L'ÉVANGILE SELON SAINT NANAR
Paroles | Bernard Lavilliers | |
Musique | Bernard Lavilliers | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 1972 |
Une charge antireligieuse aussi primaire que vulgaire.
COMMENT MARIE EST DEVENUE IMMACULÉE
(L'Histoire n°351 ; Paul Payan ; mars 2010)
Il s'agit sans doute d'un des dogmes les plus débattus et les plus critiqués de l'Église romaine. Devenu identitaire du catholicisme depuis sa proclamation tardive par le pape Pie IX en 1854, rendu célèbre par les apparitions à Bernadette Soubirous quatre ans plus tard et par le succès du pèlerinage de Lourdes, le dogme de l'immaculée conception de la Vierge est sévèrement critiqué par les autres christianismes, et très souvent mal compris. On le confond régulièrement avec la conception virginale de Jésus, alors que l'Immaculée Conception définit en réalité la pureté absolue de Marie, conçue elle-même sans péché, et préservée de ce péché originel censé entacher toute l'humanité depuis la faute d'Adam et Ève.
Le caractère récent de cette affirmation dogmatique ne doit pas faire oublier qu'elle est l'aboutissement de débats multiséculaires parfois très virulents. Déjà, l'étude très riche de Marielle Lamy avait détaillé les étapes médiévales de cette controverse (1). Le colloque réuni à Paris, à l'École des hautes études en sciences sociales, les 1er et 2 octobre 2009, à l'initiative de Séverine Lepape et Éléonore Fournié, a permis de rouvrir le dossier (2).
Tout commence au XIIe siècle avec l'apparition de la fête de la Conception de la Vierge, le 8 décembre. L'époque est à l'enthousiasme pour la dévotion mariale, et la nouvelle célébration remporte un vif succès, au point de s'imposer au cours du XIIIe siècle. Non sans mal néanmoins, et les critiques de Bernard de Clairvaux à son égard sont célèbres : n'est-ce pas étrange de célébrer une conception nécessairement obtenue par l'union sexuelle des parents de Marie ? Mais ce temps est aussi celui de l'affirmation du sacrement de mariage, que seule la consommation rend valide. Et les évangiles apocryphes, qui trouvent une nouvelle jeunesse au XIIIe siècle, diffusent largement l'histoire d'Anne et Joachim, les parents de Marie, pourtant inconnus de la Bible. Leur rencontre à la porte Dorée, à Jérusalem, mise en scène par Giotto à Padoue dans une sensualité exceptionnelle pour l'époque, est très vite assimilée à la conception elle-même.
Ce succès liturgique et dévotionnel se double d'un débat théologique opposant les tenants d'une conception miraculeuse, préservée du péché originel, et les « maculistes » qui expliquent que Marie n'a pu être soustraite à la loi universelle de l'humanité. D'un côté, les Franciscains, les Carmes, les Prémontrés ; de l'autre, les Dominicains.
Le débat dégénère parfois en conflit ouvert, comme en 1387, en pleine crise du Grand Schisme d'Occident qui oppose le pape de Rome et celui d'Avignon : pour avoir critiqué violemment la thèse de l'Immaculée Conception, le dominicain Juan de Monzon subit les foudres de l'Université de Paris et doit fuir auprès du pape de Rome, Urbain VI. En ces temps difficiles où le sentiment de la corruption humaine est très vif, on se complaît sans doute davantage à l'idée d'une pureté absolue. Les clercs et les fidèles la cherchent dans la figure de la mère du Christ.
Cependant, la définition de ce privilège marial est encore loin d'être fixée. Le théologien Jean Gerson, pourtant connu pour son sérieux et sa modération, ne propose-t-il pas d'attribuer également à Joseph une sanctification in utero à peine moindre que celle de son épouse ? Son idée ne rencontrera guère de succès. Malgré tout, ce XVe siècle aurait pu voir triompher la thèse de l'immaculée conception de la Vierge. Au concile de Bâle, en 1439, elle est affirmée très officiellement ; mais le concile étant entré en dissidence contre le pape, cette décision put être remise en cause. Les conflits se poursuivent jusqu'au XVIIe siècle, notamment en Espagne et en Italie. Ils sont aggravés par le fait que les Dominicains sont en charge de la redoutable Inquisition contre laquelle, en Andalousie par exemple, la dévotion populaire à l'Immaculée Conception, propagée notamment par des chansons enseignées dans les écoles, prend l'aspect d'une véritable réaction.
Un des apports du colloque organisé à l'EHESS fut justement de montrer, avec l'aide d'historiens de la littérature, d'historiens de l'art et de musicologues, comment l'idée d'une immaculée conception de la Vierge fit peu à peu son chemin par le biais de la liturgie des offices de la Vierge et de leur musique, mais aussi par les images. Les images des parents de la Vierge, par exemple, qui insistent de plus en plus, à la fin du Moyen Age, sur le caractère exceptionnel de leur rencontre ; celles surtout de la Vierge dans le soleil, debout sur un croissant de lune, entourée d'étoiles. Cette figure ancienne, inspirée de l'Apocalypse, s'impose à partir du XVIe siècle comme l'image de la Vierge immaculée.
Cette tension entre dévotion et théologie se retrouve, bien plus tard, dans la grotte de Lourdes : en se faisant l'interprète d'une parole de la Vierge littéralement dénuée de sens - « Je suis l'Immaculée Conception » -, la jeune Bernadette traduit une quête de pureté qui peine à se définir. A la suite d'Élisabeth Claverie qui concluait ce colloque, on peut y lire une « technique d'atténuation » du paradoxe inhérent au christianisme, celui d'un Dieu qui s'incarne dans un système humain de parenté (3).
Si la décision pontificale de 1854 a mis un terme à plusieurs siècles de débats, la question de la pureté de Marie continue à opposer les différentes confessions chrétiennes, et à intriguer historiens et anthropologues.
(1) M. Lamy, L'Immaculée Conception, Institut d'études augustiniennes, 2000.
(2) Les actes de ce colloque seront publiés prochainement dans la revue en ligne L'Atelier du Centre de recherches historiques. Cf. aussi J. Berlioz, « Vous avez dit "Immaculée Conception" ? », L'Histoire n° 263, mars 2002, pp. 25-26.
(3) É. Claverie, Les Guerres de la Vierge. Une anthropologie des apparitions, Gallimard, 2003.