LA GLOIRE
Paroles | Pierre Seghers | |
Musique | Bernard Lavilliers et Fred Pallem | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 2017 |
Le vingt-et-unième album de Lavilliers, Acoustique (2014), étant une compilation de quatorze de ses chansons réorchestrées pour l'occasion, l'œuvre originale de l'auteur se poursuit avec son vingt-deuxième opus, 5 minutes au paradis, en rupture avec les précédents par un retour à un son rock plus violent et une combativité retrouvée après le ton souvent désabusé de Baron samedi. Les cordes y sont cependant tout aussi présentes, et le disque commence également par la mise en chanson d'un poème, La gloire de Pierre Seghers, un brûlot antimilitariste ("Bardé de cuir, casqué de fer / Fusilleur Honneur de la race / Que rien ne repousse où tu passes / Mon soldat, Mon fils de l'enfer") et anticolonialiste ("Va de l'Equateur aux Tropiques / Arracher le bonheur des yeux / Va, mon fils, va, tu civilises") écrit en 1957 pendant la guerre d'Algérie, un texte dont la chanson respecte les trois strophes à la lettre, bissant seulement la deuxième en guise de conclusion et qui tranche avec la fascination pour les militaires à laquelle Lavilliers a parfois succombé (ex.Seigneur de guerre ; Chiens de guerre).
COLONISATION ET CIVILISATION
(Discours devant l'Assemblée nationale ; Jules Ferry ; 28 juillet 1885)
Jules Ferry. Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question.
Sur ce point, l’honorable Monsieur Camille Pelletan raille beaucoup, avec l’esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne et il dit : Qu’est-ce que c’est que cette civilisation qu’on impose à coups de canon ? Qu’est-ce sinon qu’une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de races inférieures n’ont pas autant de droits que vous ? Est-ce qu’elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce qu’elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré ; vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas.
Voilà, messieurs, la thèse ; je n’hésite pas à dire que ce n’est pas de la politique, cela, ni de l’histoire : c’est de la métaphysique politique… (Ah ! ah ! à l’extrême gauche)
Voix à gauche. Parfaitement !
Jules Ferry. Et je vous défie - permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu’au bout votre thèse, qui repose sur l’égalité, la liberté, l’indépendance des races inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu’au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges Périn, le partisan de l’expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce. […]
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… (Rumeurs sur plusieurs bancs à l’extrême gauche)
Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme !
De Guilloutet. C’est la justification de l’esclavage et de la traite des nègres !
Jules Ferry. Si l’honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l’homme a été écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas ! (Interruptions à l’extrême gauche et à droite - Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche)
Raoul Duval. Nous ne voulons pas le leur imposer ! C’est vous qui les leur imposez !
Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes !
Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés !
Jules Ferry. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation sur les mêmes bancs à gauche - Nouvelles interruptions à l’extrême gauche et à droite)
Joseph Fabre. C’est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l’abdication des principes de 1789 et de 1848… (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice.
Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d’en user ! (Bruit)
Le président. N’interrompez pas, M. Vernhes !
Jules Ferry. Je dis que les races supérieures…
Vernhes. Protégez les missionnaires alors ! (Très bien ! à droite)
Voix à gauche. N’interrompez donc pas !
Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs…
Vernhes. Allons donc !
Jules Ferry. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation.
Paul Bert. La France l’a toujours fait !
Jules Ferry. Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus de vertus sociales dans l’Afrique du nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions œuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l’Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l’histoire de cette conquête, il y a aujourd’hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d’ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu’auparavant ?
Clémenceau. C’est très douteux !
Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke !
Jules Ferry. Est-ce qu’il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l’Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s’est imposée, que l’Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire en droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n’est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l’esclavage, cette infamie. (Vives marques d’approbation sur divers bancs).