GRAND'MAMAN, C'EST NEW YORK
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1947 (inédit 1948) |
Inspirée par les premiers séjours de Trenet aux Etats-Unis après la guerre, une chanson qui commence dans un délire bien œdipien ("C'était un enfant de quarante-cinq ans / Qui voyageait seul avec sa maman") pour se terminer dans une dévotion béate de bourgeois bien-pensant aux valeurs américaines : "Regarde le bon Dieu dans le port de New York !"
MISS LIBERTY ECLAIRE LE MONDE
(L'Histoire n°290 ; Robert Belot ; septembre 2004)
Il y a cent ans mourait Auguste Bartholdi, le père de Miss Liberty. En érigeant cette statue monumentale à New York, il avait voulu célébrer l'indépendance de l'Amérique et les liens privilégiés entre la France et les États-Unis. La statue de la Liberté devint le monument le plus connu au monde.
La statue de la Liberté détient un double record : c'est le monument le plus connu au monde et un symbole toujours sollicité par l'actualité, malgré ses cent dix-huit ans. Au lendemain du 11 septembre 2001, ce qui résumait le mieux le sentiment des Américains, c'étaient les caricatures de « Miss Liberty » représentée à la une des journaux, assise, pleurant, la tête dans les mains. Et pourtant, derrière cette universalité, se cache une totale méconnaissance des origines de La Liberté éclairant le monde .
Une « mère de l'égalité, de l'abondance et de la paix »
L'artiste qui a donné corps à la Liberté est le Colmarien Auguste Bartholdi, né en 1834 et mort il y a un siècle, le 4 octobre 1904 (1). Bartholdi est aussi connu pour avoir créé, au lendemain de la guerre franco-prussienne, le Lion de Belfort, symbole de la résistance héroïque des Belfortains face à l'ennemi, aujourd'hui installé à Paris, place Denfert-Rochereau. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, le Lion était l'œuvre la plus connue et la plus célébrée du sculpteur. Ce qui fit, et fait encore de Bartholdi une figure de la Revanche.
Bartholdi avait certes l'Alsace au cœur : sa ville natale, où vivait sa mère, devint allemande après 1871. Il avait également combattu dans cette guerre, où il s'était illustré comme aide de camp de Garibaldi. Mais Auguste était un modéré en tout. Son patriotisme, intense et conséquent, n'a jamais sombré dans le bellicisme et le nationalisme, pourtant dominants en ce XIXe siècle finissant. Bartholdi croyait aux vertus de l'universalisme et de l'amitié entre les peuples.
Son républicanisme était de même bien tempéré. On a tendance à oublier que Bartholdi conquit sa renommée sous l'Empire, en célébrant des héros militaires comme l'amiral Bruat, grand nom de la campagne de Crimée. La statue qu'il réalisa de l'amiral en 1864 lui valut la Légion d'honneur à l'âge de trente ans et la protection du comte de Nieuwerkerke, le surintendant des Beaux Arts de Napoléon III.
Son évolution politique et sa « découverte » de l'Amérique, Bartholdi les dut à un homme qui incarnait le combat libéral sous l'Empire : le constitutionnaliste Édouard de Laboulaye, professeur au Collège de France. Un républicain de raison. En 1865, on ne sait trop comment, Bartholdi rencontra Laboulaye dans sa propriété de Glatigny, près de Versailles. La philosophie de ce dernier se résumait à la croyance en la liberté de l'individu, le droit d'association et à la foi en la propriété - l'État devant être modeste et décentralisé. Son modèle politique, c'étaient les institutions américaines.
Sous un pseudonyme, Laboulaye avait dit l'essentiel de sa passion américaine dans Paris en Amérique 1863, qui fut traduit de l'autre côté de l'Atlantique. Au cours d'une discussion avec Bartholdi sur l'amitié entre les peuples, Laboulaye déclara : « Si jamais un monument était érigé en Amérique en souvenir de son indépendance, il me semblerait tout naturel qu'il fût érigé par un effort commun des deux nations. »
C'est lui qui eut l'idée de la forme que pourrait prendre la statue : une flamme, pour chasser les fausses idoles, et une femme, qui serait tantôt une « sœur » évoquant « la justice et la pitié » , tantôt une « mère de l'égalité, de l'abondance et de la paix » . Nous sommes loin de la liberté vengeresse que Delacroix campait sur une barricade !
C'est à peu près ce projet que Bartholdi soumit en 1869, lors d'un voyage en Égypte, au khédive Ismaïl Pacha : un phare monumental 43 m de haut qui dominerait le canal de Suez. A l'exception de la coiffe, la maquette préfigurait clairement... la future Miss Liberty. Bien que Bartholdi ait nié de son vivant que la Liberté ait pu être un réemploi, si le khédive avait déféré à son désir, elle ne monterait pas aujourd'hui la garde devant New York, mais à Suez !
Il fallut le choc de ce refus pour que le sculpteur songe à l'Amérique. En avril 1871, Auguste Bartholdi avait mal à la France : Colmar se trouvait sous la botte allemande, Paris sous la menace des communards... Dans une lettre du 21 octobre 1871, il confiait : « Après la guerre, lassé de tout et retrouvant mon pays natal prussifié, j'ai résolu de faire un voyage aux États-Unis... » C'est dans le Nouveau Monde qu'Auguste renaquit à son art.
Pensa-t-il à s'exiler ? Bartholdi effectua son premier voyage aux États-Unis en juin 1871. Pendant ce séjour, le Colmarien nota régulièrement ses impressions dans un carnet. Ce document inédit, que nous avons retrouvé à New York, nous en dit un peu plus sur la naissance de Liberty. Auguste appréciait assez peu la « froideur » des Américains et leurs mœurs trop frustes. Les rues sales de New York et l'absence de ligne architecturale heurtaient l'Européen. Mais il était fasciné par la vitalité de ce pays et l'âpre beauté de ses paysages.
Dans ce monde où tout paraissait encore possible, il était persuadé qu'il allait pouvoir réaliser son ambition majeure : inventer un site et l'associer à un message qui défierait l'espace et le temps.
Le soir même de son arrivée à New York, le mercredi 21 juin 1871, il notait : « En vue de la terre à 4 heures du matin. Nous entrons en rade. Aspect merveilleux de mouvement, d'animation. Je prends congé de quelques compagnons de route. Débarquement. [...] Je cours jeter un premier coup d'œil à mon projet. La batterie, le parc central, les îles. Puis, un bain et reposé. » Avec une fulgurante prescience, il choisit d'emblée l'île de Bedloe (aujourd'hui Liberty Island).
Autant son intuition était véloce, autant la réalisation serait longue (quinze ans) et difficile. Difficultés financières, d'abord. Un comité franco-américain fut chargé de lancer une souscription pour le financement de la statue, qui devait être offerte par les Français aux États-Unis. Mais l'argent tardait à venir. Il fallut organiser des dîners dans la tête de la statue, déjà réalisée, imaginer des concerts et des loteries.
Le projet rencontre l'indifférence des Américains
Difficultés techniques, aussi, s'agissant de réaliser la plus haute statue alors existante. Comment faire tenir une dame de près de 50 m de hauteur, qui devrait affronter vents et intempéries sur un port ? Afin d'alléger l'ensemble, Bartholdi opta pour du cuivre repoussé. Pour la structure interne, Viollet-le-Duc, désigné pour diriger la construction de l'ouvrage, pensa à des cloisons intérieures remplies de sable afin d'éviter la formule trop monolithe du bloc de maçonnerie, qui présente des risques d'effondrement en cas de choc. Gustave Eiffel, qui le remplaça après sa mort, choisit plutôt - innovation technique majeure - une structure métallique qui servirait de point d'appui à l'enveloppe.
Difficultés politiques, enfin. L'Amérique n'était guère populaire dans la France d'alors, à gauche comme à droite. On n'avait pas oublié que le président américain avait salué la victoire de la Prusse. Pourquoi donc l'honorer d'un présent si coûteux ? Du côté américain, on se souvenait de l'aventure mexicaine de la France, venue soutenir Maximilien d'Autriche contre le président Juarez, et sommée par les États-Unis de retirer ses troupes en 1866. On n'avait pas non plus oublié le fait que la France avait opté pour les sudistes lors de la guerre civile.
Pire que de l'hostilité, ce projet rencontrait l'indifférence. Alors que la statue était prête, son piédestal, que les Américains devaient financer, était inexistant. Et les Français s'en sentaient humiliés. Certains encourageaient même Bartholdi à placer son monument dans le port du Havre. L'inauguration était sans cesse repoussée. Il fallut l'intervention du patron du journal démocrate The World, Joseph Pulitzer, et sa campagne de presse, pour stigmatiser l'égoïsme des Américains et, finalement, les réveiller. L'inauguration eut enfin lieu, le 28 octobre 1886, en présence du président américain, Cleveland.
Les discours prononcés à cette occasion témoignaient déjà de la diversité des sens qu'on prête à la Liberté. Le sens premier, et avéré, était le rappel de l'aide apportée par les Français à l'indépendance américaine et de l'amitié franco-américaine. Mais, dès l'inauguration, cette dimension était dépassée : liberté du commerce et de l'industrie pour les uns, liberté individuelle et politique pour les autres... En tout cas, toujours une liberté non libertaire et non révolutionnaire, bien encadrée par les lois et le respect du consensus.
Discrètement, et sans que ses auteurs l'aient vraiment souhaité, la Liberté commença à incarner l'espérance des immigrés venant en Amérique. Car c'était l'œuvre de Bartholdi qu'ils apercevaient en arrivant à New York. Née des idées libérales et conservatrices, la statue symbolisa longtemps le monde des persécutés, avant de s'identifier à l'Amérique, pour le meilleur et pour le pire...
(1) Cf. R. Belot et D. Bermond, Bartholdi , à paraître aux éditions Perrin en septembre 2004. Cf. également C. Hodeir, « Le songe de Bartholdi : la statue de la Liberté », L'Histoire n° 89, pp. 76-79.