CET ENFANT-LÀ

Paroles Barbara
Musique Barbara et Roland Romanelli
Interprète Barbara
Année 1975 (inédit 1981)

Dernière des cinq chansons créées à Bobino en 1975, Cet enfant-là attendit encore plus longtemps que les quatre autres sa publication sur disque puisqu'elle ne parut qu'en 1981 sur Seule, le quinzième album studio de Barbara. Résonnant dès les premiers mots ("Cet enfant-là / Cet enfant-là / Te ressemble / Te ressemble") des échos de Accident, la séparation d'avec l'être aimé y remplaçant sa mort, Cet enfant-là est la seule chanson où Barbara laisse deviner son regret de ne pas avoir eu d'enfants.

BARBARA ET LES ENFANTS
(Barbara Portrait en clair obscur ; Valérie Lehoux ; 2007 ; Editions Fayard / Chorus)

Barbara aurait-elle pu ne pas chanter ? Grande question. Pour qu'elle oublie la chanson, il aurait fallu que la vie lui ouvre d'autres portes de sortie. Elle-même en voyait deux : le piano et la maternité. Mais l'une et l'autre se refermèrent.

Le piano, on sait pourquoi : une maudite boule au creux de sa main droite avait anéanti ses rêves de concertiste. « Je me demande si je n'ai pas chanté parce que je ne savais pas jouer du piano. » (1)

Quant aux raisons de sa non-maternité, elles sont plus incertaines. Mais on sait, sans l'ombre d'un doute, que cette absence lui pesa lourd. Plusieurs fois Barbara le reconnut dans de rares confidences médiatiques. En 1964 : « Si j'avais eu de l'argent à Bruxelles, mon enfant... » Un cri : « Et plus jamais je ne pourrai avoir un autre enfant... Quelle horreur pour une femme... ce vide... Ici. » (2) En 1990 : « Réussir ma vie de femme, ç'aurait été, pour moi, d'avoir des enfants. Hélas ! Cela ne s'est pas fait. » (3) En 1992 : « La seule chose qui aurait pu me faire changer de vie, c'était un enfant. » (4)

Dans ses mémoires posthumes, Barbara va plus loin encore dans l'introspection et la confession : « J'ai longtemps senti dans mon ventre un vide glacé, j'ai longtemps jalousé les femmes enceintes et détesté les nouveaux-nés. J'ai souvent marché la main posée sur mon ventre. » A ce stade-là, ce n'est plus un regret, c'est une grande souffrance.

Que s'était-il passé ?

Le 11 février 1969, le très sensationnaliste Ici Paris ose un récit sans ambages : « Le mot enfant la fait tressaillir comme si une main se posait sur une plaie vive et la griffait. [...] Bruxelles, 1950. [...] Barbara perd l'enfant qu'elle attendait et apprend en même temps qu'elle doit abandonner tout espoir d'en avoir un autre. »

Vrai ou faux, on ne sait. Publiquement, Barbara n'a jamais rien dit de tel. A Sophie Makhno, en revanche, elle a bien parlé d'une grossesse extra-utérine, puis d'une intervention chirurgicale malheureuse, à Bruxelles, entre 1950 et 1954. Aucun des témoins de l'époque ne peut le confirmer : Claude Sluys, le mari, n'est plus de ce monde ; Ethery, la pianiste, ne se souvient pas ; et Jacques Vynckier, l'ami discophile, se rappelle effectivement une opération qui avait mal tourné, mais ne sait plus de quoi il s'agissait.

Ce qui est sûr, c'est que Barbara eut longtemps d'étranges réactions devant les tout petits enfants. Ce qu'elle dit dans son livre, ce profond malaise devant les femmes enceintes et les bébés, Sophie Makhno jure l'avoir vécu : « Ma fille est née prématurée, et elle est restée en couveuse pendant six semaines. A peu près à la même époque, Serge Reggiani a offert un chien à Barbara. Le jour de la sortie de ma fille, Barbara a mis son chien dans un panier, elle a pris un taxi et elle est allée le montrer à tous les gens que nous connaissions en commun. Curieux, Non ?

« Quelques jours plus tard, elle est venue chez moi avec sa mère. Très gentiment, Barbara a apporté un énorme ours en peluche. Tout s'est bien passé. Mais j'ai su qu'ensuite elle n'avait pas pu rentrer directement chez elle, rue Rémusat, tellement elle se sentait mal. Elle suffoquait. Elle est allée dans un café, puis elle a cherché un taxi, en vain. Elle est finalement rentrée à pied, et très tard. »

Etonnante Barbara. Totalement bouleversée à la vue d'un nouveau-né alors qu'elle les aime, les enfants ! Le soir où André Gaillard lui annonce qu'il est papa, non seulement elle lui donne l'intégralité de son cachet, mais elle insiste pour savoir où est le bébé. « A la maternité Giordano-Bruno, dans le 14è arrondissement. » Le lendemain matin, elle pénètre dans la chambre une rose à la main.

L'enfance à jamais dérobée. Terrain sensible. Ultra-sensible.

« Elle parlait parfois d'adopter un enfant », se souvient encore Sophie Makhno. Barbara n'a pas adopté, mais, dans l'ombre, elle a beaucoup œuvré pour l'enfance maltraitée. Durant les vingt dernières années de sa vie, elle a également entretenu des relations singulières et inattendues avec les enfants de ses amis : échange de lettres, de fax, de coups de téléphone. C'était drôle de la voir ainsi tracer de sa grosse écriture des petits mots très doux à des gamins de sept ou huit ans.

C'était drôle, aussi, de la voir s'attendrir sur scène lorsqu'elle repérait un enfant dans la salle. Presque immanquablement, elle le prenait dans ses bras. A croire qu'avec le temps le malaise s'était dissipé. Que la douleur d'hier avait fini par s'apaiser. Entre-temps, éternelle consolation, elle en avait fait une chanson.

Cet enfant-là
Lui ressemble
Il a d'elle
Je ne sais quoi
(...)
Cet enfant-là
N'a rien de moi
Mais vous ressemble. (5)

(1) Quotidien pluriel, France-Inter, 1er, 2 et 3 janvier 1987.

(2) Elle, 19 novembre 1964.

(3) Paroles et Musique, dossier Barbara, (propos recueillis par Richard Cannavo), février 1990.

(4) Elle, 27 avril 1992.

(5) Cet enfant-là (Barbara / Barbara-Roland Romanelli), Famille Barbara, 1981. La chanson était annoncée pour le spectacle des Variétés en 1974. Elle fut créée un an plus tard, à Bobino.

Nous contacter

Veuillez entrer votre nom.
Veuillez entrer un sujet.
Veuillez entrer un message.
Veuillez vérifier le captcha pour prouver que vous n'êtes pas un robot.