SI TU VAS A LA VARENNE

Paroles Charles Trenet
Musique Charles Trenet
Interprète Charles Trenet
Année 1943 (inédit 2011)

La première chanson que Trenet consacre à un de ses nombreux lieux de résidence. Il n'en subsiste qu'une trentaine de secondes, rescapées d'un passage à la radio en 1953 ou 1954.

LA VARENNE
(Monsieur Trenet ; Richard Cannavo ; 1993 ; Editions Lieu Commun)

Il y a Narbonne. Et il y a La Varenne. La Varenne, trois maisons en une, blanches et douces en bord de marne, décor tranquille. Ici, dans ce périmètre fleuri qui fut le Neuilly du début du siècle, Charles Trenet passe l'essentiel de son temps.

Une maison qui, dès l'origine, a une curieuse histoire.

Un après-midi de 1939, Charles Trenet se promène avec Jean Cocteau sur les bords de la Marne, un endroit alors très à la mode où il aimerait habiter. Ils regardent donc, au hasard de leur promenade, s'il n'y a pas des maisons à vendre, lorsque soudain Cocteau tend le doigt en direction d'un pavillon habité, puisqu'on voit des ombres s'agiter derrière les rideaux, et dit à Trenet : « Tu viendras vivre là. »

« Je restai perplexe un moment, a raconté Trenet par la suite. J'hésitai à sonner à la porte. Et pourtant j'y allai, j'allai sonner à cette porte, demander si cette maison était à vendre. Un monsieur d'un certain âge me répondit, un peu irrité : "Non, ici rien n'est à vendre." Je laissai ma carte et allai faire part de la réponse de ce monsieur à Cocteau qui m'attendait dans la voiture, et qui me répliqua : "Pourtant c'est là que je te vois."

Et c'est en effet là que j'habite à présent, car quelques mois après ma visite cette maison fut mise en vente. La pauvre dame qui habitait là avec ce monsieur mourut en effet brusquement, et le monsieur d'un certain âge s'ennuyait tellement qu'il mit la maison en vente. D'ailleurs c'est facile à comprendre : il est triste d'avoir perdu son amour et d'être condamné à vivre en face de l'île d'Amour. Elle est entourée d'eau comme toutes les îles, seulement celle-là est entourée également de pêcheurs... Parfois, l'été, les campeurs m'interpellent et me demandent une chanson. Alors, comme je n'ai pas beaucoup de voix, je monte dans mon grenier et je leur chante quelque chose à travers un vieux pavillon de phonographe, et il y a des campeurs qui ne m'ont peut-être jamais entendu et qui croient que c'est ma vraie voix... »

« Je te l'avais bien dit », lui jette sobrement Jean Cocteau lorsqu'il achète cette maison de La Varenne qu'il baptise Villa Médicis parce que sa voisine s'appelle Mme Romain, et qu'il s'empresse de modifier :

« Je l'ai enrobée de ciment, dit-il. C'est comme une dent à qui l'on remet une couronne-jaquette. Par-dessus le marché, j'ai acheté la maison d'à côté : une villa en meulière. Celle-là, je n'y touche pas. Mon grand-père, qui était architecte, construisait des maisons comme celle-là. Alors, si je l'enrobais de ciment, j'aurais l'impression que c'est mon grand-père que j'enrobe, et il n'aimerait pas cela... »

Ici, dans cette maison un peu folle qui ne sait trop si elle est occupée par des stars ou par un vagabond, entre les housses et les volets tirés d'un logis de célibataire, les autographes et les cartes postales épinglés sur les portes, dans l'humidité de la Marne et ses faux airs de plage normande, coulent des jours tranquilles. Ici, le poète entre deux orages a reconstitué un monde émerveillé d'enfant, mêlant ses propres tableaux à de vrais Utrillo, un Toulouse-Lautrec et même un Raphaël qu'il souligne avec un Greco notoirement faux et une Joconde dont on ne jurerait pas que c'est la vraie...

Reste le jardin. Un jardin extraordinaire, à la mesure de ce poète un peu fou qui aime manier l'illusion et jongler avec les mirages.

« Dans sa maison de La Varenne, raconte Emile Hebey, il trouvait que les fleurs ne poussaient pas assez vite, alors au-dessus des tiges vertes il peignait des coquelicots, de même qu'il a peint son garage en rouge et noir, pas par amour de Stendhal mais parce qu'il trouvait cela joli. »

« C'est exact, souligne Charles Trenet. Une année il faisait si beau et la lumière du printemps précoce, au milieu de mars, méritait des touffes multicolores que le printemps semblait promettre mais ne donnait pas. Alors je courus dans un grand magasin, et je revins les bras chargés de fleurs en plastique que je piquai au hasard des pelouses, et jusque dans les arbres, ce qui fit s'extasier les passants émerveillés de la générosité de la nature, et de son favoritisme. Malheureusement une giboulée s'abattit le lendemain sur toutes ces enluminures qui déteignirent, et mon pauvre jardin artificiel prit en un tournemain l'aspect d'une feuille de décalcomanie... »

Quand il ne pique pas des fleurs, Trenet accroche dans ses marronniers des fausses cerises en ouate. Pour le simple plaisir de dire à ses amis :

« Vous voyez, j'ai vraiment de très curieux marronniers ! » Au passage, il cueille une cerise et la mange. Ses amis en font autant et s'étouffent : le bougre a eu soin de mettre quelques vraies cerises parmi les fausses...

« Pourquoi des fleurs artificielles dans mon jardin ? Cela étonne tout le monde. De loin, j'ai l'illusion qu'elles sont vraies. Les femmes se maquillent bien. Pourquoi les fleurs ne se maquilleraient-elles pas, elles aussi ? (1)

Je suis toujours venu du bout du monde pour assister au printemps de La Varenne, conclut Charles Trenet. C'est le plus beau qui soit, parce qu'on assiste vraiment à un réveil de la nature, chose qu'on ne voit pas assez dans le Midi où on passe directement de l'hiver à l'été. Le printemps est très court là-bas et même, du reste, il se paie un grand luxe à ce moment-là, le Midi : c'est qu'il pleut souvent au printemps. alors qu'à Paris ce n'est pas cela du tout, et surtout à La Varenne. Le printemps y est ravissant et l'on ressent très bien le réveil de la nature et des êtres, avec tous ces oiseaux qui arrivent en ribambelles. Certains sont restés là, ils ont passé l'hiver et se félicitent de voir revenir le soleil, mais d'autres sont venus de loin bien sûr. Je ne sais pas si c'est la même, mais depuis des années j'ai une tourterelle sur mon antenne de télévision. Chaque année, le même jour à la même heure, cette tourterelle revient ! »

Charles Trenet a toujours aimé la marche. Volontiers il traverse, la nuit, des villes de passage pour se rendre à pied au théâtre, où il se produit, à son hôtel. Ne parcoure-t-il pas, lors d'un séjour à Bruxelles, afin de se détendre à la veille de l'émission télévisée « Nos Belles Années », la distance aller-retour de l'hôtel Amigo, situé à l'arrière de l'hôtel de ville, au bois de la Cambre en passant par la place Flagey, devant l'ancien bâtiment de briques jaunes de l'Institut national de radio-diffusion, en longeant les étangs d'Ixelles, soit quelques quinze kilomètres au total ? Ne le voit-on pas, de même, parcourir régulièrement dans les deux sens, à seule fin de contempler les métamorphoses de ce printemps d'Ile-de-France qui lui est cher, les huit kilomètres séparant les bords de Marne, plus précisément la Villa Médicis à La Varenne-Saint-Hilaire, de Champigny, havre d'un candidat célèbre à l'Elysée que Charles évoque en ces termes :

Jolie Rachel allons marcher
Jusqu'au logis du bon Marchais
Courir voir fleurir l'anémone
En cet avril sans John Lennon.

Pour célébrer ce printemps tant aimé de La Varenne, Charles Trenet écrira même, un jour, un court poème :

Ah ! Rêver chaque fois qu'on se souvient encore
Et puis se réveiller aux senteurs de l'aurore
Dans un jardin piaillant de moineaux banlieusards
Avec le tendre bruit d'un train sur la colline
Et la Marne à mes pieds qui rêve et s'illumine
Est-ce vraiment le fruit d'un merveilleux hasard ?
Qui donc a décidé l'enchaînement des choses,
Le charme évanescent de leurs métamorphoses,
L'enchantement du verbe et le silence ému,
La fin, le renouveau, le plaisant, le tragique,
L'ange, la bête et l'homme en substance magique
Au sein de la nature et d'un monde inconnu ?

(1) A une journaliste de province qui, le voyant arroser ses fleurs artificielles, lui demanda un jour le pourquoi de cette espièglerie, il répond sans rire : « Ce sont toujours les fausses blondes qui me posent des questions pareilles ! »

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