ENTRÉE DES ARTISTES
Paroles | Bernard Lavilliers | |
Musique | Jean-Paul Drand (dit "Hector" | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 1984 |
Un rock où Lavilliers explique comment il conçoit un concert : "Ouvrez les yeux pour voir / Vos vies dans un miroir".
LAVILLIERS ET L'ÉCOLE JOSÉPHINE B.
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)
Situé au 16 de la rue de Clichy, dans le IXè arrondissement, le Casino de Paris est une salle de spectacles et de concerts datant du XVIIIè siècle. Tour à tour hall de loisirs, cinéma puis music-hall, hantée par le souvenir de la "Vénus noire" que fut Joséphine Baker, de Maurice Chevalier, de Line Renaud ou de Zizi Jeanmaire, la salle n’en finit pas de connaître des déboires financiers, à la mesure d’un genre qui tombe en désuétude. Depuis sa réouverture, deux ans plus tôt, le Casino accueille des spectacles de toute nature, des ballets, des concerts, voire des opéras. Après l’avoir créée à l’Odéon, Jérôme Savary vient d’y reprendre avec succès Superdupont Ze Show, l’adaptation de la bande dessinée de Lob, Gotlib et Solé, avec Alice Sapritch en irrésistible diva. Mais voilà que la salle est de nouveau mise en vente : une opportunité que saisissent, en septembre 1984, Lahana et Lavilliers, le manager et l’artiste tous deux associés : « Cet endroit m’a toujours fasciné par sa machinerie colossale et la magie qui l’imprègne », s’émerveille Bernard qui rêvait d’avoir un outil de travail à lui et imagine déjà des concerts de musiques africaine et brésilienne en ce lieu. Il va y réaliser un des vœux les plus chers : « Pour moi, l’extraordinaire c’est la naissance d’une compagnie. Tôt ou tard, tous les solitaires ont besoin de participer à une expérience de groupe. » (1)
Tocade d’artiste désormais fortuné ? Pas vraiment, car une telle envie existe depuis pas mal de temps chez lui, souvent exprimée lors d’interviews où notre chanteur, longtemps pauvre come Job, rêvait alors à voix haute de grands et généreux projets, salles de spectacles comme galeries d’art. Lavilliers devient directeur artistique de cette superbe mais vétuste salle et, d’emblée, y crée l’école Joséphine-B., école de chant, de danse et de comédie. Celle-ci part d’un constat : en grande partie à cause de la disparition des associations type loi de 1901, durement mises à mal par les producteurs qui n’aiment guère cette concurrence altruiste, il n’y a plus – ou peu – d’endroits dans la capitale où les débutants peuvent se produire. Il faut donc recommencer à faire des auditions : « J’ai pris des parts dans le Casino de Paris, et c’est là que je vais en organiser. Je pense aussi à un lieu de spectacle plus petit, où les artistes auditionnés pourront faire des concerts […] C’est très important pour les musiciens de jouer souvent. Et puis il y a un rapport estomac-création qui fait que tu te sens créateur quand ce que tu as créé te fait bouffer, même mal. » (2)
Pour la programmation artistique, Bernard s’adjoint la participation de Jean-François Millier, ancien responsable de celle du Palais des Glaces. Le danseur Jean-Marc Torrès assure la direction de l’école de danse et de Joséphine-B. en général, tandis que Nicole Lebof est gérante de Trinité-Spectacles, la société de gestion du Casino de Paris dont Bernard est actionnaire.
Alain Lahana, on le sait, est après Martig le nouveau manager de Lavilliers. Mais aussi son producteur scène et le directeur de Big Brother Company, la maison d’édition que lui et Bernard viennent de créer. « Nous étions ultra-proches, Bernard et moi, quand nous avons voulu racheter le Casino de Paris. ». Mais, si la constitution de la société est rédigée, avec avocats et autres juristes, et signée, la vente ne se fera jamais. Car rien ne semble tout à fait clair, tout y est malsain… « Il fallait que Bernard se rende compte qu’il allait se faire escroquer par ses amis en mocassins blancs. L’idée était bonne mais la base trop pourrie », se souvient Evelyne Rossel (3). Comme pour ajouter au malaise ambiant, c’est le moment, pas forcément choisi, où Alain part avec Evelyne, la mère de Virginie et de Guillaume. « Tout s’est arrêté net. Pour Bernard, ça a enchaîné sur une dépression profonde. Pour moi, ça a été un changement radical de vie. Tout était trop extrême dans cette histoire, de toute façon… » commente avec pudeur et retenue Alain Lahana (4).
L’école Joséphine-B. vient tout juste d’ouvrir dans des murs qui ne sont pas, ne sont déjà plus les siens. Et les relations sont tendues avec le propriétaire légal, forcément marri des pourparlers inaboutis avec la société qui entendait prendre la direction du Casino. Il réclame des arriérés de loyer, que Lavilliers fait le choix de différer compte tenu de ce qu’il estime être le pitoyable état des lieux, en l’attente de travaux indispensables à des conditions plus décentes. Finalement, suite à un jugement en référé ordonnant l’expulsion de la société Trinité-Spectacles, le gendre du propriétaire des murs fait changer serrures et cadenas de la salle. « De là à se faire jeter dehors, il y a un gouffre […] S’il n’y a pas d’autre moyen que la violence, j’en userai, ça fera peut-être bouger le ministère de la Culture et, en tout cas, on en parlera. Je n’ai pas peur de faire de la tôle » avait déclaré Lavilliers à un collaborateur du quotidien France-Soir (5). Le jour même, deux gardes du corps de Bernard tentent de défoncer les portes du Casino de Paris ; l’un d’eux en vient aux mains avec le propriétaire. Bernard sera interpellé le jour même, avec son indélicat gorille, pour "complicité de coups et blessures volontaires par instructions données et détérioration de biens immobiliers". Il sera libéré après une garde à vue de vingt-quatre heures au commissariat Saint-Georges. Cette rixe fameuse, ce « Rififi au Casino de Paris », comme le titre alors France-Soir, connaîtra son épilogue en justice à la mi-décembre devant la 24è chambre correctionnelle de Paris. Lavilliers y comparaîtra en « chemise et cravate noire sous un trench-coat mastic et santiags en croco, cheveux bouclés encore humides de la douche », se plaisent à le noter les journalistes de l’AFP, devant un public de groupies. Ses défenseurs demandent la dispense de peine : « Pas de prison, même avec sursis, pour le François Villon des temps modernes ! » s’écriera même, effets de manche à l’appui, l’un de ses deux avocats. Nanar sera condamné à cinq mille francs d’amende.
Il faut sauver Joséphine B., désormais sans locaux. Grâce à Jean-Michel Boris, le directeur adjoint de l'Olympia, l'école est accueillie sur-le-champ dans ce haut-lieu du music-hall. Au moins le temps de trouver un autre domicile car les locaux octroyés, dans les combles, se révèlent vite trop exigus et les élèves ont la fâcheuse tendance d'envahir la prestigieuse salle de spectacle. ce sera un moment le théâtre de Paris, rue Blanche, puis à la rentrée 1986 le théâtre du Ranelagh, dans le XVIè arrondissement, à deux pas de la Maison de la Radio, dont Madona Bouglione vient tout juste de prendre la direction avec l'intention affichée d'en faire « un des temples parisiens du spectacle vivant de qualité » et qui a l'avantage de disposer de beaucoup de salles en sous-sol pour les ateliers. Considérant que les enseignants qui ne sont plus que profs perdent de fait le contact avec le métier, la scène, Bernard tient à ce que les cours - plutôt des confrontations d'expériences, d'ailleurs, que des cours magistraux, - soient dispensés par des praticiens en activité. Les intervenants sont de belles pointures dans leur discipline respective. Le chant professionnel, lyrique et variétés est l'affaire d'Eve Brenner, Klaus Basquiz et Anne Vassiliu ; la musique de Walter Araujo, Faton Cahen, Micky Finn et, parmi d'autres encore, Didier Lockwood. Philippe Léotard vient y professer, le photographe Jean-Pierre Leloir également. Quant à Lavilliers, qui se veut une sorte de parrain de l'école, il y assure un stage.
Le designer, auteur et acteur Didier Wolff fut un des élèves de Joséphine B. : « Cette école était vraiment formidable, extraordinaire, il y régnait une ambiance de troupe de cirque. Mais nous trouvions Lavilliers bien absent, inexistant et cela nous décevait beaucoup. » (6) L'expérience tournera court au bout de trois saisons, à cause, dit-on, de résultats eux aussi décevants.
(1) France-Soir, septembre 1984, propos recueillis par Monique Prévot.
(2) Télérama, 2 mai 1984, propos recueillis par Anne-Marie Paquotte.
(3) Entretien avec l'auteur, février 2009.
(4) Entretien avec l'auteur, juillet 2007.
(5) France-Soir, 31 octobre 1984.
(6) Correspondance avec l'auteur, janvier 2006.