LA BOSSA CANCANIÈRE
Paroles | Bernard Lavilliers | |
Musique | Bernard Lavilliers | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 1968 |
Une musique aux accents brésiliens (la première dans l'œuvre de Lavilliers) pour évoquer sur un ton désabusé la France bourgeoise ("Marianne aux seins tristes") qui reprend ses aises après le bref épisode révolutionnaire de mai 68.
LAVILLIERS DÉCOUVRE LA MUSIQUE BRÉSILIENNE
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)
Curieux de tout, c’est sans surprise qu’on croise Bernard Lavilliers dans les bars latins du quartier du même nom. Il y retrouve une petite musique venue de Rio ou de Belém qui, lentement mais sûrement, s’insinue en lui et prend une place confortable. Celle que, tout gosse, il écoutait à la radio avec son papa. Et dont un chanteur suisse passé par Le Gourgouillon, Gilles Darco, un fou de musique bossa, lui a remise en mémoire comme une piqûre de rappel. On dit même que les plans brésiliens de Lavilliers viendraient de ce Darco qui, lui, a séjourné un temps au Brésil. Darco mais aussi et bien sûr Claude Préchac, le guitariste accompagnateur de Bernard, Marcel Rothel, entendu à La Méthode. Et l’incontournable Pierre Barouh.
La musique brésilienne n’est alors connue que par la samba et la bossa-nova. Dans les années cinquante, la samba a envahi la chanson française. Quiconque chante en roulant bien les r a pu prétendre en faire des tubes, bien souvent lancés par le cinéma ou par l’opérette. Ray Ventura, Henri Salvador, Gloria Lasso, Tino Rossi, Luis Mariano, Georges Guétary, les Compagnons de la chanson et autres Annie Cordy ou Dario Moreno s’y sont employés. Par eux, la samba, dans sa version made in France, ne pouvait qu’être joyeuse, voire sensuelle, déconnectée de toute réalité sociale ou culturelle, aseptisée.
En ces années soixante, c’est un autre rythme importé du Brésil, la bossa-nova, qui rencontre un grand engouement, pour un public autrement plus connaisseur. Dès 1964, Stan Getz et Joao Gilberto ont lancé, par un disque resté fameux, la vogue internationale de la bossa-nova. En France, Pierre Barouh devient un des principaux acteurs de sa vulgarisation. La Samba da Bênçao de Vinicius de Moraes et Baden Powell est l’un des thèmes musicaux les plus appréciés du film Un homme et une femme. Rebaptisé la Samba Saravah, sans exotisme aucun, simple témoin de voyage du promeneur que dit être Pierre Barouh, ce titre fait un carton et fera naître nombre de vocations… Autre Palme d’or du festival de Cannes, celle obtenue en 1959 par Orfeu Negro, film de Marcel Camus, qui transporte le mythe d’Orphée et d’Eurydice dans les favelas, à la veille du carnaval de Rio, et dont la bande originale permet de découvrir les chansons de Luiz Bonfa et de Tom Jobim. A la marge de la variété du moment, les ondes diffusent le Bidonville de Claude Nougaro, belle transposition de Berimbau, chanson originale de Ray Gilbert, de Vinicius de Moraes et de Baden Powell. Dans la foulée, bien d’autres adaptations, plus ou moins heureuses, déferlent à leur tour sur les ondes. Le Brésil est bien là qui, de Bourvil à Pierre Vassiliu, de Brigitte Bardot à Joe Dassin, souvent grimé, parfois dévoyé, va teinter durablement la production française.
De la même manière que des générations de guitaristes se sont exercés et s’exerceront encore sur Jeux interdits, on s’essaie alors à la bossa. Cela en devient presque un exercice rituel pour qui gratte quelque peu, ne fût-ce que pour rivaliser lors des bœufs coutumiers et nocturnes de La Contrescarpe et d’ailleurs. Lavilliers est de loin le meilleur, tant il est vrai qu’il n’aborde pas la question en dilettante : il travaille sans relâche. Et la bossa-nova est bien difficile. Georges Moustaki le confirme, évoquant « cette complexité rythmique extraordinaire avec des morceaux à huit, à onze temps, ces harmonies très élaborées qui sont, pour eux, celles des débutants, alors qu’ils ne savaient pas jouer un la mineur […] C’étaient des érudits qui faisaient de la musique populaire, du jazz mêlé au fado et aux rythmes noirs. »
Samba, bossa… et un autre style musical encore, que Lavilliers vient écouter dans ces boîtes. C’est une sorte de protest-song venue de là-bas, par l’entremise de ces nombreux artistes en exil, chassés par le régime des généraux, souvent déchus de leur nationalité. Parmi eux, Geraldo Vandré : « Tu peux pas savoir le chant de ce mec […] Tu vois, c’est très différent de la musique brésilienne traditionnelle, c’est très curieux… Enfin, il fait des sambas et des bossas, tout ça, mais il a aussi des chants de désespoir avec trois accords » s’émerveillera Lavilliers (1).
(1) Rock et Folk n°119, décembre 1978, propos recueillis par Jacques Vassal.