnait sur le mur d'en face. Un store en guipure, jauni, cra-cra - effiloché sur les bords, l'ornait, mélancoliquement.

Je déposai mon paquet sur la table, y joignis le mot préparé à l'avance.

Nous redescendîmes.

- Vous avez le téléphone ?

- Bien sûr !

C'était le seul luxe de l'hôtel.

Le patron me tendit une carte. Je la pris, la mis dans mon sac, marmonnai un « Merci, monsieur » et me sauvai, avec une seule idée en tête : tirer Charles de là !

J'ignorais que sa jeunesse en liberté se sentait heureuse, ravie, dans ce royaume minable, qu'il vivait hors de ce réel au milieu des décors fastueux - en carton pâte - du studio de Joinville où l'assistant faisait des claquettes, se démenait en tous sens à la recherche d'un tel, d'une telle, d'un objet, d'un accessoire. C'était ainsi qu'on débutait au cinéma en 1930. Et tout ce remue-ménage, exactitude quotidienne matinale - 8 heures, pile -, courses, fatigues, rebuffades, pour sept cents francs par mois.

J'ignorais aussi la fierté du garçon qui commençait à gagner sa vie, car, pour moi, il était resté « mon petit » et je ne me doutais pas qu'il avait déjà choisi d'être « un grand ».

Il ne me fallait pas moisir dans le confortable meublé de l'avenue Mozart ! Je voulais trouver un appartement où Charles habiterait avec nous. A l'époque, la chose était facile, on construisait beaucoup dans le quartier, non en parpaing, ou préfabriqué, mais en excellents matériaux : ciment armé, pierre de taille. Un architecte d'alors se serait cru disqualifié s'il n'avait doté son immeuble d'une façade où l'harmonie des proportions, l'ornementation discrète des portes cochères, des balcons, n'eussent justifié le prix des loyers.

J'explorai donc les rues avoisinant l'avenue Mozart. Je marchais, le nez en l'air, à l'affût de l'immeuble en construction, de l'écriteau : « Appartements à louer ». J'en dénichai un, rue La Fontaine : trois belles pièces au sixième étage - confort - et au-dessus : chambres indépendantes. Parfait !

Sans trop désirer quitter son domaine de Vincennes, Charles acceptait la perspective de son hébergement. une seule objection :

- C'est trop loin des studios de Joinville. Quarante minutes de métro !

- Tu ne travailleras pas toujours à Joinville, objectai-je.

Ma prédilection se réalisa plus tôt que je ne l'eusse voulu. J. de Baroncelli ayant terminé son film, congédia « l'assistant claquettes » avec courtoisie et la vague promesse d'un prochain tournage. Situation critique - non tragique pour Charles car nous avions emménagé le 1er avril, au 47 rue La Fontaine.

Charles avait au septième étage une chambre indépendante de l'appartement. Il pouvait aller et venir à sa guise, sans contrôle. C'était plus confortable que la rue de la Voûte ! J'avais laqué en rouge une armoire, un bureau, des étagères pour les livres. Il y avait un bon lit, pas de courants d'air, un joli tapis de jute rouge et blanc, un chauffage correct. Ces avantages matériels, il les appréciait, mais plus encore, la liberté dont il jouissait, que je lui laissais, avec, je l'avoue, une certaine angoisse. Pas d'offre de travail en vue, pas de claquettes... Or, chaque soir, après le dîner, il sortait, rentrait tard. Que faisait-il ? Où allait-il ? Je me mordis souvent la langue pour ne pas le lui demander. Je le voyais joyeux, de bonne humeur, il achetait des disques, des livres, ne recevait jamais personne chez lui. Alors ? J'aurais aimé quelques confidences. Point. Charles était déjà l'être secret qu'il est resté. Secret, par pudeur de sentiments, respect de soi, de sa personne intime, ou par la crainte de se voir incompris. Qui sait ? Secret, mais tendre, d'une tendresse cachée, subtile, qu'il fallait deviner, saisir au vol, cette tendresse sentimentale et sensuelle qui lui faisait murmurer en m'embrassant dans le cou - il avait quatre ans : « C'est bon, on dirait du veau ! »

L'expression scandalisait ma cousine.

- Du veau !... et tu le laisses répéter ça !

- Il exprime son contentement à sa manière, Tantoune ! Vous savez qu'il est gourmand et que son mets préféré est une escalope de veau, bien tendre, dorée.

- Oh, quand même ! protestait la cousine.

Ce verbiage passa avec la petite enfance, la tendresse resta, toujours aussi secrète, comme si elle craignait, en se manifestant, de se ternir.

Les mois s'écoulèrent, printemps, été. Nous vivions relativement tranquilles, heureux, rue La Fontaine. Charles allait souvent se promener au bois de Boulogne, proche de notre quartier. Seul ? Qu'en savais-je ?

(1) Charles occupa d'abord une chambrette à Montmartre, rue Caulaincourt, puis il s'en vint rue de la Voûte, pour se rapprocher des studios de Joinville.

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