JET LAG

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Sebastian Santa Maria
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1991

L'album Solo se termine par une sixième chanson où Lavilliers confie, sous couvert de la métaphore du "jet lag", son désarroi (le mot "seul" revient de façon aussi obsessionnelle que dans Manila Hôtel) après l'échec de son troisième mariage.

VOYAGE EN ASIE
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)

Un peu Blaise Cendrars, un peu Jack London, un peu Henry de Monfreid, un peu Louis Brauquier, un peu Hugo Pratt… Est-ce un hasard si, après les Caraïbes et l’Afrique et comme Corto Maltese, Lavilliers se rend en Asie ? Dans le sud-est asiatique précisément : « Je me suis dit qu’en Asie j’apprécierais la façon de gérer le temps. Je suis parti, seul, alors que j’étais en pleine fracture avec ma femme. » (1) Bernard y reste six mois, à tenter de s’imprégner de ces pays dont il ignore tout. Pour écrire. Il n’est pas vraiment seul mais avec ses musiciens et quelques proches, patriarche de cette équipée. Mais fragilisé par de nouveaux déchirements. Il établit sa base à Bangkok, en Thaïlande, dans le Triangle d’or où il loue une maison. De là il peut se rendre un peu partout. « L’Asie me fascinait depuis toujours par son mélange de violence et de sagesse zen. » (2)

La légende ne peut trouver en cette région du globe qu’un magnifique et fertile terreau. Lavilliers ne se privera pas de le cultiver, confiant notamment par la suite qu’il aurait mis six mois à convaincre un grand seigneur de l’opium de lui accorder une interview dans la jungle de Birmanie : « J’attendais comme un tigre dans mon coin… et je faisais mon album Solo. » (3) Quelle interview, pour quel support ? nul ne le sait. Manille, Saïgon, Hanoï, le Cambodge… Il essaie d’étancher sa soif de connaître, de comprendre. Sur la Thaïlande aux deux visages, celui si hospitalier et celui de l’abattage quasi industriel pour touristes libidineux. Sur les Philippines aux rapports sociaux passionnels, à cette guerre qui n’en finit pas. C’est d’ailleurs à Manille, la capitale, qu’une partie du disque à venir sera mise en boîte. Sur ce Vietnam qui évoque chez lui les années de lutte historique contre la guerre menée par les Américains… A Saïgon, Bernard séjourne à l’hôtel Continental, jadis refuge d’André Malraux. Là, histoire rêvée ou vécue, il chante tous les soirs devant des Russes, des consultants économiques. Des Russes et des Vietnamiens, quelques Français, des Malaisiens, tous au bar du Continental, l’image est surréaliste. Presque cinématographique… Hasard ? L’équipe au grand complet du film L’amant, avec Jean-Jacques Annaud à sa tête, est justement ici. « Un soir on est tous allés bouffer une soupe à Cholon, chez un vieux chinois dont le fils jouait du Schubert au piano. On lui a demandé si on pouvait l’utiliser et, là, j’ai chanté Saïgon, à six plombes du mat’, avec toute la rue qui débarquait dans la maison du vieux… » (4)

Reste que dans cette région du monde, hors les souvenirs qui contribueront de suite à requinquer le mythe, Lavilliers est comme tout Occidental, sans trop de repères. Difficile donc pour notre chanteur qui est ici dans la perspective d'alimenter de futures chansons. Cela se sentira à l'écoute de ce nouvel album, Solo, non déroutant mais étrange, dont les intrigues profitent d'ambiances et de lieux sans jamais les explorer vraiment : « Je n'ai pas tout compris de cet univers complexe. Là-bas, le mystère s'épaissit au fur et à mesure qu'on avance » (5). Il n'y a vraiment qu'Erevan pour prendre acte d'une réalité, « juste après la guerre », où « tout est à refaire » ; une chanson à l'atmosphère poisseuse, au climat de désolation, d'une absolue fragilité, totalement prenante.

Outre ces billets asiatiques, Lavilliers dresse un implacable bilan de l'état du monde. Et il y a certes de quoi nourrir les plus folles inquiétudes. Nous venons de vivre la guerre du Golfe, sans savoir encore qu'elle n'est que la première du nom. Tutsis et Hutus s'entre-tuent au Rwanda. En Birmanie, Aung San Suu Kyi, privée l'année précédente de sa victoire aux élections, reste assignée à résidence par la junte de son pays...

Comment va le monde - il est rouge sang
Et à mon avis il l'est pour longtemps.
(Faits divers - Bernard Lavilliers, 1991)

(1) Humanité-Dimanche, 11 novembre 1991, propos recueillis par Victor Hache.

(2) France-Soir, novembre 1991, propos recueillis par Monique Prévot.

(3) La Presse, Montréal, 8 janvier 2005, propos recueillis par Alain Brunet.

(4) Chorus, Les Cahiers de la chanson n°10, hiver 1994-1995, propos recueillis par Fred Hidalgo.

(5) Humanité-Dimanche, 11 novembre 1991, propos recueillis par Victor Hache.

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