BERCEUSE
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1948 |
Hommage à Antoine, le grand frère qui a pris soin du Petit pensionnaire quand "maman" a quitté le domicile conjugal.
LA SÉPARATION DE CHARLES ET ANTOINE
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)
Bausil pousse donc le jeune Charles à écrire, à peindre, à jouer. A s'exprimer, toujours. Un pygmalion, oui, qui d'un matériau tendre, certes déjà pétri de talent mais encore incertain, bâtira un génie authentique.
La « bande à Bausil » va prendre d'autant plus de place dans l'existence de Charles qu'un beau jour, consternation, celui-ci va perdre son double, son complice, son confident : pour une sombre histoire de femme (il aurait, dit-on, couché avec l'épouse d'un radiologue réputé), Antoine est envoyé en pension à Libourne ! Triste journée que celle du départ, « piteux et fier », de ce frère tant aimé. « Dès lors, écrira Charles Trenet un demi-siècle plus tard, notre cellule commune se scinde en deux comme un protozoaire scissipare. » Charles l'accompagne évidemment à la gare, effondré.
« Papa est au bureau... Je reste seul sur le quai tandis que le train démarre. Adieu, mon frère que je ne reverrai plus tel qu'il était en cette période de sa vie, belle et blonde statue indifférente au bien et au mal, dédaigneux, irritant à cause de la "distance" due à la supériorité de son âge sur le mien, mais dans le fond très tendre, n'oubliant jamais les gosses que nous avions été, les petits frérots à jambes couronnées, les marchands de croissants à la farine noire, les prisonniers de la Sainte-Trinité, du père et du fils et du Saint-Esprit qui ne pouvaient remplacer maman. »
Le retour à la maison de la rue Villaseca est morne et navré. Commencent alors les errances vagues d'un enfant soudain désemparé, peu coutumier de cette incertitude blême de la solitude, assoiffé de bonheur et d'affection.
« Alors, écrit encore Charles Trenet, puisque mon père est au bureau, que l'oncle Louis sautille de chantier en chantier, que Fons-Godail s'enferme dans les décors qu'il rafistole, que tante Mimi, très enceinte, suspend ses cours de latin et qu'Antoine prépare son bac à Libourne-ma-tête-tourne, je me réfugie dans le petit monde du Coq à talents. »
Le pas est franchi : Bausil et sa troupe désormais vont constituer sa seconde famille, plus proche et plus sensible même que la vraie avec son père accablé de travail et peu ouvert à la poésie. Les locaux poussiéreux du Coq catalan, ces bureaux balzaciens au 1 de la rue des Cardeurs, seront le cadre de son nouveau foyer. Chaque jour, à 18 heures, heure de la sortie des « externes surveillés », le jeune homme grimpe quatre à quatre le vieil escalier de bois pour venir rejoindre ses nouveaux amis. Il apporte ses poèmes à la rédaction et traîne dans les couloirs, flânant de-ci, de-là, flairant l'odeur lourde de l'encre fraîche et du tabac froid.