MIDNIGHT SHADOWS (VERSION VOLEUR DE FEU)

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1986

Deux ans après Rue barbare, l'album Voleur de feu présente une seconde version de Midnight shadows, avec des arrangements encore plus "Heavy metal", des chœurs féminins sur le leitmotiv qui fait office de refrain (une répétition du titre) et, surtout, l'ajout de quatre couplets, qui transforment le sens de la chanson : si Lavilliers célèbre toujours le rock, il constate aussi, dix ans après Fensch vallée, la triste fin de la sidérurgie lorraine, "l'ennui", "la colère" et "la misère" qui en résultent, et il tente d'inciter les "esclaves soumis" à reprendre la lutte avec des mots qui ne sont pas sans rappeler ceux de La Zone ("Sortez vos ongles beaux léopards / Sortez du nombre beaux comme des poignards").

LA LORRAINE APRÈS L'ACIER
(L'Histoire n°195 ; Jean-Marc Holz ; janvier 1996)

150 000 emplois perclus en trente ans ! En Lorraine, une époque est bel et bien révolue : celle des maîtres de forges, du grand patronat paternaliste et des bastions électoraux. Cependant, une nouvelle Lorraine industrielle émerge de cette véritable catastrophe économique.

Que s'est-il passé en Lorraine ? Comment expliquer le naufrage de cette région - 150 000 emplois perdus - qui incarne après-guerre le redressement industriel ? Pendant plus de vingt ans les crises sectorielles successives dans le textile, les mines et la sidérurgie ont scandé la litanie du déclin. Si, aux heures les plus noires, le chômage reste en deçà de la moyenne française (10,9% en 1995 contre 12,2%), c'est en raison des pré-retraites, des migrations frontalières et de l'émigration des actifs. En effet, la région, attractive jusqu'en 1962, perd aujourd'hui des habitants.

Sombre bilan. Ne reste-t-il pour autant de la Lorraine industrielle qu'un « cimetière d'usines » et une image dépréciée ? Les perspectives, fort heureusement, sont plus nuancées.

Durant près d'un siècle, la sidérurgie a assuré la prospérité du Pays-Haut et des vallées étroites entaillant la côte de Moselle. En 1964, forte de 90 000 emplois, elle produit les deux tiers de l'acier français et apparaît indestructible. Mais la crise est latente : endettement exagéré, productivité insuffisante, coûts élevés, sites obsolètes. Elle éclate en 1975. La tourmente des fermetures d'usines et des vagues de licenciements plonge la région dans le désarroi : faillite des fournisseurs, dépréciation des fonds de commerce et des habitations, effondrement des finances communales, émigration des zones de Briey, Thionville, Longwy. L'activité est réduite à 14 000 emplois en 1995. Seuls deux hauts fourneaux restent en fonction ; on en comptait trente en 1970 !

En amont de la filière, la production terrifère disparaît également. La « minette lorraine », extraite depuis le XIVè siècle et qui doit sa fortune au procédé Thomas-Gilchnst, voit sa production culminer en 1963 (63 millions de tonnes). On compte alors près de 50 mines et 22 000 mineurs. Mais la longue occupation du siège de Trieux révèle à l'opinion l'ampleur des difficultés d'un secteur confronté à la concurrence des minerais riches importés. Le déclin se précipite quand Usinor-Sacilor décide de produire la fonte à partir de minerais étrangers et, dans la filière électrique, à partir de ferrailles. En 1993, ferme la dernière mine française, Moyeuvre-Roncart. Reste celle d'Audun-le-Tiche, en activité jusqu'en 2000. C'est la fin des « gueules jaunes ».

Mieux maîtrisée, la récession houillère n'en est pas moins inexorable. Le Bassin lorrain, longtemps handicapé par sa situation frontalière, a connu son essor après 1945 - la production culmine en 1964 avec 56 millions de tonnes. Sa reconversion amorcée des 1967 est mise en sommeil après les chocs pétroliers de 1973 et 1979 qui relancent momentanément la production. Mais en 1984, le plan Hug du gouvernement met fin aux illusions : la concurrence des charbons importés, le repli sidérurgique et le programme nucléaire auront petit à petit raison du charbon. Là encore, l'emploi donne la mesure de la récession : on comptait 50 000 mineurs en 1950, à peine 12 000 en juillet 1995. Et les autres sites des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) produisaient à perte en 1994... La fin de l'exploitation du principal gisement français est programmée pour 2005-2007.

Seul trésor géologique épargne : le sel gemme. Connu dès l'Antiquité, le gisement, immense, a fait la fortune de l'évêché de Metz et du duché de Lorraine. Il donne naissance, dans la seconde moitié du XIXè siècle, à l'industrie chimique minérale, concentrée aujourd'hui en quatre grosses usines : au sud de Nancy, La Madeleine (Rhône-Poulenc), Dombasle et Sarralbe (Solvay), qui produisent la totalité du carbonate de soude français ; à Dieuze de l'acide sulfurique et chlorhydrique.

Pendant longtemps, l'industrie textile occupa la plus grande partie de la population lorraine - les premières usines de filature et tissage du coton apparaissent dans les Vosges en 1805. Mais fragmentée en entreprises familiales paternalistes et quelques groupes (Boussac, Germain-Frères, Les héritiers de Georges Perrin), employant une main-d'œuvre féminine mal rémunérée, l'activité se disperse en unités de petite taille dans les replis les plus intimes du massif ; nombre de vallées prennent l'aspect de véritables rues industrielles comme la Moselotte, la Vologne, le Rabodcau. Ces structures fragilisent un secteur soumis, dès l'entre-deux-guerres, à des cycles de crises et restructurations, sous l'effet de la perte des marchés coloniaux, de la concurrence des nouvelles fibres et des nouveaux producteurs d'outre-mer. Crise chronique, qui engloutit 136 tissages et filatures sur les 185 existant en 1960 ! Aujourd'hui, la branche textile-habillement n'occupe que 13 800 personnes, contre 41 000 emplois en 1975.

LA LORRAINE, CIMETIÈRE INDUSTRIEL ?

Pour autant, la Lorraine n'est pas qu'un cimetière d'usines. Une nouvelle sidérurgie se façonne, moderne et compétitive, depuis la fusion d'Usinor et Sacilor en 1986. Définitivement déconnectée du fer local qui lui a donné naissance, elle se regroupe sur quelques unités performantes : produits longs à Gandrange-Rombas et Hayange ; produits plats à Sérémange et Florange ; aciers spéciaux et alliés à Hagondange ; aciérie électrique et laminoir de Neuves-Maisons, auxquelles il faut ajouter l'usine de tubes en fonte ductile de Pont-à-Mousson et celle de poutrelles de Longwy, cédée en 1993 à l'ARBED. La sidérurgie n'est plus une industrie de main-d'œuvre : en 1975, elle représentait 25% de l'emploi industriel lorrain, à peine 7% en 1994. Hautement capitalistique, principale consommatrice d'informatique en France, elle est devenue une industrie qui innove : rails de TGV de 75 mètres, tôles minces revêtues par galvanisation pour BMW ou Nissan.

Le textile quant a lui, s'il a plié, ne rompt pas ! Modernisation des équipements, introduction d'une troisième équipe journalière de travail, spécialisation, ont permis des gains substantiels de productivité. Si l'activité cotonnière domine toujours dans les basses vallées, d'autres spécialisations se maintiennent : fil à tricoter (Bergère de France), ficellerie-corderie, articles d'hygiène (Peaudouce) à Thurimont, ouaterie à Remiremont. L'habillement se spécialise dans le vêtement (Nancy) et la lingerie (Playtex) à Epinal. La bonneterie produit des collants et des survêtements dans plusieurs villes moyennes.

En pleine crise, la Lorraine compte aussi sur la capacité de résistance d'un réseau diversifié d'activités traditionnelles. La filière bois tout d'abord, qui occupe aujourd'hui encore plus de 20 000 personnes dans les papeteries ou l'industrie du verre (Daum à Nancy, par exemple), qui exporte près des trois quarts de sa production. Les industries agro-alimentaires ensuite (fromageries, biscuiteries, embouteillage des eaux de Vittel et de Contrexéville) dont l'essor repose sur une agriculture régionale dynamique et la proximité d'importants marchés urbains.

Mais les espoirs du renouveau proviennent surtout des industries dites de reconversion implantées dans la région dès les années 1960. Si la relève est encore insuffisante pour effacer les blessures, le tissu industriel se diversifie, de nouveaux secteurs affichent une progression prometteuse, telles la mécanique, la plasturgie, la construction électrique, l'électronique et l'automobile. A mesure que s'estompe l'hégémonie des industries de base, le paysage industriel se transforme. Elles occupaient 60% des emplois en 1962, 23% en 1993. Avec le renouvellement, les usines deviennent de moins en moins grosses. On comptait en 1962 500 établissements de plus de 100 salariés ; il n'en reste que 364 aujourd'hui. Les PMI se renforcent, les qualifications s'affinent, les produits incorporent davantage de valeur ajoutée : la Lorraine épouse peu à peu son siècle.

L'action des pouvoirs publics n'est pas étrangère à cette mue. Dès les premiers signes de la crise, l'État intervient dans les Vosges, puis dans les bassins houiller et sidérurgique. La plus vaste partie du territoire bénéficie aujourd'hui d'incitations financières à taux élevé. D'énormes subsides atténuent le drame social. Mais les mesures ne remédient pas aux faiblesses structurelles de la Lorraine. Longtemps, les politiques déployées sont trop exclusivement sectorielles. C'est avec beaucoup de retard sur nos voisins allemands qu'on a pris conscience qu'il convenait de favoriser la performance globale de la région. Les industries traditionnelles ont généré trois bassins de mono-industrie, sans liaison entre eux, et une urbanisation souffrant toujours de l'absence d'une véritable métropole impulsant la croissance. Il faut donc s'attaquer non seulement aux secteurs en crise, mais aussi aux espaces en crise. Le troisième Plan lorrain (1994-1998) s'y efforce.

Au total, l'effort est massif. Le niveau des aides nationales (notamment à travers les pôles de conversion de Briey-Longwy et Pompey-Neuves-Maisons) ou européennes est le plus élevé de France (la CEE a accordé 2,37 milliards de francs d'aides de 1989 à 1993). Les sociétés de conversion des Houillères (SOFIREM) et de la sidérurgie (SODIE), les collectivités locales apportent leur écot : terrains industriels aménagés, exonération de taxe professionnelle, magasins francs. Cette réelle volonté collective, symbolisée par l'action opiniâtre de certains responsables politiques régionaux, porte ses fruits. Aujourd'hui, la Lorraine se réindustrialise. Les soutiens financiers ne sont pas tout. Longtemps pénalisée par sa situation frontalière et sa destinée militaire, la Lorraine exploite aujourd'hui sa place de choix au cœur de l'Europe riche (France, Allemagne, Bénélux, Suisse). Revanche de la géographie sur l'histoire... La main-d'œuvre est jeune, abondante, qualifiée, souvent bilingue. Elle jouit d'une réputation de compétence et de sérieux hérités d'un passé qui est dans toutes les mémoires. Les formations professionnelles et le réseau universitaire dense (60 000 étudiants) sont mieux adaptés. Bref, en matière de ressources humaines la région se place au premier plan français. Mais dans les bassins d'emploi en crise, l'adéquation, avec les nouvelles industries reste cependant imparfaite : la main-d'œuvre âgée n'a pas les qualifications requises et les jeunes sont partis ; la reconquête des friches industrielles est longue et coûteuse, les emplacements obsolètes. Les atouts géographiques lorrains ont leurs revers. Dans le bassin d'emploi de Forbach, Sarrebourg et Sarreguemines, plus de 16 000 emplois dépendent de l'extérieur. On dénombrait, en 1994, 316 établissements employant 44 000 personnes battant le pavillon d'une quinzaine de nationalités (45% sont allemandes). Une dépendance qui n'est pas sans risque comme en témoigne l'affaire Grundig : implantée depuis 1969 à Creutzwald, l'usine de téléviseurs employant 800 personnes se vit brutalement remise en cause en 1994 au profit d'un site autrichien mieux placé pour conquérir les marchés de l'Est ; son « repreneur », Gooding, a depuis déposé son bilan. La montée du chômage a été ici freinée par une poussée spectaculaire des migrations frontalières vers la Sarre, qui témoigne des limites de la reconversion. Néanmoins, il se crée depuis six ans, dans l'Est mosellan, plus d'emplois (entre 700 et 2 000 par an) que les houillères n'en suppriment (500 à 1 500). Un emploi sur deux provient d'une entreprise à capitaux allemands.

Le Pays-Haut et le bassin sidérurgique souffrent encore des stigmates de l'effondrement de cette activité : la réindustrialisation reste insuffisante et la sous-tertiarisation dans les cités dortoirs des vallées industrielles est chronique. Les migrations vers Metz et Luxembourg pallient le manque de travail sur place : en 1995, la zone d'emploi de Thionville compte 8 600 frontaliers vers le Grand-Duché, il n'y en avait que 3 500 en 1975. Lancé en 1985, le Pôle européen de développement de Longwy (PED) est une expérience originale de revitalisation du bassin sidérurgique transfrontalier de Longwy, Rodange (Luxembourg) et Athus (Belgique).

A LA CONQUETE DE L'EUROPE !

L'objectif est de créer, en dix ans, 8 000 emplois (dont 5 500 côté français) et à plus long terme de façonner une agglomération plurinationale homogène. L'Union européenne a déjà investi deux milliards de francs depuis 1986 et le pari prend corps : 2 000 emplois ont été créés sur le sol national dont les grosses implantations de l'Américain Allied-Signal, du Japonais JVC et du Coréen Daewoo qui a fait de la Lorraine sa base de conquête européenne. A ce chiffre s'ajoutent 970 emplois créés par la SODIE près de Longwy. Apportant une touche « high-tech » au renouveau industriel lorrain, les technopôles de Nancy-Brabois (lancé en 1977) et de Metz 2000 (1983) s'étoffent.

L'identité industrielle de la Lorraine s'est estompée ; l'industrie n'a créé que 28,6% de la valeur ajoutée en 1991 (37,1% en 1979) ; le produit industriel régional, au huitième rang français, dépasse à peine celui de l'Aquitaine ou de l'Alsace... Mais la page de la mono-industrie est tournée. Et avec elle, l'ère des maîtres de forges, du grand patronat paternaliste, des bastions électoraux (les fiefs communistes de Hagondange et Thionville sont « tombés » en juin 1995) est révolue. Le passif hérité de vingt années de crise est cependant loin d'être apuré. Sur un terreau de traditions, une nouvelle Lorraine industrielle émerge dans l'effort. Amaigrie mais plus moderne. Diversifiée et mêlée à l'économie-monde.

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