15è ROUND

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1977

La chanson éponyme de l'album 15è round est presque la seule du répertoire de Lavilliers à alimenter sa légende d'ancien boxeur. Elle fait alterner les couplets où le dur-à-cuire, las de "porter toute la violence", exprime son besoin de tendresse auprès des femmes, une guitare pleine de douceur donnant alors le ton des confidences, et ceux qui disent la fureur des combats sur un fond musical adéquat. 15è round constitue ainsi un contrepoint salutaire à l'exaltation débridée de la marginalité sauvage dans Fauve d'Amazone et N'appartiens jamais à personne sur le même disque.

LAVILLIERS ET SA MYTHOLOGIE DE BOXEUR
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)

Bernard est d’une constitution fragile (« Cadre de vie et alimentation défectueuse ont fait que j’étais un môme assez faiblard (1) ») qui met sa vie en péril (« J’ai eu une sorte de leucémie, suivie d’une congestion pulmonaire et d’une pleurésie, si bien qu’on se demandait chaque année si j’allais passer l’hiver (2) »). Il aurait besoin, a dit le médecin, d’un séjour en sanatorium. Mais c’est bien trop loin, bien trop cher et il n’y a pas le moindre sou à la maison. Alors la famille se résigne et se prive plus encore pour de toute urgence déménager à la campagne, se mettre au vert, « à La Fouillouse, un tout petit bled » (3), là où l’atmosphère n’est pas souillée par ces particules de charbon qui vous rongent les poumons et mettent la vie du gamin en péril. Voilà le grand air et c’est la rédemption. « C’était plutôt une vie équilibrée. Mon père et moi on faisait le jardin… et puis on bouffait mieux là qu’en ville » (4). La nature et les travaux de jardinage requinquent le jeune Bernard. Qui reste malgré tout en état de lutte pour survivre. Car il faut se battre, encore et toujours, en l’occurrence avec ces gosses de la campagne qui castagnent volontiers le citadin. « Quand on est rentré en ville, j’étais déjà une espèce de brute. J’avais fait les travaux des champs avec les paysans, et des concours de force avec leurs fils qui me mettaient tout le temps au défi parce que je représentais la ville : je ne me suis jamais autant battu. » (5) Bernard le souffre-douleur apprend à se servir de ses poings. C’est donc tout logiquement que, par la suite, il devient boxeur, disputant, assez vite en semi-pro, une quarantaine de combats en catégorie mi-lourd, avant de raccrocher provisoirement les gants. « La boxe fut un grand moment pour moi. Je ne m’y suis pas mis par hasard, car j’étais très bagarreur. C’était fait pour me décourager mais ça m’a plu. Ce noble art exige une discipline de fer qui m’a beaucoup aidé pour ce métier où il faut se battre pour garder la pêche. » (6) « Je pratiquais la boxe depuis l’âge de treize ans environ, et je commençais à participer à de petits combats dans la région. » (7) Nanar retrouvera la boxe vers les vingt ans, en professionnel cette fois : « Oui, j’ai été boxeur, professionnel même. Depuis j’ai toujours continué à pratiquer un ou plusieurs sports […] La boxe, quand c’est bien fait, ce n’est pas l’art de taper sur l’autre, c’est l’art d’esquiver ses coups. On appelle ça le "noble art" mais, à part ça, c’est quand même une espèce de show business, très dur. » (8) Bernard s’en prend plein la tête pour pas un rond, se comparant à un gladiateur devant gagner ou crever. Jusqu’au jour où il abandonne, n’ayant même plus les moyens de s’acheter un œuf dur pour se remplir le ventre avant un combat.

On ne trouve nulle part trace de Bernard Oulion boxeur. Ni arcades sourcilières éclatées ni nez épaté. Ni article de presse, rien. Jamais non plus Nanar n’a produit la moindre photo tirée de ces vies-là, pas plus que de coupes ou de médailles. A-t-on déjà vu ancien boxeur dépourvu de tels trophées ? Au demeurant, dans quels clubs, dans quelles salles, a-t-il pu pratiquer ? Peu importe. Dans notre inconscient, la boxe renforce l’idée de vouloir s’en sortir, de se battre pour gagner, ce dans des mises en scène, des mises en ring, aux règles admises et respectées qui tranchent singulièrement avec les rixes de la vie, de la rue, ces castagnes où la seule loi qui vaille est celle du plus fort. C’est aussi, au-delà de l’image de la sueur et du sang, l’idée de payer de son corps pour s’en sortir. C’est enfin l’association de la chanson et du noble art, c’est Edith et Marcel en un seul et unique bonhomme, pour le prix d’un seul.

(1) Paroles et Musique n°11, juin 1981, propos recueillis par Jacques Erwan.

(2) Propos rapportés par Gert-Peter Bruch dans Bernard Lavilliers, Escales, 2005, Flammarion.

(3) La lettre de l’éducation, septembre 1986, propos recueillis par Jean-Claude Demari.

(4) Paroles et Musique n°11, juin 1981, propos recueillis par Jacques Erwan.

(5) Chorus n°10, hiver 1994-1995, propos rapportés par Jean-Claude Demari.

(6) Var Matin, 8 août 2005.

(7) Paroles et Musique n°11, 11 juin 1981, propos recueillis par Jacques Erwan. François Bensignor rapporte, quant à lui, que Bernard « a pratiqué [la boxe] suffisamment sérieusement pour faire des matchs de championnat de France » in Top-Stars spécial Lavilliers, 1986.

(8) Rock & Folk n°119, décembre 1976, propos recueillis par Jacques Vascal.

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