SAÏGON

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1991

Issue, comme Manila Hôtel, du premier voyage en Extrême-Orient, et dans un style cinématographique fréquent chez Lavilliers (ex.Idées noires ; New York juillet), une chanson qui mêle une évocation de Saïgon / Hô Chi Minh City ("Un bateau blanc, la jungle verte / Voix chuchotée, bruits des insectes") et des considérations désabusées sur l'amour et les femmes ("qui ne donnent / Qu'un goût amer déjà vécu ailleurs"), conséquences sans doute de l'échec récent du troisième mariage de l'auteur.

SAÏGON VU PAR LUCIEN BODARD
(Les Collections de L'Histoire n°23 ; Pierre Assouline ; avril-mai 2004)

Il a été correspondant de guerre en Indochine. Il a aussi connu Saïgon à la fin des années 1920, quand son père était consul de France en Chine. Lucien Bodard, il y a vingt ans, se souvenait avec nous.

Nous sommes en 1928 à Saïgon. Cet adolescent de quatorze ans qui nous sert de guide dans les dédales de la ville s'appelle Lucien Bodard. Le futur grand reporter est né en 1914 à Tchoung-King (Chongching), en Chine. Son père est ministre plénipotentiaire, consul de France du Yunnan, une province de Chine qui surplombe le Sud-Est asiatique. Quand ils séjournent à Saïgon, les Bodard vivent dans un vaste bungalow mis à leur disposition par le gouverneur général.

Les avenues du quartier européen sont très paisibles. Un quartier, somme toute, à l'image de la cité : net, c'est-à-dire bien délimité par rapport aux autres. Impossible de faire quelques pas sans tomber inévitablement dans la fameuse rue Catinat, longue et étroite : magasins chics, élégantes terrasses de café. On s'y sent bien. Tout y est si beau, si propre, si... européen !

Tout au bout, c'est déjà le centre-ville, avec la cathédrale où il convient d'être vu le dimanche, l'esplanade, la maison de la Sûreté, le palais du gouverneur général de l'Indochine et, tout près, celui du gouverneur général de la Cochinchine, colonie française. Derrière ces beaux bâtiments qui en imposent, il y a, insoupçonnée car hors du « circuit », toute une série de rues encadrées d'arbres, de bungalows et de maisonnettes.

Lucien quitte maintenant le cœur de la ville et se dirige vers le port où sont traditionnellement concentrées les grandes maisons d'import-export, Denis frères par exemple, la plus célèbre de toutes. Ici, c'est d'abord le riz qui fait les fortunes. Le caoutchouc ensuite.

Entrons dans l'un des quartiers annamites pauvres, de plus en plus misérable au fur et à mesure qu'on s'y enfonce. Peu d'électricité dans cette théorie de bidonvilles où, le soir venu, l'atmosphère est lugubre - du moins pour l'Européen qui s'y aventure. Plus loin, plus étrangère encore, c'est Cholon, la ville chinoise (reliée à Saïgon par le boulevard Gallieni long de 5 kilomètres), capitale du commerce car les Chinois en sont incontestablement les maîtres, surtout pour le riz. Ici on vit à la chinoise. Comme en Chine. On parle chinois, on joue au mah-jong, on achète et on vend. Une puissance que Cholon.

Un Far West asiatique

Retour à la ville, à ses odeurs, à ses couleurs. Ça sent la vase à cause de la rivière et des anciens marais. Ça sent une indescriptible odeur où se mêlent la mousson, la pluie, la rouille, quelque chose qui vous prend les sens et ne vous lâche plus. Ça sent Saïgon. C'est caractéristique d'une ville généralement bien tenue, pleine d'arbres, où les vêtements des habitants sont assez homogènes. Les hommes portent la tenue tropicale classique, blanche, avec cravate et veston, malgré la chaleur. Le soir, à l'heure des grandes réceptions, ils sont encore en blanc - en smoking -, tandis que les femmes rivalisent d'élégance, comme à Paris.

L'Indochine est la colonie française qui a le plus haut standing. Pour un administrateur colonial sorti frais émoulu de l'École, l'« Indo » est incontestablement plus prestigieuse que l'Afrique noire. Et Saïgon reste un phare, même s'il n'y a pas de vie culturelle, ni française ni annamite, comme à Huê ou Hanoï. Saïgon, c'est un Far West où tout reste à faire, à commencer par la spéculation. Ville d'agiotage, ville financière où, pour les usuriers chinois, les cours des Bourses internationales sont importants - les nombreuses faillites locales en 1929 en seront la preuve. Saïgon a même sa Bourse officieuse : c'est là, dans une petite rue derrière la Banque d'Indochine.

Certes, Saïgon, ce n'est pas la folie de Shanghai. C'est plutôt une vie très protocolaire, où différents milieux se côtoient sans toujours se rencontrer : fonctionnaires, banquiers, commerçants, planteurs... Il suffit de se promener dans les rues, comme le fait le petit Bodard, pour se rendre compte que des mondes se croisent et s'ignorent, à commencer par les Européens et les Annamites. Dans cet univers serein et élégant, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas constater l'extraordinaire sentiment de supériorité des Européens vis-à-vis des indigènes.

Pour nous, le vieux baroudeur est redevenu un instant le petit Lucien déambulant dans sa Saïgon. « Nostalgique, moi ? Pas tellement. C'est plutôt le Saïgon de la guerre d'Indochine qui me manque », confiait-il.

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