LA ROUTE ENCHANTÉE
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1938 |
Une invitation, à l'initiative de la nuit ("Une étoile m'a dit / deux étoiles m'ont dit") et de "La jolie fête du printemps", au voyage sur "les grands chemins / Où l'on marche à l'aventure" vers "le pays du rêve", et, comme dans Y'a d'la joie ou dans Pigeon vole, un final qui explose de joie autant qu'il expose une vision du monde : "Bonjour le jour, la vie, la nuit, l'amour !" Trenet estimera utile en 1959 d'ajouter un second couplet à cette Route enchantée dans le super 45 tours Ces chansons ont toujours vingt ans.
QUI A INVENTÉ LES CONGÉS PAYÉS ?
(L'Histoire n°197 ; Jacques Marseille ; mars 1996)
Le Front populaire, c'est avant tout, dans la mémoire collective, les congés payés. Et la foule des travailleurs partant pour la première fois en vacances... Cette mesure ne figurait pourtant pas au programme des partis de gauche. Et les salariés n'en avaient pas fait une revendication prioritaire.
Dans la mémoire du « peuple de gauche », le Front populaire, dont on fête cette année sans grande ferveur le soixantième anniversaire, occupe une place de choix. Dirigeant pour la première fois un gouvernement de la France, les socialistes, avec les lois sur les quarante heures, les conventions collectives et les congés payés, auraient arraché au patronat et aux forces de droite coalisés les premiers grands « acquis sociaux » que le monde du travail doit aujourd'hui âprement défendre.
Léon Blum a contribué lui-même à forger ce mythe en déclarant en 1942 devant ses juges au procès de Riom : « Je ne suis pas souvent sorti de mon cabinet ministériel mais, chaque fois que j'en suis sorti, j'ai traversé la grande banlieue parisienne et j'ai vu les routes couvertes de ces théories de tacots, de motos, de tandems, avec des couples d'ouvriers vêtus de pull-overs assortis, et qui montraient que l'idée de loisir réveillait, même chez eux [sic], une sorte de coquetterie naturelle et simple ; tout cela me donne le sentiment que, par l'organisation du travail et du loisir, j'avais malgré tout apporté une espèce d'embellie, d'éclaircie dans des vies difficiles, obscures ; qu'on ne les avait pas seulement arrachés au cabaret [sic], qu'on ne leur avait pas seulement donné plus de facilité pour la vie de famille, mais qu'on leur avait ouvert la perspective d'avenir, qu'on avait créé chez eux un espoir. » (1)
LES OUVRIERS N'Y PENSAIENT PAS...
Nul doute, en effet, que la loi promulguée le 20 juin 1936 instituant deux semaines par an de congés payés est un lieu de mémoire intouchable. A tel point que, dans le débat qui divise depuis lors procureurs et avocats de la politique économique et sociale du Front populaire, personne n'ose la mettre en cause.
Et pourtant, ces fameux congés payés, qui constituent la plus symbolique des avancées sociales permises par le Front populaire, ne figuraient même pas à son programme. Alors que plusieurs pays étrangers avaient fait inscrire ce droit dans leur législation (l'Allemagne dès 1905, l'Autriche-Hongrie, le Danemark et la Norvège dès 1910, la Finlande, l'Italie, la Tchécoslovaquie, la Pologne entre 1919 et 1925, le Luxembourg, la Grèce, la Roumanie, le Chili, le Mexique, l'Espagne, la Suède, le Pérou, le Brésil et le Portugal entre 1926 et 1934), les ouvriers français et leurs représentants ne semblaient guère convaincus de son intérêt (2).
Ainsi, le 26 décembre 1925, un cahier de revendications établi pour l'entreprise Citroën, lors d'une réunion présidée par Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste, l'élimine de ses exigences, le jugeant illusoire. Toujours chez Citroën, au cours de la longue grève du 29 mars au 5 mai 1933, les revendications des travailleurs concernent toutes les lois sociales qui seront octroyées en 1936, à l'exception des congés payés. En avril 1935, le cahier rédigé par les ouvriers de Renault ne cite quant à lui les « vacances payées » qu'au onzième rang, derrière un garage pour les bicyclettes. Enfin, le programme électoral du Rassemblement populaire, publié le 11 janvier 1936, comme les premiers textes de la CGT réunifiée, ne les mentionnent même pas. Et après les élections donnant la victoire au Front populaire, une délégation de la CGT, menée par son secrétaire général Léon Jouhaux, rencontre Léon Blum par trois fois, sans qu'on parle jamais des congés payés.
En fait, cette aspiration aux loisirs n'émane pas spontanément des milieux populaires. « Le plus curieux, écrira encore le 27 juillet 1936 un journaliste de Paris-Soir chargé d'un reportage sur les congés payés dans le Nord, c'est que lorsqu'ils [les ouvriers] déposèrent leur cahier de revendications, au moment de l'occupation des usines, beaucoup avaient oublié de mentionner les vacances payées. Ils n'y pensaient pas. » Comme si personne ne pouvait croire qu'on puisse être rétribué à ne rien faire.
UNE LOI VOTÉE A L'UNANIMITÉ
Cette revendication apparaît plutôt comme le projet philanthropique et hygiéniste d'une élite réformatrice rassemblant syndicalistes chrétiens, hauts fonctionnaires et chefs d'entreprise paternalistes, tels ceux d'Alsace et de Lorraine où près des deux tiers des entreprises accordent déjà des congés annuels à leurs ouvriers. Ce sont ces milieux qui avaient exigé que soit rapidement voté le projet de loi Durafour, du nom du député radical-socialiste de la Loire et ministre du Travail du gouvernement Painlevé à l'époque du Cartel des gauches (1924-1926). Mais, déposé le 11 juillet 1925, ce projet instituant un congé de huit à quinze jours par an s'était enlisé, comme s'enliseront ceux de 1928,1931 et 1932, dans les méandres parlementaires.
Jaillissant du mouvement de grèves à la fin du mois de mai et surtout au début du mois de juin 1936, le droit aux « vacances payées » est alors repris au vol par Léon Blum. Le projet de loi est rédigé dans la nuit du 8 au 9 juin par Picquenard, directeur du Travail, déjà en fonction en 1925 au moment du projet Durafour et qui en a suivi depuis lors les tribulations. Le texte est court : la loi s'applique à tous les salariés qui sont liés à un employeur par un contrat de travail ; la durée des congés payés est de quatorze jours, dont douze ouvrables, après un an de services continus, et d'une semaine, dont six jours ouvrables, pour six mois de services.
Déposé le mardi 9 juin 1936 à la Chambre, le texte est voté le 11 juin à l'unanimité des 592 votants (3). Transmis au Sénat le 12 juin, il y est présenté par Robert Thoumyre qui avait déjà déposé un projet de loi sur les congés payés en 1931 et peut ainsi rappeler que « cette importante réforme sociale... pendante devant le Parlement depuis plus de dix années », est un « progrès moral permettant au chef de famille de partager avec les siens les jours de vacances auxquels son travail lui a donné droit ». Voté à main levée sans comptage précis des voix, il est adopté.
Promulguée le samedi 20 juin 1936 par Albert Lebrun, président de la République, la loi est publiée le 26 au Journal officiel. Il restait au monde du travail incrédule à profiter de cette « révolution culturelle » qu'il n'avait pas exigée et à la gauche à capitaliser cette avancée sociale qu'elle n'avait pas proposée.
(1) Le procès de Riom fut organisé par le régime de Vichy entre février et avril 1942, à la demande des Allemands, pour juger les hommes politiques de la IIIè République considérés comme responsables de la défaite de 1940.
(2) Francis Hordern, « Genèse et vote de la loi du 211 juin 1936 sur les congés payés ». Le Mouvement social n°15 (janvier-mars 1990). Lire aussi dans ce même numéro, « Généalogie des vacances ouvrières », par Jean-Claude Richez et Léon Strauss.
(3) Les nombres annoncés en séance, et repris ensuite par la presse et la plupart des historiens (563 voix pour et une contre) ayant été rectifiés après vérification. Cf. Mélanic Decourt, Les Congés payés et la presse, mémoire de maîtrise, université Paris-I-Sorbonne, 1995.