BOUM !
Paroles | Charles Trenet | |
Musique | Charles Trenet | |
Interprète | Charles Trenet | |
Année | 1938 |
"La pendule fait tic tac tic tic / Les oiseaux du lac pic pac pic pic / Glou glou glou font tous les dindons / Et la jolie cloche din ding don" : bien des mots de Pigeon vole ressemblaient déjà à des onomatopées, mais Boum ! se délecte de ces sonorités dès les premiers vers et jusque dans son titre (le premier du genre chez Trenet). Impossible d'ailleurs de trouver un emblème plus évocateur de l'explosion de joie que l'auteur fait retentir dans la chanson à la fin des années trente, et Boum ! est, autant que Je chante et que Y'a d'la joie à la fois un manifeste de cette nouvelle esthétique et un incontournable du répertoire du chanteur. Le "Boum !" en question, c'est celui du cœur amoureux dont le bonheur embellit tout l'univers : "Boum ! le monde entier fait boum ! / Tout avec lui dit boum ! / Quand notre cœur fait boum boum !" Comment pourtant ne pas frémir devant l'inconscience de ces mots, écrits alors que les tensions internationales menacent de se transformer en guerre ouverte et enregistrés le 30 septembre 1938, quelques heures à peine après la signature des accords de Munich ?
L'ESPRIT DE MUNICH
(L'Histoire n° 58 ; Michel Winock ; juillet-août 1983)
« Munich ! » Un cri qui recouvre un lâche soulagement pour les uns, un triomphe pour d'autres, l'annonce d'une catastrophe mondiale pour certains. Et les accords de Munich, en effet, aboutissent à la pire des guerres : celle qu'on s'est laissé imposer.
Munichois», «antimunichois», ces termes ont enrichi notre lexique politique depuis 1938. Personne aujourd'hui ne voudrait être taxé de « munichois », dont le sens est nettement péjoratif : il s'agit de quelqu'un qui cède, moins à la force qu'au bluff de la force. Julien Green, dans son Journal, écrivait le 20 septembre 1938 : « La paix est peut-être sauvée, mais nous sommes en vie parce que, tous, nous avons eu peur, peur de Hitler et de sa grosse voix. » L'esprit de Munich, de fait, est peut-être d'abord un sentiment de panique devant le danger imminent de la guerre. Toutefois, il y eut « munichois » et « munichois » : l'esprit de capitulation ne s'est pas toujours donné les mêmes raisons.
Rappelons d'abord brièvement les faits. Hitler, au pouvoir depuis 1933, a pris au bout de deux ans une série d'initiatives, la plupart en contradiction avec le traité de Versailles, qui mettent en danger la paix internationale, sans rencontrer de véritable opposition ni de la France ni de la Grande-Bretagne. En mars 1935, le Führer a rétabli le service militaire obligatoire dans son pays ; en mars 1936, il a fait réoccuper par ses troupes la zone démilitarisée de Rhénanie ; dès 1936, l'Allemagne, de même que l'Italie, a prêté un concours militaire actif aux nationalistes espagnols soulevés contre le gouvernement républicain légal ; en mars 1938, Hitler réalise l'Anschluss...
Quelques semaines plus tard, Konrad Henlein, leader du parti nazi des Allemands des Sudètes, entreprend une bruyante campagne contre le gouvernement tchécoslovaque et en faveur de l'autonomie pour les trois millions d'Allemands du Sudetenland. Au cours de l'été, les Britanniques s'entremettent entre les Sudètes et les Tchèques par la mission Runciman, mais ces pourparlers se terminent le 7 septembre 1938 par un aveu d'échec. C'est alors que Hitler, décidé à une action militaire depuis longtemps, prononce un discours enflammé, à Nuremberg, le 12 septembre, réclamant pour les Sudètes le « droit à disposer d'eux-mêmes ». Deux jours plus tard, Neville Chamberlain, Premier ministre de Grande-Bretagne, annonce son départ pour Berchtesgaden où il rencontre le chancelier du Reich. Le 18 septembre, le président du Conseil Édouard Daladier et son ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet sont à Londres, où ils finissent par se rendre aux raisons de l'apeasement britannique : Anglais et Français enjoignent au gouvernement tchécoslovaque d'accepter la cession du territoire des Sudètes exigée par Hitler ; cette acceptation est rendue publique par Prague le 21 septembre.
La crise n'est pas finie pour autant puisque le Führer ajoute encore à ses réclamations - demandant notamment de manière impérative l'évacuation des Sudètes par les Tchèques dès le 1er octobre. Chamberlain, reparti voir Hitler à Godesberg, lui signifie que les nouvelles conditions exigées par lui sont inacceptables. Le 23 septembre, le gouvernement tchèque décrète la mobilisation générale ; le lendemain, le gouvernement français décide le rappel de « certaines catégories de réservistes ». Pendant trois jours de black-out, la guerre paraît inévitable ; Hitler prononce un violent discours le 26, déclarant sa « patience à bout ». La crise se dénoue pourtant, le 28 septembre, lorsque, sur une initiative italienne, suggérée par Chamberlain, Hitler propose une conférence le lendemain, à Munich, aux représentants de l'Angleterre, de la France et de l'Italie. Dans la capitale bavaroise, Daladier et Chamberlain cèdent à peu près sur toute la ligne. Les accords signés à Munich dans la nuit du 29 au 30 septembre concèdent seulement que l'occupation allemande du Sudetenland sera échelonnée du 1er au 10 octobre, au lieu de s'effectuer dans la seule journée du 1er octobre. Les fortifications édifiées par les Tchèques dans le territoire des Sudètes ne peuvent être détruites : l'Allemagne les récupère.
Dans cette occurrence, la faiblesse active des Anglais avait été déterminante ; les Français avaient suivi. Mais la France avait des responsabilités à l'égard de l'État tchécoslovaque, que n'avait pas la Grande-Bretagne, puisqu'un traité d'alliance avait été signé en 1925 entre la France et la Tchécoslovaquie. Non seulement le gouvernement français n'avait pas agi conformément à ses engagements mais, qui plus est, il avait, en lâchant pied devant Hitler, laissé détruire son système d'alliances et renforcer sensiblement les bases matérielles de la puissance allemande. Édouard Daladier, partisan d'abord de la fermeté, a vu sa résolution peu à peu entamée et par la pression anglaise et celle de son ministre Bonnet et par les avis de l'état-major français, ceux du général Vuillemin, responsable de l'armée de l'air notamment. Il signe donc les accords de Munich avec un sentiment de honte et d'impuissance. Quelle n'est donc pas sa surprise lorsque, ayant atterri dans la nuit du 30 septembre à l'aéroport du Bourget, il est accueilli par une foule enthousiaste. La paix était sauvée ! C'était, toute honte bue, ce qui primait et tout ce qu'on voulait savoir.
Nous connaissons la suite. Loin de sauver la paix, Munich ne fit qu'encourager Hitler, ruiner le prestige de la France et affaiblir toutes les résistances potentielles aux conquêtes de l'Allemagne nazie. L'esprit de Munich est fait de cette illusion - qui fut brève - qu'au prix d'une abdication et d'une trahison on pouvait différer pour longtemps ce qui est pire qu'une abdication et une trahison : la guerre mondiale. Il y a là un optimisme aveugle qui demande explication.
Diplomates et militaires
L'esprit de Munich s'est manifesté, avant la lettre, depuis 1935. Si l'on considère d'abord l'attitude des gouvernements français qui se sont succédé depuis qu'à la fin de janvier 1933 l'auteur de Mein Kampf a pris le pouvoir en Allemagne, on note en effet que la seule politique étrangère conséquente face au danger hitlérien a été menée, entre février et octobre 1934, par le ministre des Affaires étrangères Louis Barthou (1). Celui-ci, membre de la droite modérée, disciple de Poincaré, considère le nationalisme allemand, revivifié par l'avènement de Hitler, comme le danger pour la France le plus immédiat et le plus redoutable. N'ayant que peu de foi en la sécurité collective et en la SDN, il lui paraît que la meilleure façon de neutraliser l'agressivité allemande est de se donner les moyens militaires et diplomatiques pour faire respecter les traités. Les moyens diplomatiques, dont il a la charge, sont classiques : il s'agit de pratiquer une politique d'alliances qui contraigne l'Allemagne à rester dans ses frontières. Cette politique d'alliance n'a pas de fondement idéologique ; elle repose toute sur le réalisme politique. C'est pourquoi le ministre Barthou recherche aussi bien l'alliance de l'Italie fasciste que celle de la Russie soviétique.
Cette politique soulève des protestations aussi bien à gauche qu'à droite. On lui reproche, à gauche, par pacifisme, la reprise d'une politique d'alliances qui a mené à la guerre de 1914 ; on lui reproche, à droite, par anticommunisme, de faire la litière du bolchevisme. Cette politique cependant ne peut être menée à son terme, Louis Barthou étant victime de l'attentat perpétré par les terroristes oustachis contre Alexandre Ier de Yougoslavie, le 9 octobre 1934, à Marseille. Pierre Laval, qui succède à Barthou aux Affaires étrangères, d'octobre 1934 à janvier 1936, donne l'impression de poursuivre l'effort de Barthou. La conférence de Stresa, en avril 1935, consacre le rapprochement franco-italien. Le 2 mai 1935, un pacte franco-soviétique est signé à Paris. Mais les finasseries de Laval, aussi bien dans la mise au point du texte de ce traité que dans la crise « éthiopienne » qui éclate en octobre de la même année, ont complètement altéré la ligne diplomatique de Barthou (2).
La faiblesse de l'État et de sa politique face à l'Allemagne se révèle, crûment dans la crise occasionnée par la décision prise par Hitler de faire réoccuper militairement la Rhénanie, le 7 mars 1936. Albert Sarraut, président radical d'un gouvernement d'union nationale, déclare le lendemain à la radio : « Nous ne laisserons pas Strasbourg exposé au feu des canons allemands. » Selon les accords de Locarno de 1925, l'Angleterre devrait en pareille circonstance prêter main-forte à la France. Flandin, ministre des Affaires étrangères, part pour Londres, le 11 mars, consulter le gouvernement britannique. Celui-ci, par la voix d'Eden, refuse son concours à toute politique de rétorsion ou de sanction. L'opinion britannique s'était exprimée par cette manchette d'un journal londonien : « Les Allemands envahissent... un territoire allemand. »
En fait, les Allemands avaient violé non seulement le traité de Versailles - le Diktat - qui leur avait été imposé, mais aussi le traité de Locarno dont ils étaient cosignataires. Les Français étaient ainsi fondés à agir manu militari sans l'autorisation de l'Angleterre. Pour s'y résoudre, le gouvernement doit compter sur l'état-major. Celui-ci, surévaluant les forces allemandes, donne par la voix du général Gamelin un avis nettement pessimiste. Conçue pour la défensive, l'armée française se juge dans l'incapacité de lancer un corps expéditionnaire au-delà de la ligne Maginot. Cet avis est d'autant plus dérisoire qu'on sait aujourd'hui que Hitler avait décidé la remilitarisation de la Rhénanie contre l'avis de ses propres généraux von Fritsch et von Blomberg ; qu'il était prêt à la retraite immédiate en cas de réaction armée française !
Lors de la crise de Munich, les experts militaires surenchérirent sur la prudence et le pessimisme. Il est avéré que Daladier fut impressionné au cours de l'été et de l'automne 1938 par leurs avis (3). Cette fois, il était moins douteux que les forces françaises, notamment en aviation, fussent plus faibles. Mais que dire de l'attitude rétrospective du général Gamelin, commandant en chef des armées françaises de 1935 à 1940, écrivant dans ses mémoires qu'en mars 1936 la France avait raté la « dernière occasion » d'en imposer à l'Allemagne hitlérienne ! (4)
La crise de Munich a révélé, entre autres, la contradiction flagrante entre les deux systèmes de sécurité nationale entretenus par les gouvernements français successifs. Contradiction entre la diplomatie d'alliances et la stratégie défensive. La première impliquait la possibilité d'intervention militaire rapide en territoire allemand, tandis que la seconde reposait sur la conception d'une guerre statique et défensive, concrétisée par la construction de la ligne Maginot au début des années trente et dont témoigne aussi l'isolement d'un Paul Reynaud, se faisant à la Chambre l'avocat des thèses du colonel de Gaulle. Brochant sur le tout, cette stratégie défensive, par une dernière inconséquence, n'allait pas jusqu'au bout de sa logique, puisque la ligne Maginot laissait découverte la frontière belge. Les jours dramatiques de la crise munichoise révèlent, derrière les faiblesses du gouvernement, l'inertie de la théorie militaire et, finalement, les déficiences graves de la sécurité nationale.
Mais on ne comprendrait pas « Munich » si l'on devait s'en tenir aux cabinets des ministres et aux bureaux de l'état-major. Eux-mêmes dépendent d'un pays, d'une société, d'une opinion, de forces politiques et sociales qui ont participé, à des degrés divers, à la défaite de Munich.
Le nationalisme fourvoyé
Il convient de noter d'emblée que l'esprit de Munich n'a été le monopole ni de la droite ni de la gauche ; que les antimunichois se sont recrutés dans les deux grandes tendances de l'opinion. Que voit-on à droite ? La politique d'un Barthou a eu des soutiens ou des prolongements aussi bien dans les secteurs de la droite libérale qu'il représentait - c'est le cas d'un Paul Reynaud - que de la droite conservatrice - c'est le cas de Louis Marin ou d'Henri de Kérillis. Cela dit, il faut s'interroger sur l'impressionnante défaillance du nationalisme, entre 1935 et 1939, dans les rangs d'une droite et d'une extrême droite depuis longtemps caractérisées par leur germanophobie. Tout se passe comme si, à partir de 1934-1935, le nationalisme antiallemand perdait sa raison d être.
L'« ennemi héréditaire » a pourtant pris, depuis janvier 1933, un masque très inquiétant. Mais, dans les trois années qui suivent, cet ennemi-là est concurrencé par un autre, à la fois intérieur et extérieur : le Rassemblement populaire, constitué en 1935 par l'adhésion des radicaux à l'alliance conclue l'année précédente entre socialistes et communistes, et, derrière le Rassemblement des forces de gauche, l'URSS et l'Internationale communiste qui sont à l'origine des fronts populaires. Pour cette droite, il est difficile de désigner « l'ennemi n°1 », de concilier une égale fermeté vis-à-vis de l'Allemagne nazie et de la Russie soviétique. Bien des membres de cette droite, soit par conservatisme et horreur du Front populaire, soit par admiration secrète ou publique du « fascisme », vont trouver dans l'Allemagne hitlérienne de singuliers motifs d'oublier leur intransigeance nationaliste et de se convertir à ce qu'on appelle le « néo-pacifisme ». Un pacifisme qui n'est ni doctrinal ni viscéral, qui est tout d'opportunité, - l'Allemagne du Führer étant devenue soit une garantie antirévolutionnaire (pour les conservateurs), soit un exemple révolutionnaire (pour les extrémistes).
L'année 1936 offre trois exemples de cette mutation du nationalisme de droite. Premier exemple : la ratification du pacte franco-soviétique. L'idée première, on l'a vu plus haut, n'était pas d'un homme de gauche ; elle participait d'une tradition diplomatique réaliste, plutôt de droite. Or le vote à la Chambre, le 27 février 1936, de la ratification de ce pacte est obtenu par 353 voix seulement ; les deux tiers des députés de droite ont voté contre. « L'alliance avec les Soviets, écrit Léon Daudet, est, sous tous ses aspects, une insanité. » Et Jean Martet, du Journal, explicite l'attitude des conservateurs : « Le pacte, entre les mains d'un gouvernement modéré, ne menaçait ni n'indignait personne. Entre les mains d'un gouvernement de Front populaire, accroché aux Soviets, il changerait de forme et se braquerait directement contre l'Allemagne. » (5)
Deuxième exemple, ou deuxième étape : mars 1936, la crise « rhénane ». Le « Surtout pas de guerre ! » est un cri unanime de la presse française, les feuilles dites « nationales » n'échappant pas à la règle. La revue Combat, dirigée par Jean de Fabrègues et Thierry Maulnier, est assez représentative des milieux de droite gagnés par « l'imprégnation fasciste ». Dans le numéro d'avril 1936, on y peut lire, sous la signature de Maurice Blanchot : « Il y a dans le monde, en dehors de l'Allemagne, un clan qui veut la guerre et qui propage insidieusement, sous couleurs de prestige et de morale internationale, les cas de guerre. C'est le clan des anciens pacifistes, des révolutionnaires et des Juifs émigrés qui sont prêts à tout pour abattre Hitler et pour mettre fin aux dictatures. » Droite classique, droite ultra, même pacifisme, sinon mêmes raisons, que la gauche.
Troisième exemple, troisième dérapage du nationalisme : la guerre d'Espagne. Un certain nombre de journalistes et de politiciens de droite - Pertinax, Emile Buré, Georges Mandel, Henri de Kérillis au bout d'un certain temps - ne veulent pas se laisser aveugler par les aspects idéologiques de la guerre civile. Ils considèrent qu'une éventuelle victoire de Franco, soutenu par Hitler, serait du plus grand danger pour la sécurité française. Leur audience, cependant, est dérisoire à côté de la grande presse de droite : Gringoire, Candide, L'Action française, Je suis partout... Le Front populaire est au pouvoir en France : rien ne compte que de s'en débarrasser. Une double perversion est notable dans l'attitude de la droite : la perversion du national par le conservatisme social (« Plutôt Hitler que Blum ! ») et la perversion du national par l'idéologique (« Des lecteurs de L'Action française, il n'en est pas un qui ignore ou puisse ignorer que l'ennemi n°1 de leur pays est l'Allemagne [...]. Après Hitler, ou, qui sait ? avant lui sur un tout autre plan, il y a un autre ennemi. C'est la République démocratique... » (6)).
Comme l'état-major, mais sur un autre plan, ainsi que dit Maurras, la droite française en est venue à sous-estimer les forces du pays et à entonner un chant funèbre de décadence, propre à démoraliser la nation face à l'ennemi de la frontière. Sans doute faudrait-il résister à Hitler mais la France est en état de décomposition - à cause du régime parlementaire, à cause du Front populaire, à cause des Juifs émigrés.... (7) Tel est le refrain.
Les défaillances de 1936 se répètent logiquement en 1938. Au moment de l'Anschluss, le 12 mars, Léon Blum propose de constituer un gouvernement de rassemblement national. Kérillis et Reynaud entraînent une cinquantaine de députés de la droite à accepter l'offre de Blum. Une cinquantaine seulement. Car le reste de la droite, à laquelle se rallie Flandin, dénonce la croisade antifasciste orchestrée par Moscou.
Dans L'Action française, Maurras insulte Reynaud, « porte-parole d'un puissant consortium pour la guerre », tandis que Daudet clame : « Il faut un homme, pas un Juif ! » Le siège de la droite ex-nationaliste est fait : les communistes, Blum et les Juifs préparent la guerre ; c'est se montrer véritables patriotes que de l'empêcher à tout prix. Au moment de Munich, le gros de la presse de droite encourage le gouvernement aux concessions maximales. « Tout ce qu'ils savent, écrit Henri Béraud des Français, le 22 septembre 1938, dans Gringoire, c'est qu'il y a vingt-cinq ans, on s'est fait trouer la carcasse pour la Serbie, dont le nom ne figure même plus sur les géographies et que cette fois il faut mettre sac au dos pour la Tchécoslovaquie dont, il y a vingt ans, nul n'avait jamais entendu parler... » (8) C'est à Thierry Maulnier, cependant, qu'il faut emprunter la profession de foi la plus explicite du nationalisme fourvoyé. Dans un article de Combat, de novembre 1938, il explique que dans la crise de Munich seule l'extrême gauche pouvait se montrer résolue parce que c'était l'occasion pour elle de provoquer l'effondrement de l'Allemagne, « d'anéantir l'ennemi de la Russie soviétique et du marxisme, d'assurer peut-être le triomphe de la révolution soviétique dans l'Europe entière ».
« En revanche, écrit encore Thierry Maulnier, une des raisons de la répugnance très évidente à l'égard de la guerre, qui s'est manifestée dans des partis de droite pourtant très chatouilleux quant à la sécurité nationale et à l'honneur national et même très hostiles sentimentalement à l'Allemagne, est que ces partis avaient l'impression qu'en cas de guerre, non seulement le désastre serait immense, non seulement une défaite ou une dévastation de la France étaient possibles, mais encore, une défaite de l'Allemagne signifierait l'écroulement des systèmes autoritaires qui constituent le principal rempart à la révolution communiste et peut-être à la bolchevisation immédiate de l'Europe. »
Les distractions de l'antifascisme
Maulnier estime qu'il n'y avait là « rien d'inavouable », que c'était « une des principales raisons, et des plus solides, sinon la plus solide, de ne pas faire la guerre en septembre 1938 ». Faut-il, dès lors, laisser la bride sur le cou à Hitler ? Maulnier convient que les nationalistes sont placés devant un « dilemme presque insoluble ». Il existe toutefois une solution, nous dit-il : changer de régime. On voit bien par là la pénétration de la politique extérieure française par les enjeux et les fièvres de la politique intérieure. L'esprit de Munich, c'est aussi cela : la révélation crue de la primauté des objectifs intérieurs sur les objectifs extérieurs dans le camp du nationalisme français.
Le drame de la France, en ces années « munichoises », fut que la gauche, unie en principe dans le Front populaire pour résister au fascisme, et partant à Hitler, ne fut pas capable de prendre le relais des mains de cette droite défaillante ou complaisante. Dans un colloque récent sur les relations franco-allemandes, J.-B. Duroselle a montré la continuité de la diplomatie française avant et après la victoire du Front populaire (9). Le « drame rhénan » éclate peu de temps avant la campagne électorale d'avril 1936. L'Humanité tout comme Le Populaire dénoncent les menaces de guerre, sans préconiser la résistance. La conjoncture électorale n'est pas seule en cause : le 9 juillet 1936, les crédits sont votés pour la participation aux Jeux Olympiques de Berlin (unanimité moins une voix - celle de Pierre Mendès France - et abstention des communistes). Le 27 juillet, Léon Blum décide de proposer une politique de non-intervention en Espagne. Son ministre des Affaires étrangères, le radical Yvon Delbos, fait mine de croire à tous les « faux-semblants de l'Allemagne et de l'Italie » (10).
Si Léon Blum réagit personnellement au moment de l'Anschluss et de Munich, il ne peut amener la majorité de son parti sur des positions fermes de résistance à l'Allemagne nazie. En tant que chef de gouvernement dans un contexte particulièrement menaçant, il abandonne sa ferveur pour le désarmement et décide, au contraire, une politique de renforcement militaire qui obère lourdement le budget (11). Mais en tant que leader socialiste, on le voit suivre une douloureuse évolution - du pacifisme à la politique de défense nationale - qui s'exprime dans un article resté célèbre du 30 septembre 1938 dans Le Populaire : « La guerre est probablement écartée. Mais dans des conditions telles que moi, qui n'ai cessé de lutter pour la paix, qui depuis bien des années lui avais fait d'avance le sacrifice de ma vie, je n'en puis éprouver de joie et que je me sens partagé entre un lâche soulagement et la honte. » Cependant que Paul Faure, premier secrétaire de la SFIO, reste au sein de celle-ci encore majoritaire, sur les bases d'un pacifisme indéracinable : « Temporiser, négocier, faire appel à toutes les forces morales et spirituelles du monde pour éviter le recours aux armes [...]. Nous avons applaudi le Pape. Nous aurions applaudi le diable » (Le Populaire, 2 octobre 1938).
A une voix près - celle du député Bouhey, manquant à la discipline de vote -, le groupe socialiste ratifie à la Chambre les accords de Munich. Seuls les communistes votent unanimement « contre ». Mais ces « antimunichois » ne sont pas entièrement fiables, tant leur attitude dépend visiblement de celle de Staline. Violemment antimilitaristes jusqu'en 1935, ils cessent leurs attaques contre l'effort d'armement, du moment que Laval, lors de sa visite à Moscou en mai 1935, obtient de son hôte la déclaration décisive : « M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. » Parallèlement au néo-pacifisme de droite se développe alors le néo-patriotisme des communistes. Néanmoins, la position de L'Humanité reste nettement « pacifiste » lors de la crise rhénane. Est-ce prudence tactique à quelques semaines des élections prometteuses ? Par la suite, le PCF, et particulièrement dans la question espagnole, défend une attitude « antimunichoise », confirmée en septembre 1938. La défense, une année plus tard, par le même parti communiste, du pacte germano-soviétique, suivie après quelques semaines de flottement par le ralliement, en pleine « drôle de guerre », au mot d'ordre de lutte contre la « guerre impérialiste », indique clairement les limites de la détermination communiste en la matière. Du reste, le PCF n'est que le troisième parti d'une coalition de gauche, dominée par les socialistes et les radicaux qui, seuls, gouvernent.
Or, si l'antifascisme, l'antinazisme qui lui est assimilé, ont été le ciment du Front populaire, tout se passe comme si cet antifascisme, au lieu de se mobiliser contre le véritable adversaire - l'Allemagne nazie -, s'était concentré, par un phénomène de transfert, sur un hypothétique ennemi intérieur. En somme, on peut dire que le 6 février 1934 (l'émeute de droite devant le Palais-Bourbon) a occupé les consciences de gauche au préjudice du 30 janvier 1933 (l'arrivée au pouvoir de Hitler).
Le pacifisme, idéologie dominante de la gauche socialiste et syndicaliste, explique cette carence ou cet aveuglement. Pour en comprendre le fond, il faut se souvenir de ce qu'a été la guerre de 1914 : une terrible défaite du mouvement ouvrier, avant de devenir une horrible boucherie. Socialistes et syndicalistes veulent éviter à tout prix les nouveaux engrenages qui conduisent à la guerre : aussi bien la politique d'armement que la diplomatie d'alliances. Léon Blum répète dans les années vingt et au début des années trente sa confiance dans la sécurité collective, la SDN, le désarmement. Au moment de la remilitarisation de la Rhénanie, il écrit : « Le Diktat hitlérien est essentiellement une infraction à la loi internationale et c'est à la SDN qu'il appartient de la reconnaître, de la qualifier et, le cas échéant, de la réprimer. » (12) La crise de juillet 1914 continue de hanter le mouvement ouvrier français : le « plus-jamais-ça » s'impose avec la force de l'évidence.
Il lui faudra, à Léon Blum qui a condamné la politique de Barthou, beaucoup de temps, beaucoup de peine et beaucoup d'hésitation pour se convaincre de la nécessité d'une politique de fermeté, impliquant et des armes et des alliés. Cette position, Blum la défend avec netteté au congrès socialiste de Royan, en juin 1938 : pour éviter la guerre, il faut savoir quelquefois en prendre le risque. Mais le chef de parti qu'il est doit tenir compte d'une majorité restée « pacifiste » s'il veut sauver l'unité de son parti. De là résultent les sinuosités de sa démarche. Le gros de la SFIO et de la CGT fait sienne la formule de Séverac, du 13 septembre 1938 : « Les concessions les plus lourdes valent mieux que la plus victorieuse des guerres. » Peu s'imaginent encore que les concessions les plus lourdes peuvent précipiter la plus affreuse des défaites. On raisonnait toujours sur juillet 1914, on voulait éviter une suicidaire répétition de l'histoire (13).
Dans la conscience du Front populaire, le danger hitlérien a été largement refoulé. L'épouvantail Croix-de-Feu du colonel de La Rocque figurait une sorte de fascisme métaphorique, contre lequel on pouvait se battre à coups de poing et à coups de mots. Le vrai « fascisme », à tête de mort, nécessitait d'autres moyens pour l'affronter. De ce point de vue, le Front populaire a souffert d'une déchirante contradiction, comme l'illustre l'itinéraire du philosophe Alain. Démocrate, il est à l'origine, avec quelques autres, de la création du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes ; pacifiste, il signe, en compagnie de Victor Margueritte et de Jean Giono, un télégramme envoyé à Daladier et Chamberlain, au moment de Munich, pour désavouer les défenseurs de l'intégrité tchécoslovaque et sauver la paix par « tout arrangement équitable (sic) ».
L'esprit de Munich a donc reflété aussi cette contradiction du Front populaire entre l'antifascisme et le pacifisme. La gauche française n'a pu assumer sa mission d'antifascisme en raison même du pacifisme qui la maintenait sur le terrain des bonnes intentions. De même que, simultanément, la droite n'a pu assumer sa vocation à la défense nationale, dans la mesure où son anticommunisme, son conservatisme social et sa complaisance envers les dictatures l'entraînèrent à ne voir dans Hitler qu'un danger secondaire. Munich est le point de convergence du pacifisme doctrinal ou viscéral de la gauche et du néo-pacifisme conjoncturel de la droite.
Plus profondément, il faut pourtant se demander si l'esprit de Munich n'a pas été le fruit d'un refus moins politique que biologique : celui d'une nation exsangue, hors d'état de courir le moindre risque de guerre, fût-ce pour sauver la paix. On ne peut résoudre pareille question puisqu'il faudrait scruter ce qui, par définition, ne s'exprime pas et qu'on appelle plus ou moins justement un inconscient collectif. Il faut se contenter de quelques observations et de quelques interrogations.
Mythes et réalités du pacifisme populaire
On a pu dire de la reculade de Munich qu'elle était la manifestation diplomatique du vœu profond d'un peuple désireux de sauvegarder la paix à tout prix. Une sorte d'unanimité dans la capitulation aurait emporté les plus mâles résolutions des gouvernants. C'est ainsi qu'Henri Michel écrit, à propos de l'occasion « rhénane » : « Telle est la raison de l'inaction française en mars 1936 : les Français ne veulent pas se battre ; le poids du sang français répandu en 1914-1918 les paralyse. » (14) A fortiori, sans doute, deux ans et demi plus tard, à propos des Sudètes. Mais il ne s'agit là que d'une hypothèse invérifiable, qui présuppose une articulation mécanique entre une certaine unité d'opinion et les actes des gouvernants qui n'en seraient que le prolongement politique.
La première observation à faire est qu'il n'y a pas eu d'unanimité dans l'opinion. C'est en 1938 qu'a été créé le premier institut de sondage en France, l'IFOP. Au lendemain des accords de Munich, un sondage d'opinion a été fait sur la question : « Approuvez-vous les accords de Munich ? » Or une forte minorité de 37 % des sondés répond « non » (contre 57 % de oui et 6 % d'abstentions), ce qui est substantiellement plus fort que les 12 % de la Chambre des députés. Notons encore qu'en juillet 1939, à la question : « Pensez-vous que si l'Allemagne tente de s'emparer de la ville libre de Dantzig, nous devons l'en empêcher au besoin par la force ? », la réponse est « oui » à 76 % (non, 17 % et abstentions, 7 %) (15). Ces sondages indiquent pour le moins que la sauvegarde de la paix à tout prix, que la préférence de l'esclavage à la guerre comme on l'a entendu proclamer dans certains congrès politiques ou syndicaux, n'était pas le fond de l'opinion. Que celle-ci ait évolué entre l'été 1938 et l'été 1939 ne fait point de doute, mais tenir le pacifisme des Français comme un des obstacles incontournables à une politique de fermeté face à l'Allemagne hitlérienne appartient plus à la rhétorique politique qu'à la réalité.
Cela disant, il n'est pas question de nier le profond désir de paix des Français, qu'ils partagent avec les autres peuples, mais qu'ils éprouvent, en raison de la Grande Guerre, plus vivement alors que toute autre nation. Simplement, il convient de ne pas confondre cette aspiration naturelle et légitime à la paix et ce qu'on appelle le pacifisme à tendance défaitiste, qui répugne à toutes les méthodes de fermeté et à tous les risques de guerre pour empêcher précisément la guerre.
Je voudrais illustrer ce propos par un autre test : celui du rappel sous les drapeaux, en septembre 1938, de « certaines catégories de réservistes ». D'après la littérature pacifiste - voir Giono, par exemple -, les réservistes rappelés témoignaient, par l'expression de leur « glaciale gravité », leur hostilité aux hommes politiques qui les envoyaient au front, tandis que « les gens de la rue applaudissaient les pacifistes décidés » (16). Il est probable que tous les témoins n'ont pas vu la même chose. En voici deux autres. L'un est un néo-pacifiste, un munichois, un fasciste ; le second, un écrivain antimunichois, de droite. Le premier, Lucien Rebatet, décrit dans Les Décombres une tout autre attitude des réservistes qu'il a vus à la gare de l'Est. « L'antifascisme, écrit-il, se décidait enfin à prendre les armes. On allait bien voir ce qui lui résisterait. Quelques grandes gueules criaient même qu'on allait délivrer de Hitler les ouvriers allemands. Il n'y avait aucun risque que le prolétariat s'insurgeât contre la guerre (souligné par nous). Ses maîtres, décidément beaucoup plus forts que nous, étaient parvenus à lui faire confondre le grand soir avec l'abattoir » (17) (p.84). Le second est Henri de Montherlant, réserviste rappelé, qui prend le train à la même gare de l'Est, le 24 septembre au soir. Il nous a décrit la scène dans L'Équinoxe de septembre. Il a vu des « milliers d'hommes en casquette » parfaitement calmes, « qui partent à ce qu'ils détestent le plus, - qui partent avec paix à la guerre ». Ce qui lui inspire ce commentaire : « Vingt ans de propagande pacifiste ont été bus et digérés, sans effet, par le peuple français... » Et de préciser : « Qu'on me montre un seul d'entre nous qui n'aime pas la paix et qui, à cette heure, ne sacrifierait pas une part immense de ce qui fait tout le bien de sa vie privée, si cela pouvait aider à la maintenir honorablement. Il ne s'agit pas de proclamer qu'on aime la paix. Il s'agit d'être assez fort pour imposer la paix à ceux qui veulent la guerre. » (18)
Ces sondages et ces citations devraient au moins nous inciter à la prudence quand nous voulons donner à l'esprit de Munich une explication « par les profondeurs » du corps social. La dénonciation de la guerre a été de tous les partis, de tous les syndicats, de toutes les associations d'anciens combattants Les ruines causées par la Première Guerre mondiale ont eu des effets durables et renforcé encore s'il était besoin le culte de la paix. D'autre part, il est possible, voire probable, que l'affaiblissement démographique de la France et les conséquences de l'arrivée à l'âge de la conscription des classes creuses au moment même - à partir de 1935 - de la « montée des périls » aient infléchi la politique des gouvernants. Jean Giraudoux, à propos de toute la politique extérieure de la France depuis 1918, l'explique ainsi en 1939 dans Pleins pouvoirs : « Cette angoisse, cette incertitude de nos dirigeants venait de ce que pour la première fois ils ne sentaient plus derrière eux un réservoir inépuisable de vies françaises. Ils venaient de constater que la guerre n'était pas seulement la plus horrible des solutions, mais que c'était une maladie que l'organisme français n'était plus à même de connaître » (19). Notons tout de même qu'une telle « angoisse » avait produit fort peu d'imagination en matière de politique démographique, puisque - si l'on met de côté la loi répressive de 1920 contre la contraception et l'avortement - il faut attendre 1939 pour voir voter les premières mesures du Code de la Famille. On conviendra qu'il s'agit là d'une « angoisse » bien peu active, ce dont Giraudoux convient, du reste, un peu plus loin dans son livre en disant : « II n'est aucune nation civilisée où le souci de la vie humaine joue, dans la politique nationale, un rôle aussi accessoire et déconsidéré qu'en France. L'inattention de nos dirigeants civils coûte autant à la France, chaque année, que l'imprudence des généraux peut lui avoir coûté en cinq années de guerre. »
Aussi, sans vouloir négliger ces raisons « profondes », il me paraît plus sûr de s'en tenir au terrain le moins friable, celui du débat et de la lutte politique, où l'on peut vérifier sans aucun doute l'enchaînement des causes et des effets. Les capitulations successives de la droite et de la gauche devant les coups de force de Hitler, dont l'effondrement de Munich n'est que l'aboutissement dramatique, ont le plus souvent trouvé dans ces causes « organiques » leurs alibis ou leurs prétextes. La politique de résistance à Hitler exigeait de la droite qu'elle mît au-dessus de ses intérêts sociaux et de ses passions idéologiques la volonté de défense nationale dont elle se prétendait l'incarnation ; cette politique exigeait de la gauche qu'elle poussât la logique de son antifascisme jusqu'au domaine militaire et diplomatique, nonobstant son pacifisme. Au lendemain de l'Anschluss, Léon Blum, le danger devenant apparemment clair pour tous les partis, proposa - on l'a dit - de ressouder l'union nationale face au nazisme conquérant. Les conservateurs et les nationalistes rejetèrent l'offre, par crainte du communisme ; les pacifistes de gauche y dénoncèrent la reconstruction d'une union sacrée de sinistre mémoire. L'esprit de Munich a été la rencontre de peurs différentes, voire contraires, qui se sont additionnées dans une même capitulation.
La politique de Munich fut un résumé de la non-intervention, de la non-action, de l'abstention française : toutes les contradictions qui étaient à l'œuvre dans les rangs de la droite et de la gauche, entre la droite et la gauche, ont eu pour résultante cette politique passive, toute subordonnée à la « gouvernante anglaise » (20), désespérément velléitaire. Elle aboutit à ce qu'elle voulait éviter : à la pire des guerres, celle qu'on s'est laissé imposer.
(1) Voir J.-B. Duroselle, La Décadence, 1932-1939, p. 87-121, Le Seuil, coll. « Points-Histoire », 1983.
(2) J.-B. Duroselle, op. cit., résume ainsi la politique de Laval : « Ne jamais aller tout à fait jusqu'au bout paraît avoir été la grande règle de Pierre Laval » (p. 150).
(3) Outre J.-B. Duroselle, voir R.J. Young, « Le haut commandement français au moment de Munich », Revue d'histoire moderne et contemporaine, t. XXIV, janvier-mars 1977. Notons que, sur les responsabilités de l'état-major, René Girault est plus nuancé, affirmant que « les militaires... préconisent plutôt une politique de fermeté ».
(4) Général Gamelin, Servir, t. II, p. 215.
(5) Cité par C. Micaud, La droite devant l'Allemagne, Calmann-Lévy, 1945.
(6) Cité par E. Weber, L'Action française, Stock, 1964, p. 460. Du même Charles Maurras, en janvier 1939 : « Notre politique nationale au-dehors est assaillie au Palais-Bourbon par les stipendiés de Moscou, par les alliés internationaux de la bande du Juif Blum, par tous les ex-nationaux dissidents et déserteurs [...] Les grandes démocraties appuyées par la juiverie ont envie de faire tuer quelques millions d'hommes, voilà la vérité. » Cité par E. Bonnefous, Histoire politique de la IIIe République, t. VII, 1938-1940.
(7) Sur l'abondante prose de la « décadence » des années trente, reprise de la littérature nationaliste fin XIXè siècle, je me permets de renvoyer à l'exemple du roman Gilles de P. Drieu La Rochelle, étudié dans M. Winock, Drumont et Cie, Le Seuil, 1982.
(8) Cité par J. Dazelle, Gringoire, 1928-1940, mémoire de DES de Science politique, faculté de droit de Paris, 1958.
(9) La France et l'Allemagne, 1932-1936, Éd. du CNRS, 1980, p. 373-396.
(10) Voir J.-B. Duroselle, La Décadence, op. cit., ch. 10.
(11) Voir dans ce même numéro de L'Histoire l'article de R. Frank, « Le Front populaire a-t-il perdu la guerre ? »
(12) L. Blum, « Le parti agit pour la paix », Le Populaire, 12 mars 1936.
(13) Sur le pacifisme socialiste, on verra notamment R. Gombin, « Socialisme et pacifisme », in La France et les Français en 1938-1939, sous la direction de R. Rémond et J. Bourdin, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1978. De manière plus détaillée : M. Bilis, Socialistes et pacifistes, 1933-1939, Syros, 1979.
(14) H. Michel, « Introduction » de La France et l'Allemagne, 1932-1936, op. cit.
(15) C. Peyrefitte, « Les premiers sondages d'opinion », Edouard Daladier chef de gouvernement, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.
(16) J. Giono, Précisions, Grasset, 1939, p. 23.
(17) L. Rebatet, Les Décombres, Denoël, 1942, p. 84.
(18) H. de Montherlant, L'Équinoxe de septembre, Grasset, édition de 1943, p. 362-363.
(19) Voir A. Prost, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, 3 vol., Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.
(20) Selon l'expression de F. Bédarida, « La gouvernante anglaise », Édouard Daladier, op. cit.