DEVANT LA MER

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1942

Si le chanteur-poète bourgeois est en train de prendre le dessus à grands coups de violons, l'année 1942 voit tout de même les derniers soubresauts du Fou chantant, à preuve cette évocation des "vacances / Au pays de notre enfance", un "pays du sans-souci", avec ses amours "devant la mer", son "épicière un peu folle" et ses "oiseaux de paradis qui chantent" un jazz joyeux.

DODO MANIÈRES : CHAPITRE V
(Charles Trenet ; 1939 ; Editions Albin Michel)

Maintenant, cette bonne devait être une mère de famille très sérieuse, ou bien une gourgandine très fatiguée, car des douzaines et des douzaines de mois avaient succédé à ce soir mémorable.

Sur la place, devant la mairie, c'était une grossière fête de cris, de tintamarre de manèges, d'éclatements de pétards, une fête que les journalistes locaux ont trouvée « suave » et que l'instituteur a qualifiée de « vivante ».

Quelle heure était-il ? Des hommes chantaient des chœurs dans l'obscurité molle. Dodo, lui, avait dix-sept ans et une sensation nouvelle, une espèce d'éblouissement, un singulier malaise, précis.

Demain...

Oui ! Mais demain, que c'est loin ! Et Dodo ne peut attendre.

Comme il se souvient, maintenant ! Ses mains rugueuses ont effleuré de la soie. Sa cavalière avait sa robe des dimanches. Il tonne encore dans ses oreilles, le roulement de tambour qui annonça la fin de la danse !

Il n'avait pas tout de suite remarqué cette adolescente pâle qui essayait de se faufiler parmi les danseurs et qui avait disparu dans les bras d'un jeune homme. La musique ? Une trompette rauque jetait un air saccadé auquel répondait une contrebasse hésitante comme une personne timide.

Soudain, bousculée par le rythme, la jeune fille heurta violemment Dodo qui était assis, et elle se trouva contre lui. Par quel hasard ? Non, rien que le hasard habituel qui fait se rencontrer les chiens au coin d'une rue et les vieux amis d'enfance qui s'étaient perdu de vue. C'est facile à dire, le hasard ! Disons que c'était le jour où ça devait arriver. Inutile de chercher !

Dodo se rendit compte, aussitôt, qu'il était devenu très rouge. Il eut froid. Il eut chaud. Il voulut se lever. Il s'enfonça dans sa chaise.

Combien de fois a-t-il dansé avec elle ? Il ne sait. Il se souvient, seulement, de la promenade imprévue, près du port où l'on entendait le bruit flasque de l'eau contre une barque amarrée à un pieu.

Voilà du nouveau, du brûlant, du frais ! Sentimental samedi, simple et beau, parce qu'il sentait l'Amour, le premier, celui qui donne un autre goût au vent, au soleil, à la pluie et qui rend le cœur plus inquiet, la bouche plus sèche ! Ils s'étaient assis au bord de la mer onduleuse, sur un rocher plat. Le phare clignait de l'œil vers les autres étoiles. Dodo ne savait que dire. Au bout d'un instant, la jeune fille lui apprit qu'elle s'appelait Marguerite. Il avait continué de caresser sa robe, sa main, sa joue. A l'affût, il épiait dans ses yeux l'apparition d'un sentiment quelconque - énervement ou béatitude - qui en aurait changé la couleur.

Le vent humide mêlait leurs cheveux.

Mme Manières était arrivée, en tablier bleu. (Est-ce un souvenir exact ou bien un rêve ?) Ils pensaient : « Un jour, peut-être... »

Mais que la nuit était noire !

NB : Dodo Manières est le premier roman de Trenet. S'il n'a été publié qu'en 1939, célébrité aidant, le manuscrit atteste que son écriture était terminée en juin 1931. Marie-Louise Caussat-Trenet affirme même, dans Mes jeunes années racontées par ma mère et par moi, que son fils lui en a fait la lecture pendant l'été 1930.

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