LE NOËL DES ENFANTS NOIRS
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1955 (inédit 1956) |
Troisième chanson de Trenet sur Noël : après la nostalgique Le petit Noël et la joyeuse Chanson pour Noël, voici l'exotique Le Noël des enfants noirs aux accents faussement naïfs.
EGLISES : MISSION ACCOMPLIE !
(L'Histoire n°302 ; Patrick Cabanel ; octobre 2005)
Les missionnaires - catholiques et protestants - ont précédé la colonisation. Et même s'ils en ont été, à la fin du XIXe siècle, les complices souvent actifs, le but était bien de rester après le départ des colons. Un objectif largement atteint.
Les missions chrétiennes ont-elles été des auxiliaires ou des agents, à tout le moins des complices objectifs de la colonisation ? La question court depuis plusieurs décennies : on comprend la culpabilité qu'elle peut faire peser a posteriori sur les quelques dizaines de milliers d'Européens et d'Américains des deux sexes, pour moitié catholiques, pour l'autre protestants, partis évangéliser le monde depuis le début du XIXe siècle.
Après l'aventure espagnole et portugaise dans l'Amérique des Temps modernes, l'essor missionnaire reprend à l'extrême fin du XVIIIe siècle, d'abord du côté britannique et protestant. Il est contemporain de la révolution industrielle en Angleterre, et de la puissance sans précédent que celle-ci lui fournit. Ces hommes et ces femmes sont rejoints par des catholiques français au début du XIXe siècle. Dans ce cas, le mouvement peut être interprété comme un réveil religieux en contrecoup de la déchristianisation révolutionnaire.
Dans les deux situations, l'arrivée des missionnaires précède nettement la grande vague colonisatrice qui caractérise les principales nations européennes à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Et l'aventure missionnaire en Asie, notamment en Corée, n'annonce pas nécessairement de conquête impérialiste.
Cependant, dans les mondes africain et océanien en particulier, les négociants, les soldats puis les administrateurs coloniaux n'ont pas tardé à emboîter le pas aux missionnaires. Mais que les religieux les aient précédés et aient ensuite collaboré avec eux ne signifie pas qu'ils leur aient préparé le terrain. Les États n'ont pas envoyé « leurs » missionnaires en éclaireurs !
De plus, les territoires de mission ne sont pas choisis en fonction d'intérêts nationaux : pour s'en tenir à des exemples français, la Société des missions évangéliques de Paris protestante œuvre surtout au Lesotho dans le sud de l'Afrique, les Oblats de Marie immaculée investissent le Grand Nord canadien, les Missions étrangères de Paris continuent de sillonner Japon, Chine, Mandchourie ou Corée.
Chez les catholiques, le découpage du monde est effectué depuis Rome par la Congrégation de la propagande, dans une optique qui se veut par principe supranationale. L'ambition missionnaire est l'intégration des peuples dans la chrétienté universelle, non sous le drapeau de tel ou tel État qui peut par ailleurs créer, en Europe, bien des difficultés au Vatican et au catholicisme (Italie de l'unité, Allemagne du Kulturkampf, France laïque). Comme jadis les Jésuites et leurs « réductions » (1) dans l'empire espagnol, la mission charrie des utopies de sociétés chrétiennes sous la direction des siens, en dehors de toute interférence des pouvoirs politiques.
Cependant, au lendemain de la conquête, à la fin du XIXe siècle, évangélisation et colonisation affichent leurs connivences, et même leur complicité. Missionnaires et administrateurs œuvrent sur le même terrain, rencontrent des difficultés comparables, qu'il est tentant de surmonter en alliant ses forces. La pacification et le contrôle assurés par l'État colonial offrent bien des conforts aux religieux et religieuses, lesquels, en retour, éduquent, soignent, « civilisent ».
C'est bien le maître mot : christianisation et colonisation sont les mamelles de la vaste entreprise pour civiliser le monde et les « races inférieures ». Les opinions publiques approuvent, en assurant des succès massifs aux expositions missionnaires et coloniales.
Du coup, les États cherchent à avoir sur place des missionnaires qui soient aussi des nationaux, ce qui va à l'encontre de la visée universelle de l'évangélisation. Ils y parviennent largement, avec la complicité du Vatican. Lorsque la France laïque s'impose à Madagascar, à la fin du XIXe siècle, elle favorise « ses » jésuites au détriment des missionnaires protestants anglais et norvégiens. Faire du catholicisme, c'est faire de la France, même sous Émile Combes pourtant en plein combat pour laïciser la métropole. Paul Bert avait lancé le slogan : « L'anticléricalisme n'est pas un article d'exportation » ; la France laïque, qui interdit les Jésuites en métropole (2), les soutient dans l'empire. La puissante connivence des deux « messianismes » occidentaux, le christianisme et le « progrès », se trouve à son apogée entre les années 1880 et la Seconde Guerre mondiale.
Connivence, mais pas confusion. Chacun des partenaires poursuit ses propres objectifs, qui n'ont jamais été identiques et peuvent entrer en contradiction. Ainsi un État colonial peut-il redouter d'être « compromis » par les missionnaires alors qu'il a affaire à des populations rétives au christianisme : c'est le cas face aux musulmans, en Afrique comme en Inde, pour les Britanniques comme pour les Français. L'ordre colonial impose le respect des prérogatives de l'islam. Et la France laïque reconnaît et conforte les religions locales, en Indochine comme en Afrique du Nord à l'exemple de Lyautey au Maroc.
Les missionnaires, de leur côté, ont pu redouter d'être compromis à la longue par la colonisation et les violences de tous ordres qu'elle entraîne. De plus, comme toute formation d'élites, celle d'élites chrétiennes indigènes a contribué, ici ou là, à mettre en péril la pérennité d'un ordre colonial inégalitaire.
A terme, à partir des années 1920 et surtout 1950, la papauté et les sociétés missionnaires protestantes ont même parfois cherché à désolidariser l'évangélisation d'une présence coloniale qui apparaissait condamnée, sinon condamnable. Le temps de l'Évangile ne pouvait se confondre avec celui, politique et nécessairement plus court, de l'impérialisme. Inutile d'incriminer, comme certains ont pu le faire à chaud, l'opportunisme ou la trahison des missionnaires : après s'être confondues au moment de l'apogée de la domination du monde par l'Europe, les deux logiques ont recommencé à se séparer.
En d'autres termes, les missionnaires, arrivés le plus souvent avant les colons et les drapeaux nationaux, entendaient rester après leur départ. Ils y ont généralement réussi, dans des conditions qui ont varié à l'extrême en fonction des religions, des empires coloniaux, des sociétés africaines ou asiatiques.
Ironie de l'histoire, quelques-uns des plus beaux résultats de l'évangélisation ont été engrangés, en Afrique, après la décolonisation. Par la suite, la conception traditionnelle de la mission a fini par être, elle aussi, « décolonisée » : le christianisme occidental n'est plus dans la logique du don unilatéral, mais de l'échange entre Églises du Sud et du Nord.
(1) Missions fondées par des jésuites au Brésil et au Paraguay à la fin du XVIe siècle, les réductions fonctionnaient de manière autonome par rapport au colonisateur.
(2) Les Jésuites sont chassés de leurs collèges et doivent quitter la France par deux fois, en 1880 puis en 1901.