COUCHER DE SOLEIL A CANNES
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1985 |
"Poches sous les yeux", "Manteaux de vison", mélodie d'une tristesse lancinante : Trenet dit pour une fois sans fard son angoisse de la décrépitude physique à travers cette évocation cauchemardesque de la vieillesse dorée qui traîne ses derniers jours dans la solitude de la Croisette.
(FAUX) ADIEUX A LA SCÈNE
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)
1975 - l'année-choc. L'année des adieux ! Eh oui ! A soixante-deux ans, après plus de quarante ans de carrière, le fou chantant a décidé de raccrocher, il veut ranger son chapeau au vestiaire, baisser le rideau rouge sur le bleu de ses yeux. Il a soixante-deux ans et il a tout connu, tout vécu. Il est riche, célèbre dans le monde entier, et physiquement il se sent en pleine forme. Il n'a plus rien à prouver, plus rien à perdre, plus rien même à gagner. Statufié de son vivant il a déjà un pied dans l'éternité, avec aux épaules les ailes d'ange dessinées par Cocteau qui lui permettront un jour, là-haut, de continuer à danser sa joie de ferme en château.
En attendant, Charles Trenet, blond et rose terrien aux yeux bleus, poète, chanteur, compositeur, écrivain, fantaisiste et combattant du bonheur, se retire. Quel chemin parcouru depuis ce jour de 1933 où Le Mercure de France publiait le poème d'un jeune étudiant inconnu dédié à Henry de Montherlant ! C'était la première fois que le nom de Charles Trenet était imprimé à Paris ; combien de rames de papier noircies, combien de millions de caractères d'imprimerie, combien de fauteuils de théâtre occupés, combien de photos publiées depuis ?...
Cette fois, c'est décidé : il raccroche. A Jacqueline Cartier de France-Soir il explique, le 28 mars 1975 :
« Les jeunes se demandent souvent quel est le destin de la jeunesse. J'ai la réponse : c'est la vieillesse ! Il est temps pour moi de m'effacer. Mes chansons ont fait à l'époque d'avant-guerre la révolution parce qu'elles se baisaient sur un rythme non utilisé alors qui était le rag-time. Toute la jeunesse m'a suivi. Les lycées étaient "trénétisés". Puis les jeunes ont amené leurs parents. Aujourd'hui ces jeunes sont devenus eux-mêmes grands-parents. Je suis suivi par le troisième âge !
Or, mon jeune public d'autrefois avait été gagné moins par mes paroles que par mon rythme. Ce rythme-là, je l'ai gardé. C'est cette image-là qu'il faut laisser. Elle demande du souffle. Je l'ai encore. Mais je ne l'aurai pas toujours. C'est donc très délibérément que je dis adieu à la scène. Je suis sur les planches depuis fort longtemps. Je leur ai tout sacrifié. Jusqu'ici j'ai rêvé ma vie, maintenant je voudrais vivre mon rêve. »
A Jean-Claude Mazeran du Journal du dimanche, il dit aussi, le 13 avril :
« Ce sont de vrais adieux, je vous le jure. Ce n'est pas un coup publicitaire. J'agis ainsi parce que je préfère partir à l'âge de la plénitude. Qui dit que dans quatre ans je pourrai encore faire ce que je fais aujourd'hui ? Or, je ne veux pas décevoir le public : je l'aime trop pour cela. Je sais qu'il y a de mauvaises langues qui prétendent que j'essaie de faire le jeune à tout prix. C'est faux, je ne donnerai jamais l'occasion de me voir en vieux "fou chantant" croulant. Je n'ai pas envie de devenir un monument historique, une vieille gloire qui pontifie. La preuve, je n'ai même pas la Légion d'honneur car j'ai refusé de la demander. Je trouve qu'à ma boutonnière un œillet c'est plus joli. Je vous assure également que la scène ne me manquera pas. Je ne suis pas du genre à m'accrocher jusqu'au bout, comme Sarah Bernhardt ou Chevalier. Tant pis si je gagne moins d'argent, bien que je ne sois pas aussi riche qu'on le prétend généralement. Il y a tellement d'autres choses dans la vie que la chanson ! Après lui avoir consacré quarante ans de mon existence, j'ai envie de voyager, lire, écrire... et pourquoi pas, ne rien faire... »
A Jacques Chancel qui, en 1978, lui demande pourquoi ces adieux, que certains jugent prématurés, il répondra :
« A ce moment-là, en 1975, je me sentais très en forme et je me suis dit que c'était le meilleur moment pour laisser un bon souvenir au public qui m'a fait l'honneur de me suivre pendant de si longues années. Parce qu'il ne faut jamais décevoir le public. Or, il arrive un moment où l'on ne se rend pas vraiment compte qu'on a faibli, qu'on n'a plus la forme suffisante. C'est là le danger ! Vous savez, les artistes ne se retireraient pas ; c'est le public qui se retire d'eux. C'est pourquoi il vaut mieux prendre les devants et annoncer ses adieux... Moi je n'y reviendrai pas. Je n'y reviendrai plus, comme disent les enfants : j'ai trop peur de ne plus être en mesure de donner au public ce qu'il attend de moi. »
Et encore : « Je ne veux pas qu'on vienne un jour me consoler d'applaudissements. Ma mission a toujours été le contraire. » Bien sûr, comme il dit dans un sourire, ses adieux « dureront bien trois ans », le temps de les faire partout où il s'est produit dans sa carrière. Mais sa décision semble vraiment irrévocable, et Trenet n'est pas homme à faire de ces fausses sorties-mascarades.