LA MALÉDICTION DU VOYAGEUR
Paroles | Bernard Lavilliers | |
Musique | François Bréant | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 1981 |
De "Je sens le désespoir / Je suis entré dans son champ magnétique" à "quand on aime / Il faut partir" (où Lavilliers cite Cendrars, son poète préféré : cf. Vou embora) et à "Je ne veux pas mourir / Je veux voir les couchants du Pacifique" : trois couplets pour une chanson qui, comme Night bird et Nuit d'amour sur le même album, semble pressentir la fin de l'histoire avec Lisa Lyon et où l'auteur tente de retrouver le souffle de l'aventurier toujours en quête de l'ailleurs pour prendre un nouveau départ dans sa vie, sur le plan privé comme artistique ("Si je chante c'est pour ne pas mourir / Un jour").
JE VOUDRAIS PAS CREVER
(Boris Vian ; 1952)
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d’argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d’égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu’on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j’en aurai l’étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j’apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d’algues
Sur le sable ondulé
L’herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L’odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l’Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J’en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s’amène
Avec sa gueule moche
Et qui m’ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d’avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu’est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir gouté
La saveur de la mort…
NDLR : Lavilliers récite Je voudrais pas crever sur deux albums en public (Olympia "Live 1984", publié en 1985, et Histoires en scène, publié en 2000) et sur la compilation La marge / Lavilliers chante les poètes (2003).