IL ME REVIENT
Paroles | Barbara | |
Musique | Frédéric Botton | |
Interprète | Barbara | |
Année | 1996 |
Il s'est écoulé quinze ans (!) depuis le quinzième album studio de Barbara, Seule, lorsque sort le seizième, qui sera son dernier. Le disque compte douze chansons (dont trois ont déjà été créées sur scène : Les enfants de novembre ; Le jour se lève encore ; Sables mouvants) et s'intitule Barbara. Il est cependant généralement désigné par le titre de sa première chanson, Il me revient, où, un quart de siècle après L'absinthe et La Saisonneraie, Barbara retrouve le compositeur Frédéric Botton pour une marche "en cadence", pleine de bruits de bottes ("Une angoisse / Et des pas lourds"), qui fait revivre un souvenir précis et tragique, mais peut-être inventé, de l'adolescence de l'auteure à Saint-Marcellin pendant la guerre (cf. Mon enfance) : l'arrestation d'un jeune maquisard par la Milice. L'événement peine à revenir "en mémoire" et ce qui se passe est plus suggéré que réellement décrit ("Et des ombres / Qui se rapprochent / Et des ombres / Qui te frappent / Et t'emportent"), ce qui donne à la chanson une portée aussi universelle que personnelle.
LA TRAGÉDIE DU VERCORS
(Les Collections de L'Histoire n°37 ; Paul Dreyfus ; octobre-décembre 2007)
Pourquoi le Vercors attendit-il en vain les renforts qui devaient tomber du ciel ? La tragédie de ce maquis, écrasé en quelques jours par les Allemands, illustre le profond fossé entre Résistance intérieure et stratégie alliée.
Grenoble. Fin du mois d'août 1941. La ville fait partie de la zone non occupée. Le gouvernement est loin, à Vichy. L'armée allemande aussi, au-delà de la ligne de démarcation. Réunis au Café de la Rotonde, derrière la gare de marchandises, une poignée de Dauphinois décident de créer un mouvement de Résistance, avec quelques anciens de la SFIO.
Parmi eux, le docteur Léon Martin, ancien maire de la ville - il a été l'un des 80 parlementaires à voter, le 10 juillet 1940, contre l'octroi des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. A côté de ce pharmacien, deux cafetiers : Aimé Pupin et Eugène Chavant, un cheminot : Paul Deshières, et un garagiste : Eugène Ferrafiat.
Très vite, ils entrent en contact avec Jean-Pierre Lévy, qui vient de fonder, à Lyon, le mouvement Franc-Tireur, puis cherchent à pousser des ramifications à travers le Dauphiné, où souffle, comme le notait déjà Michelet dans son célèbre Tableau de la France, « un vigoureux esprit de résistance ».
La détermination de ces hommes est renforcée lorsque, le 11 novembre 1942, l'armée allemande envahit la zone Sud, puis, qu'en février 1943 le gouvernement de Vichy institue par décret le Service du travail obligatoire (STO). Plutôt que de partir travailler pour l'Allemagne, un certain nombre de jeunes gens choisissent de devenir des « réfractaires » : les uns cherchent refuge dans la clandestinité ; d'autres vont fournir l'infanterie des maquis.
Le premier de ces maquis est créé à la ferme d'Ambel, près de Bouvante. Quatre-vingt-cinq jeunes s'y rassemblent. Comme leur nombre ne cesse d'augmenter, il faut dénicher d'autres emplacements. Ce sont bientôt quatorze maquis qui se constituent à travers le Vercors.
Pour encadrer ces jeunes, on voit se présenter des officiers et des sous-officiers de l'armée d'armistice qui ont pris le large lors de l'irruption de la Wehrmacht. Pour les armer, on utilise les fusils et les revolvers qui ont pu être camouflés ou récupérés depuis juin 1940 - un arsenal de misère !
Dans le destin du Vercors, un homme joue un rôle clé : l'architecte Pierre Dalloz, qui se trouve alors près de Sassenage - l'une des entrées du Vercors. Il note en janvier 1943 : « La valeur militaire d'un tel point est éclatante. Il suffirait d'une dizaine de destructions, faciles à faire et à défendre, pour interdire son accès à tout blindé. » Après quoi la grande « île en terre ferme » pourrait être en quelques jours, sous la protection des maquisards, bourrée de troupes aéroportées alliées. Cette action se situerait peu avant le débarquement sur les côtes ou juste après.
A la fin de ce mois de janvier 1943, il fait porter une note à ce sujet à Yves Farge, journaliste au Progrès de Lyon, qui décide d'en parler à Jean Moulin, délégué général de De Gaulle en France. Ils se revoient le 31 janvier : « Max est emballé par notre idée, annonce Farge. Il faut la piocher. Mettez-vous tout de suite au travail. Recrutez une petite équipe. Voici de l'argent. »
Sans perdre de temps, Dalloz embauche un inspecteur des Eaux et Forêts, René Bayle de Jessé, un ancien de Narvik - ce port de Norvège septentrionale que nos troupes reprirent aux Allemands au printemps 1940 -, le commandant Marcel Pouchier et un jeune officier passionné de montagne, le capitaine Alain Le Ray.
Les trois hommes parcourent le plateau du Vercors, repèrent les terrains de parachutage ou d'atterrissage possibles, évaluent les effectifs nécessaires pour garder le plateau le moment venu ; calculent le tonnage de munitions et d'armes dont les maquisards auront besoin ; prévoient les endroits où ils installeront leurs verrous et le temps durant lequel ils pourront les défendre jusqu'au largage des unités de parachutistes venues d'Afrique du Nord (1). L'ensemble devient le « plan Montagnards ».
Avant même que ce plan ait pris sa forme définitive, le général Charles Delestraint, chef de l'Armée secrète sur le territoire national, en a porté le premier jet, à Londres, au général de Gaulle (2). La BBC diffuse bientôt un message dont le sens est clair pour Dalloz et ses amis : « Les montagnards doivent continuer à gravir les cimes. »
De fait, quand le général Delestraint revient en France, il reprend contact avec Dalloz et ce petit groupe d'hommes résolus et leur dit : « J'ai vu le général de Gaulle. Je lui ai expliqué ce que vous faites ici. Il m'a chargé de vous encourager et de vous remercier. » Ainsi, dès le mois d'avril 1943, le Vercors est promis au rôle de cheval de Troie.
Hélas, le 9 juin, le général Delestraint est arrêté par la Gestapo et déporté à Dachau - où il sera abattu par les SS la veille de la libération du camp par les Américains. Et le 21, c'est Jean Moulin qui est, à son tour, capturé par Barbie à Caluire. Le Vercors voit soudain coupés ses liens privilégiés avec Londres.
A l'automne 1943, Dalloz gagne Alger, où De Gaulle s'est installé le 30 mai. Il y rencontre Louis Joxe, secrétaire général du Comité français de libération nationale, le colonel Dewavrin, chef du BCRA, les services secrets de la France libre, le colonel Pierre Billotte, secrétaire général du Comité de défense nationale, Jacques Soustelle, directeur de la DGSS, les services spéciaux, mais il estime inutile de solliciter une audience de De Gaulle. « A quoi cela servirait-il ? se dit-il. J'ai longuement expliqué à chacun de ces personnages influents ce qu'est le "plan Montagnards". [...] J'ai fait ce qu'il fallait. »
En Vercors, l'année 1943 s'achève dans un climat d'espérance. Un message de Londres annonce le premier parachutage. Le 13 novembre, les « colis » tombent du ciel sur la vaste prairie d'Arbounouze. En Savoie aussi, les parachutages d'armes ont commencé. Notamment, sur le plateau des Glières, dont la situation est comparable à celle du Vercors : il est isolé ; les routes d'accès sont rares et malaisées ; il semble pouvoir jouer un rôle de donjon.
Mais, le 26 mars 1944, les Allemands, renforcés par la Milice, attaquent en force le « donjon » des Glières, qui tombe en quelques dizaines d'heures. Les maquisards du Vercors vont-ils en tirer la leçon ? Malheureusement non. D'autant que des missions alliées commencent à se poser sur le plateau (3).
La première s'appelle « Union » ; elle est composée de trois officiers : un Américain, un Anglais et un Français, munis d'un émetteur-radio. Dès lors, comment douter que l'état-major suprême s'apprête à larguer bientôt d'importantes unités de parachutistes ?
Cet espoir devient certitude au moment du débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, lorsqu'un message de Londres mobilise le Vercors. Près de 4000 hommes se trouvent rassemblés sur le plateau. Un véritable état-major se constitue. Un commandant militaire est désigné : le vaillant chef d'escadrons François Huet. Un chef civil, le sage Eugène Chavant, dit « Clément », tient le rôle d'in préfet. A Alger, le 6 juin, Jacques Soustelle lui a confirmé que le plan Montagnards restait d'actualité.
Dans la nuit du 8 au 9 juin, une petite enclave libre est née sur le territoire de la France occupée : la « république du Vercors ». A la différence de certaines « zones libérées » de l'Italie, aucune expérience politique et sociale ne s'y déroule. Les maquisards se bornent à procéder à la restauration de l'ordre républicain sans même envisager une expérience révolutionnaire. Elle connaît son heure de gloire le 14 juillet, avec un défilé militaire, suivi d'un largage massif d'armes et de munitions suspendues à des parachutes tricolores. Quand ils voient, ce soir-là, les derniers avions américains repartir vers leurs bases, tous les maquisards sont persuadés que ces escadrilles vont revenir en plus grand nombre dans les semaines et les jours suivants.
Entre le Vercors et Alger, un dialogue par radio s'est institué presque quotidiennement (4). Les chefs du maquis et le commandant militaire de la région R1, le colonel Marcel Descour, ne cessent de presser les Alliés de leur fournir les armes qui manquent le plus : des mitrailleuses et des mortiers légers. Les Allemands deviennent menaçants : ils multiplient les reconnaissances aériennes, mitraillent et bombardent les maquisards qui ramassent les conteneurs parachutés, acheminent des renforts de troupes autour du plateau.
Quand, le 21 juillet 1944, à 7 heures du matin, le vrombissement de nombreux avions déchire l'air, au-dessus de Vassieux, tout le monde croit que ce sont enfin les Alliés qui arrivent. Mais il s'agit de bombardiers de la Luftwaffe et d'avions remorquant des planeurs bourrés de parachutistes allemands. Malgré la résistance désespérée des maquisards, les Allemands se rendent rapidement maîtres du terrain d'aviation en construction. Puis ils occupent le village et l'incendient, après avoir abattu tous les habitants.
A la même heure, des unités de la 157è division de réserve allemande, commandée par le général Karl Pflaum, attaquent les défenses extérieures du plateau. Habitués à la guerre en montagne, ces combattants originaires de Bavière et d'Autriche s'emparent des cols. Au sud, ils remontent la vallée de la Drôme, en direction de Crest, de Pontaix et de Die, d'où ils ont décidé de gravir le col de Rousset (1 411 m).
Mais le gros de leurs forces, ils l'engagent dans la trouée de Saint-Nizier, dont ils se sont rendus maîtres dès le 15 juin. Ils n'ont aucune peine à débouler sur le plateau pour atteindre Lans et Villard-de-Lans. Au terme d'une réunion dramatique, Huet décide d'ordonner à toutes les unités : « Dispersez-vous et nomadisez. »
Sous l'empire de la colère, Chavant adresse alors à Alger, au colonel Constans, ce télégramme pathétique : « La Chapelle, Vassieux, Saint-Martin bombardés par l'aviation allemande. Troupes ennemies parachutées sur Vassieux. Demandons bombardement immédiat. Avions promis de tenir trois semaines. Temps écoulé depuis la mise en place de notre organisation : six semaines. Demandons ravitaillement en hommes, vivres et matériel. Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre nous si ne prenez pas dispositions immédiates et nous serons d'accord avec eux pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n'ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des des criminels et des lâches. Nous disons bien : criminels et lâches. »
Au cours des journées qui suivent, la plupart des maquisards du Vercors parviennent à échapper aux Allemands, qui se vengent sauvagement sur la population civile. Il y aura au total 840 morts : 201 civils et 639 maquisards (5).
Pourquoi, au moment du danger, le Vercors n'a-t-il pas reçu l'aide nécessaire ? A-t-il été simplement oublié ? Abandonné ? Trahi ?... Cette terrible accusation prend corps à Alger, dans la bouche du commissaire à l'Air du Gouvernement provisoire, le communiste Fernand Grenier. Dans une conférence de presse, le 27 juillet, celui-ci dénonce « l'attentisme, véritable crime contre la Patrie » (6). La colère que ces propos déclencheront chez le général de Gaulle obligera Grenier à publier un démenti.
Mais la polémique rebondit après la Libération. Fernand Grenier, André Marty et les dirigeants communistes affirment, de nouveau, que le Vercors a été trahi. Il est vrai que Grenier a proposé le lancement d'une opération « Patrie », qui devait avoir pour but de réunir tous les avions français disponibles et de parachuter sur le plateau des troupes armées. Mais de Gaulle n'a jamais signé le décret portant création de ces forces aériennes.
En réalité, l'une des causes principales du drame du Vercors fut la mobilisation trop hâtive des résistants, qui gagnèrent le plateau dès le débarquement en Normandie (et non au moment du débarquement de Provence, le 15 août 1944, ce qui eût été logique). Ils ne le firent pas spontanément. Un message leur avait été adressé par la radio de Londres, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 : « Le chamois des Alpes bondit. » Ainsi, tous les maquis de France furent, en quelques heures, mis sur le pied de guerre, par des phrases convenues lancées sur les ondes de la BBC. Malgré les réticences des responsables gaullistes, les Alliés voulurent semer le doute dans l'esprit des Allemands, en leur faisant croire que le débarquement de Normandie n'était qu'une diversion : l'opération principale allait être déclenchée ailleurs.
Le piège ayant joué, dès le 10 juin, le général Koenig, commandant en chef des Forces françaises de l'intérieur (FFI), envoie un message à tous les maquis : « Freiner au maximum la guérilla. Impossible actuellement vous ravitailler en armes et en munitions, en quantité suffisante. » Mais, comme l'écrira le général Koenig longtemps après, « le coup était parti. Les mesures de freinage n'ont guère joué et se sont même heurtées à une incompréhension à peu près totale des exécutants ».
Le Vercors n'a pas été trahi. Il a servi à une opération dont il a été victime. Pourquoi n'a-t-il pas été aidé ? Certains ont dit que c'était par crainte du peuple en armes... Mais ce n'est pas sérieux. A vrai dire, la question qui se pose est de savoir si, à l'époque - c'est-à-dire fin juillet 1944, l'opération projetée révélait une réelle utilité. D'une part, les Alliés hésitèrent longtemps avant de planifier l'opération « Anvil-Dragoon » - le débarquement de Provence (15 août 1944). De sorte que la mobilisation précoce du Vercors n'entrait pas dans leurs plans. D'autre part, les Alliés furent longtemps réservés par rapport au concours que la Résistance pouvait leur prêter, le considérant seulement comme un bonus. Face à ces réticences, le gouvernement du général de Gaulle ne disposait pas en propre de moyens suffisants pour épauler le maquis.
Ajoutons qu'au moment crucial l'aviation française ne possédait pas les appareils adéquats pour intervenir dans le Vercors. Seules la Royal Air Force et l'US Air Force auraient pu les fournir en nombre suffisant. Mais les Anglo-Saxons entendaient conserver toute la puissance de feu de leurs escadres afin de frapper là où ils l'avaient prévu et au moment qu'ils avaient choisi.
Plutôt que trahi, le Vercors semble avoir été oublié. La mission Zeller à Naples en apporte la preuve. Quand, le 6 août, Zeller y rencontre le général américain Patch, qui commande la VIIè armée prête à débarquer en Provence, il constate que le Vercors est pour lui un mot inconnu...
(1) Où les Alliés ont débarqué le 8 novembre 1942.
(2) Spécialiste des blindés, Delestraint, général de division à Metz, a eu sous ses ordres, juste avant la guerre, le colonel de Gaulle.
(3) Ces missions, baptisées « Jedburgh », comprennent à la suite d'un accord conclu entre de Gaulle et l'état-major allié, un officier du BCRA français, un agent du SOE anglais et un membre de l'OSS américain. Ainsi les trois services spéciaux se trouvent associés à ces opérations de liaison avec les maquis.
(4) Ces messages ont été publiés par Fernand Rude, dans la Revue d'histoire de la Seconde Guerre mondiale n°49, 1963, sous le titre « Le dialogue Vercors-Alger. Télégrammes échangés pendant la bataille ». C'est un document essentiel.
(5) Ces chiffres sont toujours débattus. Le Dictionnaire de la Résistance fait état de 456 morts au total.
(6) Cette thèse de la trahison a été soutenue par Fernand Grenier dans un article d'Alger républicain (28 juillet 1944), puis dans une série d'articles des Lettres françaises (entre 1945 et 1947).