L'EMPIRE DU MILIEU
Paroles | Bernard Lavilliers | |
Musique | Bernard Lavilliers et Georges Baux | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 2001 |
Mi-parlée, mi-chantée, une chanson où Lavilliers se rêve en caïd d'un milieu glacé, aux antipodes des truands romantiques de jadis, et qui finit allongé "sur le comptoir" par un "11-43". L'affaire se termine par une citation dont Lavilliers donne pour une fois l'auteur : "Comme le disait si bien la grande Signoret / La nostalgie, petit, n'est plus ce qu'elle était".
LAVILLIERS ET SA MYTHOLOGIE DE TRUAND
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)
Juin [1968] arrive et l’ordre avec, toutefois, son lot d’amères désillusions. A Paris, le quartier Mouffetard, au plein cœur des émeutes de mai, doit panser ses plaies. Il faudra du temps pour qu’il redevienne en partie ce qu’il a été, notamment pour ce qui concerne ses lieux enchantés. Désœuvré, comme au chômage technique, Nanar part pour la Bretagne, en Vélosolex. Il va tenter de chanter et plus sûrement faire la manche à Morgate plage. On perd alors régulièrement sa trace. La légende le dit désabusé par l’étonnant dernier acte d’un Mai 68 qui fit long feu. Et usé, énervé par un métier où la galère et l’indifférence supplantent trop la notion de plaisir. On le serait à moins. L’histoire officielle – le sacro-saint mythe – le voit tirer un trait sur son rêve de chanteur et s’en aller, de guerre lasse, explorer d’autres horizons, exercer d’autres boulots. En 1969, il serait exilé à Marseille, à faire la manche sur le Vieux-Port puis se produisant, ici et là, dans des cabarets et bistrots de la cité phocéenne. « Ce n’était pas un grand voyage mais il y avait du soleil et, pendant un an, je n’ai pas arrêté de rire. J’avais une boîte de nuit et un autre établissement dans le style restaurant qui fait passer des artistes. Dans ce dernier, d’autres auraient fait du strip-tease mais moi je faisais de la chanson. Parfois des chanteurs hyperviolents s’y produisaient. Le public était composé d’étudiants, de bourgeois qui venaient s’encanailler et de voyous qui étaient mes amis. Ça durait jusqu’à six heures du matin… Ces clubs ne m’appartenaient pas. C’était plus du contrôle. En fait, nous les avions pris à d’autres gens. De force. Enfin, ce n’est pas très important, c’est vieux… » (1)
Nanar est donc dans le commerce, restauration et boîtes de nuit… « Je vais faire du blé parce qu’il faut que j’aie de l’argent un jour dans ma vie pour savoir ce que c’est… Je commence à gratter un peu, puis je me lance dans les affaires : deux boîtes de nuit sur le port. Il m’arrive d’y organiser des spectacles et parfois d’y chanter, mais on ne peut pas dire que ce soit mon activité principale. J’écris même une chanson au sujet du maire de Marseille : intitulée Marseille la combine, elle commençait par "Y a Deferre qui sautille sur le fil du social…” J’adore cette ville : c’est une espèce de jungle. Chicago des années trente. Ça cartonne dans tous les sens. J’y suis donc un voyou. Les affaires sont florissantes : je gagne beaucoup d’argent en travaillant mais pas trop, j’ai une Jaguar, des costards et une villa superbe. C’est la belle vie. Je vis la nuit et c’est le genre calibre plutôt que guitare. Un an passe ainsi… » (2)
Malgré nombre d’interviews, Lavilliers n’est jamais très prolixe quand il s’agit de narrer cette période. Il se raconte avec d’étonnants points de suspension, suggérant plus qu’autre chose, feignant de ne pas pouvoir en parler, nous persuadant que, de toute façon, nous ne pourrions comprendre… Par défaut, il nous reste l’idée, presque la saveur, d’un Borsalino méridional à l’accent de Pagnol fleurant bon l’air marin et la sardine qui vous en bouche un coin.
Le coup de revolver qui claque sur le port
Dans le silence des étoiles
Et se prolonge par les ruelles
Dans le bruit de fuite éperdue.
(Toutes les puissances du globe – Louis Brauquier)
Légende à bon compte, sans doute. Toujours est-il que Bernard prend effectivement ses quartiers quelque temps, avec semble-t-il femme et enfant, dans la cité phocéenne où il se produit deux mois durant, comme chanteur, dans un bar-cabaret du VIè arrondissement, non loin du centre-ville. En fait, l’un des précieux contacts que Lavilliers doit à l’ami Jacky, le patron du Scala, à Paris Mouffetard. Il prolonge son séjour quelque temps encore dans un autre troquet, sur le front de mer, tentative louable de faire naître un cabaret dans cet improbable endroit. Là, notre Stéphanois fait fonction de programmateur et profite de ce statut tout neuf pour inviter nombre de ses copains parisiens. Ainsi son pote Germinal, qui y restera toute une semaine.
On retrouve ainsi sa trace artistique, dans l’Hexagone, à chanter dans des petits lieux, des soirées cabaret, comme en mini-tournées des Maisons des jeunes de la couronne parisienne. Difficile de se produire ici et là, sur de modestes scènes, et d’être simultanément acteur privilégié de cette pègre marseillaise qui vit encore ses grandes heures, transition mouvementée entre l’empire Guérini et le clan Zampa que relatent abondamment les gazettes et, plus sûrement encore, les archives de la P.J.
(1) http : //voleurdefeu.skyrock.com
(2) Paroles et Musique n°11, juin 1981, propos recueillis par Jacques Erwan. Le séjour marseillais est parfois un peu décalé dans le temps : « A Marseille, j'ai passé des années brûlantes, au tournant de 1970. J'étais un aventurier à l'époque. Je venais de faire dix-huit mois de prison. J'étais déserteur. Il a fallu que je me mette un peu au vert. Ici, j'ai d'abord travaillé au Vieux-Port, dans des boîtes comme Le Pussycat ou Le Sammy-Bar, rue de la Paix. Disons que j'étais plus dans les affaires que dans la chanson ». lit-on dans les colonnes du quotidien La Provence, le 5 mars 2003, en des propos recueillis par François Tonneau.