CHANSON POUR MA MIE

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1967

Saint-Germain bidon-bidon faisait un peu allusion au sujet, mais Chanson pour ma mie est la première véritable chanson de la veine ouvrière de Lavilliers, avec, dix ans ou presque avant Les barbares, déjà l'amour comme moyen d'échapper à une "usine bagne".

APPRENTI A LA MAS
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)

C'est ainsi que, pour l'heure et pour trois ans, Bernard intègre l'Ecole de formation technique de la Manufacture d'armes de Saint-Etienne (la MAS). Une école échappant à l'emprise de l'Education nationale : ici c'est la Délégation ministérielle pour l'armement qui fait tutelle. Si l'école est enviée, la publicité qui en est faite pour recruter les élèves est paradoxalement très discrète, à tel point qu'on ignore son existence. N'y entre pas qui veut, on passe un concours pour être admis. Quant à savoir le poids du piston... Le papa Oulion n'est-il pas secrétaire administratif à la Manu, en charge de la paye des ouvriers, qui plus est responsable syndical du personnel administratif, forcément influent donc ? « Piston ? Je ne sais pas, je ne l'ai pas su, affirme pour sa part Eugène Mouget, un des camarades de classe de Bernard. Il y avait un concours : une partie écrite puis les enseignants nous recevaient les uns après les autres. Comme par hasard, celui qui m'a reçu était un copain de mon père, militaire de carrière. Bah, tant mieux ! Ai-je été pistonné, je ne sais pas. Toujours est-il qu'on ne prenait pas des imbéciles dans cette école. Déjà qu'il sélectionnaient très peu d'élèves... » L'école d'apprentissage n'est pas des plus importantes : une seule section, trois niveaux, une vingtaine d'élèves en première année, un peu moins les saisons suivantes, cinquante en tout au grand maximum. En troisième année de cette promotion-là, ils seront quatorze, avec pléthore d'enseignants : un prof pour quatre élèves tourneurs ! Etonnez-vous ensuite que le niveau de réussite au CAP frôle le 100 %...

 

Sur les murs prisonniers
De mon usine bagne.

(Chanson pour ma mie - Bernard Lavilliers, 1967)

 

On a beau être dans l'enceinte d'une entreprise d'armement, cerclée de hauts murs rappelant la toute-puissance de l'époque napoléonienne, c'est le rythme scolaire allié aux horaires d'usine qui prédomine ici : quarante heures hebdomadaires, moitié en atelier, moitié en enseignement général, principalement français, maths, techno et législation du travail. Quand on rentre dans cette école, l'avenir est tout tracé, le futur employeur clairement identifié : on est « manuchard » à vie, à gravir en fonctionnaire qu'on est alors les échelons pour devenir un jour ouvrier P3 ou, mieux encore, contremaître. Le cursus est rectiligne, planifié. Tout au plus peut-on y échapper en devenant à son tour enseignant technique... dans l'Education nationale. « J’étais apprenti à l’école de la MAS, se souvient Bernard. Après, on m’a engagé. On nous racontait qu’on allait démarrer notre carrière ici et la finir ici. Moi, j’ai jamais cru à ces conneries. La preuve, y a qu’à voir ce que c’est devenu ! » (Forum FNAC Saint-Etienne, 25 septembre 2004, propos recueillis par l'auteur). Bernard, lui, est sur une autre voie. D’emblée, rebelle. Et secret. S’il participe à la vie d’une classe extrêmement soudée, il n’en a pas moins sa part de mystère. « On sentait bien qu’il voulait faire autre chose », dit encore Eugène. Dés le début, comme pour poser un cadre, il étonne les autres élèves, affirmant que son avenir n’est pas ici, mais dans le spectacle… En tant qu’acteur. Ou chanteur, il ne sait pas encore. Dans le Saint-Etienne du début des années soixante, dans cette tradition de grande humilité ouvrière, rêver de quitter ce monde, de se faire la belle, est folle prétention. Que dire alors de ce comparse en bleu de travail qui veut devenir vedette comme Gérard Philipe ou idole des jeunes comme Johnny Hallyday ? Et pour lequel s’insinuent déjà des désirs d’ailleurs…

 

Dans les usines
On assassine
Des enfants de dix-huit ans qui rêvaient d'aller
Aux Amériques
Sous les tropiques.

(Dans les usines - Serge Lama, 1967)

 

De l’avis général, Bernard est un fieffé affabulateur. « Dans une école qui ne formait que des mécaniciens, ça paraissait utopique », raconte Raymond Arcos, un de ses collègues de l’époque, qui poursuit : « Le lundi matin, Bernard était un peu l’attraction : il avait toujours quelque chose à raconter qui sortait de l’ordinaire. C’était quelqu’un qui, dans la classe, dans ce cadre restreint, petit, apportait un souffle nouveau et des sujets qui n’avaient pas leur place ici. Il était le seul à discuter de poésie avec le prof de français. » Auprès de ses camarades de classe, Oulion se targue de ces gens censés le conforter dans son ambition artistique, tel Jean-Louis Barrault, qu’il dit avoir rencontré dans le sud de la France. Et, plus sûrement encore, René Lecacheur, son professeur d’art dramatique et de diction au Conservatoire, où Bernard est élève, au rythme de plusieurs soirs par semaine. Les camarades écoutent, sans en croire un traître mot : c’est forcément un sacré bonimenteur que cet Oulion ! En revanche, on ouvre sans doute plus les oreilles, on écarquille à coup sûr plus les yeux quand il narre ses aventures sentimentales, notamment ses week-ends à Béziers, auprès de l’amour de sa vie, comme il dit. Car il est beau mec, le Nanar. Et le sait, lui qui dit si souvent avoir « un profil de romain ». Qui plus est, il chante et joue de la guitare : objectivement un bon atout auprès des filles. On l’envie…

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