BALÈZE

Paroles Bernard Lavilliers et Guizmo
Musique Bernard Lavilliers
Interprètes Bernard Lavilliers et Tryo
Année 2008

Lavilliers réutilise le reggae de Troisième monde / Nord-Sud pour une chanson bonus en duo avec le groupe Tryo d'abord publiée sur le DVD de la version collector de Samedi soir à Beyrouth puis intégrée à l'album lors de ses rééditions, le tout pour un éloge douteux du très controversé Hugo Chavez.

LE SIÈCLE DES POPULISTES
(L'Histoire n°322 ; Olivier Dabène ; juillet-août 2007)

Le mot n'est pas né en Amérique latine, mais c'est bien là, dans les années 1930, qu'a été inventée cette forme politique. Un courant qu'incarne aujourd'hui Hugo Chavez. Le continent est-il condamné au populisme ?

Pour de nombreux observateurs, les réélections, à l'automne 2006, d'Hugo Chavez à la présidence du Venezuela et de Lula au Brésil ont consacré le retour des populistes en Amérique latine. Ailleurs, de la Colombie (Alvaro Uribe) à l'Équateur (Rafael Correa), et du Pérou (Alan Garcia) au Nicaragua (Daniel Ortega), la vague d'élections de l'année 2006 a porté au pouvoir nombre de dirigeants qui ont été qualifiés de « néopopulistes ». Nestor Kirchner en Argentine les avait précédés en 2003.

Le qualificatif ne mériterait pas une attention particulière s'il ne faisait que trahir la fascination des observateurs pour les leaders latino-américains dotés d'un certain charisme et la raillerie d'une démagogie toute tropicale.

L'Amérique latine n'a-t-elle pas toujours été la terre d'élection des populistes ? Son histoire mouvementée a bien souvent été écrite à partir des faits et gestes de personnages truculents, capables de susciter l'adhésion de foules subjuguées. La gouaille de ces dirigeants n'avait d'égal que leur mépris pour la politique et les mécanismes démocratiques. Le désespoir engendré par la pauvreté et les inégalités constituait un terreau favorable à l'émergence d'hommes investis de vertus providentielles. Le XXe siècle ne serait plus alors qu'une longue chronique d'avatars populistes, depuis les « authentiques » des années 1930, jusqu'aux « néos » du début du XXIe.

L'Amérique latine n'est pas le berceau du populisme, né chez les petits bourgeois russes ou les fermiers américains du XIXe siècle. Mais elle a bel et bien inventé ce que le spécialiste de sciences politiques Guy Hermet appelle un populisme « consolidé » (1), chaque pays et chaque époque ayant engendré des figures originales. Le populisme, qu'il définit comme un style politique niant la temporalité « normale » de l'action politique, promettant « tout et tout de suite », est susceptible d'apparaître partout et à tout moment.

Historiquement, on peut tenir le populisme en Amérique latine pour caractéristique d'une période précise, celle des années 1930, moment où surgit la question sociale avec une acuité toute particulière et où s'épuisent à la fois un modèle de développement économique et un certain ordre politique. Le populisme prend alors la forme d'un mouvement anti-élitiste, mené par un leader charismatique qui cherche l'adhésion du peuple des villes et des masses ouvrières. Une clientèle urbaine dont les acclamations, écrit Guy Hermet, « créent l'illusion de l'appui de l'ensemble de la nation » (2).

En Amérique latine, la crise de 1929 sert en effet de catalyseur à l'écroulement de l'ordre politique issu des indépendances et fondé sur une oligarchie. La question sociale fait irruption sur la scène politique. L'exclusion de la vie politique des catégories les plus défavorisées n'est plus tenable. Selon la formule du sociologue Alain Touraine, le populisme est « une tentative de contrôle antiélitiste du changement social » (3).

Il se traduit de diverses manières. En Colombie, le parti libéral cherche à mobiliser les masses à de simples fins électorales. Au Venezuela, le parti d'opposition oriente son discours en direction des paysans (4). Mais c'est l'Estado novo mis en place par Getulio Vargas, au Brésil, entre 1937 et 1945, qui signe la naissance véritable du populisme.

Ce grand éleveur de bétail du sud du pays parvient au pouvoir en 1930 à l'issue d'un coup d'État (la « révolution de 1930 » selon la terminologie officielle) qui met un terme à la république oligarchique. Le régime populiste qu'il va instaurer se fonde sur l'encadrement du mouvement ouvrier qui deviendra le cœur de sa clientèle politique. Vargas procède par étapes. Face à l'influence grandissante des communistes sur les syndicats brésiliens, il crée un ministère du Travail et fait approuver une nouvelle législation soumettant la reconnaissance des syndicats à de strictes conditions concernant leur idéologie.

Après une révolte communiste avortée en 1935 et surtout une tentative de coup d'État en 1937, il fonde l'Estado novo. Il s'agit d'un régime corporatiste directement inspiré du fascisme italien. Tout un appareil législatif et réglementaire permet à l'État de contrôler totalement le mouvement ouvrier. L'affiliation à un syndicat, sans être obligatoire, est nécessaire pour bénéficier de prestations sociales. Les adhérents passent de 180 000 en 1930 à 475 000 en 1945. Mais, pour l'immense majorité des paysans sans terre, rien ne change.

Dans le même temps, Vargas supprime le Parlement et interdit tous les partis. Cette incorporation directe « par le haut », par l'État, sans l'aide d'aucun parti politique, est exceptionnelle, et sa réussite ne l'est pas moins. Il est cependant renversé en octobre 1945 par un putsch militaire.

Autre expérience majeure : l'Argentine. Le régime mis en place par Juan Peron dans les années 1940 incarne à tout jamais l'archétype du populisme.

L'Argentine a connu depuis le début du XXe siècle une période de vive mobilisation : révoltes étudiantes (à Cordoba en 1918), ouvrières (« semaine tragique » qui entraîne la mort de plus de 200 ouvriers en 1919). Parallèlement, le pays s'est démocratisé (suffrage universel en 1912) et s'est réformé (interdiction du travail des enfants, salaire minimum). Toutefois, le modèle économique fondé sur l'exportation de produits agricoles, s'il engendre la prospérité, creuse aussi les inégalités ; l'industrialisation qui s'accélère pendant et après la Première Guerre mondiale fait naître une masse d'ouvriers vivant dans la précarité.

Les années 1930 sont une période de crise économique et de montée en puissance du mouvement ouvrier, sous la direction de la Confédération générale du travail (CGT) fondée en 1930. L'emprise croissante du communisme sur le mouvement syndical dans les années 1941-1942 provoque une union sacrée des autres syndicalistes, de l'armée et du patronat, créant des conditions favorables pour un coup d'État en 1943. Les militaires qui prennent le pouvoir commencent par dissoudre le Parlement et interdisent les partis politiques. Le nouveau ministre du Travail, Juan Domingo Peron, entreprend de mettre en place un système corporatiste influencé par le modèle fasciste européen.

Le 7 juin 1944, il est vice-président. Mais, compromis par son attitude favorable aux puissances de l'Axe, il devient l'homme à abattre. Le 9 octobre 1945, il est relevé de ses fonctions par une fraction de l'armée. Huit jours plus tard, le 17 octobre, une immense foule d'ouvriers et de laissés-pour-compte envahit la place de Mai à Buenos Aires pour réclamer la réintégration de Peron au gouvernement. Cette manifestation de masse devient le mythe fondateur du péronisme.

Grâce à ses discours enflammés, Peron a su se construire une clientèle fidèle. C'est elle qui lui permet, le 24 février 1946, de remporter facilement l'élection présidentielle, en dépit d'une campagne ostensible des États-Unis contre lui. Peron se fait le porte-parole des descamisados, ces travailleurs en maillot de corps, et prône la justice sociale (d'où le nom de « justicialisme » donné à cette force politique qui lui a survécu) afin de consolider l'homogénéité de ce qu'il qualifie de « communauté ».

Pour réaliser son projet, il compte sur des politiques redistributives, sur des nationalisations (banques, chemins de fer, pétrole, téléphone...) et sur la création d'emplois dans l'industrie nationale, stimulée par des mesures protectionnistes. Les droits du travailleur sont présentés comme prioritaires, en particulier l'extension de la couverture sociale. Le nombre d'Argentins assurés atteint 5 millions, soit près de 70 % de la population active. La syndicalisation progresse rapidement, passant de 900 000 affiliés en 1946 à 2,5 millions en 1954. Le ministère du Travail et des Affaires sociales est placé entre les mains d'Eva Peron, la très populaire épouse du président.

Le péronisme peut ainsi se résumer à un modèle d'harmonie sociale et à une organisation corporatiste du travail ; à une mobilisation nationaliste reposant sur un projet de développement économique, susceptible de fournir des emplois et des avantages sociaux. Le tout servi par une rhétorique ouvriériste.

Mais les limites de ce populisme ne tardent pas à surgir. La Déclaration des droits du travailleur de 1947, incluse dans la Constitution de 1949, ne comprend pas le droit de grève. La liberté syndicale est toute relative ; la CGT se met au service de Peron à partir de 1950 et joue un rôle essentiel dans sa réélection en 1951. En dernière analyse, le péronisme est un marché de dupes : les classes populaires suivent un dirigeant charismatique et embrassent ses idées, mais ne perçoivent pas les bénéfices des politiques qu'il met en œuvre. La situation économique est catastrophique. Comme au Brésil, les grands propriétaires terriens restent maîtres du jeu et rien n'est fait pour l'immense majorité des paysans pauvres.

Dès 1951, l'armée tente de renverser Peron. Le mécontentement monte contre un régime devenu dictatorial, et la mort d'Evita Peron en 1952 enlève au dirigeant un précieux soutien. La loi sur le divorce de 1954 et les manifestations contre l'Église catholique, orchestrées par la présidence, heurtent les conservateurs et l'armée, soutenus par les États-Unis. Le 20 septembre 1955, un coup d'État militaire renverse Peron, qui trouve refuge au Paraguay, puis en Espagne.

Le populisme a su mobiliser, encadrer et politiser, mais, dans le même temps, a fait monter les attentes - jamais comblées. Les militaires argentins tenteront à plusieurs reprises de « dépolitiser » la société, en vain. L'héritage du populisme est durable.

De fait, Peron reviendra au pouvoir en Argentine en 1974-1976. S'agit-il encore de populisme ? C'est ce que prétendent certains économistes rapprochant le second épisode péroniste des expériences de Salvador Allende au Chili (1970-1973), Luis Echeverria au Mexique (1970-1976), Carlos Andres Perez au Venezuela (1974-1978), Alan Garcia au Pérou (1985-1990) ou José Sarney au Brésil (1985-1990) (5).

On reconnaîtrait dans ce cas le populisme à la mise en œuvre de grandes politiques économiques redistributives, faisant fi des équilibres macroéconomiques et débouchant sur une inflation galopante. Non content d'annuler les effets de la redistribution, il finit par rogner le pouvoir d'achat des catégories sociales les plus fragiles.

Le populisme n'est pas qu'une politique économique. Reste que toutes ces expériences des années 1970-1980 ont un contexte commun : la coïncidence d'une crise économique lourde (la « crise de la dette » des années 1980) et des bouleversements liés à une transition cahoteuse vers la démocratie.

L'équation que doivent résoudre les dirigeants démocrates qui parviennent alors au pouvoir est à une inconnue : comment consolider un régime démocratique qui appauvrit la population et creuse les inégalités ? Comme dans les années 1930, les gouvernements font face à une question sociale qu'ils doivent traiter avec prudence mais urgence, au risque de remettre en cause les démocratisations. Mais, à la différence des années 1930, aucun dirigeant n'est en mesure de mobiliser « les masses ».

C'est finalement dans les années 1990 qu'on assiste à la résurgence du phénomène, avec toutefois des traits nouveaux qui justifient le terme de « néopopulisme ». Elle s'explique par l'usure rapide des classes politiques face à une crise économique doublée d'une crise sociale. Les réformes économiques libérales adoptées dans les années 1990 sur les recommandations du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (dérégulations, privatisations, austérité fiscale) ont un coût social très élevé, suscitant une vive déception. Les partis politiques qui se succèdent au pouvoir rivalisent d'impuissance et sont l'objet de rejet. La masse des déçus de la démocratie constitue une clientèle électorale à prendre.

Surgissent alors des leaders en dehors des partis politiques, qui s'emploient avec succès à construire leur notoriété en brodant sur le registre de « l'antipolitique ». Ces « outsiders » constituent les premières figures du néopopulisme.

Alberto Fujimori, au Pérou, en est le modèle achevé. Élu président en 1990 sans appui partisan et pratiquement sans discours politique, cet obscur recteur d'université d'origine japonaise fait rapidement dériver le pays vers un régime autoritaire. Au motif que les rouages de la vie démocratique handicapent l'efficacité de son action contre la guérilla du Sentier lumineux, il procède en 1992 à une dissolution de l'Assemblée et du pouvoir judiciaire qui lui laisse les coudées franches. Cette manœuvre, qualifiée d'autogolpe (« autocoup d'État »), est miraculeusement récompensée par l'arrestation rapide du chef historique du Sentier lumineux. En 1995, le peuple manifeste son soutien à son président en le réélisant largement.

Fujimori incarne un populisme autoritaire d'un type nouveau : à la différence de ses prédécesseurs, il fait un usage très parcimonieux de la parole, considérant que ses actes parlent d'eux-mêmes. Fujimori passe maître dans l'art de la mise en scène de l'action politique. Pendant dix ans, il ne se passe pas une semaine sans qu'il n'inaugure une école ou un dispensaire dans une zone montagneuse éloignée, vêtu du poncho traditionnel de la région. Les caméras de télévision sont fidèles au rendez-vous pour relayer cette théâtralisation d'un président en action.

Dans les années 1990, nombreux sont les hommes politiques qui savent faire leur miel du rejet du politique. Certains parviennent jusqu'à la présidence de la République, comme l'ancien pasteur évangélique Jorge Serrano au Guatemala en 1991.

Le bilan de ces expériences n'est guère reluisant. Même si ces outsiders ont canalisé la déception des électorats populaires en se présentant comme les porte-parole des plus modestes, ils n'ont en général guère tenu leurs promesses et ont ainsi accru davantage encore la frustration de leurs soutiens.

L'échec est d'abord économique, les politiques menées ayant amplifié le divorce avec les classes populaires. Après avoir fait campagne en 1990 sur le refus des mesures d'ajustement recommandées par le FMI, Fujimori les met brutalement en œuvre quelques semaines après son entrée en fonction (Fujichoc). Il tente de soulager la misère grâce à un Fonds de compensation et développement social (Foncodes) - qui lui sert surtout à récompenser les loyautés politiques. D'une manière générale, aucun de ces dirigeants ne peut se vanter d'avoir fait preuve d'efficacité en matière économique et sociale. Leur préoccupation essentielle semble avoir été d'entretenir leur clientèle électorale parmi les catégories défavorisées.

Un autre argument de ces tribuns était une probité qui devait trancher radicalement avec la vénalité des hommes politiques traditionnels. Dans ce domaine aussi, les déceptions ont été grandes. Fujimori, toujours lui, a été convaincu de corruption à grande échelle. Les multiples scandales qui ont entaché sa présidence ont eu raison de sa tentative pour se faire réélire en 2000.

Depuis le début des années 2000, l'Amérique latine s'interroge sur le modèle de développement qu'elle doit adopter, au sortir d'une décennie de réformes néolibérales qui s'est soldée par un coût social exorbitant. L'Argentine, en particulier, a connu la plus grave crise économique de son histoire depuis 1929 : la faillite du pays a entraîné un appauvrissement généralisé. La forte mobilisation sociale, repérable tout particulièrement dans les Andes, nourrit une nouvelle instabilité politique. Entre 2000 et 2005, plusieurs présidents ont été renversés par « la rue », notamment en Équateur (deux fois) et en Bolivie (deux fois aussi) (6). Dans ce contexte, déçus par les « outsiders », après l'avoir été par les classes politiques traditionnelles, les Latino-Américains explorent depuis le début des années 2000 un populisme aux traits originaux.

Les leaders, d'abord, ont des profils nouveaux. L'élection de Luiz Inacio Lula da Silva (dit Lula) au Brésil en 2002 est en ce sens une vraie innovation. Au pays des inégalités, où, historiquement, le pouvoir est confisqué par les classes aisées des régions riches du sud et du sud-est du pays, la victoire de cet ancien ouvrier métallurgiste, dirigeant syndical originaire du Nord-Est pauvre, marque une rupture. De même, en Bolivie, l'élection à la présidence d'Evo Morales en décembre 2005 est inédite : pour la première fois en cinq cents ans d'histoire un leader d'origine indienne, de surcroît dirigeant d'un syndicat de producteurs de feuilles de coca, arrive au pouvoir.

L'autre nouveauté, c'est que ce néopopulisme a partie liée avec la gauche, jusque-là tenue à l'écart des plus hautes responsabilités. La victoire de Lula (Parti des travailleurs, PT) au Brésil a suscité un immense espoir dans le continent. Hugo Chavez l'avait précédé en lançant au Venezuela dès 1998 sa « révolution bolivarienne ». Le « virage à gauche » de l'Amérique latine a été confirmé par toutes les élections depuis lors.

Certes, cette gauche n'est guère homogène et il existe plus de différences que de ressemblances entre la gauche radicale, incarnée par Hugo Chavez, et la gauche modérée de Michelle Bachelet. Tous ces dirigeants n'en partagent pas moins la conviction que l'État doit jouer un rôle de régulateur vis-à-vis du marché, et se montrer interventionniste dans le traitement de la question sociale.

Mais, et c'est là une nouveauté par rapport aux expériences des années 1970, ces gouvernements de gauche, qui mettent en œuvre des politiques redistributives en faveur des couches défavorisées, respectent les grands équilibres macroéconomiques budget, balance extérieure... et évitent les dérives inflationnistes.

Au Brésil, Lula lance la plus grande politique de redistribution de l'histoire du pays et du monde, avec en 2006 plus de 11 millions de familles concernées par le programme « bourse famille » (7). Hugo Chavez, de son côté, met en œuvre de coûteuses « missions » en matière d'éducation ou de santé publique, qu'il finance grâce à sa rente pétrolière.

Dans tous les cas, ces programmes sont souvent qualifiés d'« assistancialistes » et sont suspectés de porter le clientélisme à grande échelle. Force est toutefois de reconnaître, au moins dans le cas du Brésil, que, pour la première fois de son histoire, ce pays parvient depuis 2004 à faire baisser à la fois les niveaux de pauvreté et d'inégalité.

Cet apprentissage de la dure loi des équilibres économiques n'exclut pas les résurgences d'un style politique qui résiste mal aux dérives démagogiques. Les campagnes électorales s'apparentent souvent à des surenchères de promesses inconsidérées.

En 2002 déjà, Lula au Brésil avait suscité de folles espérances en évoquant l'éradication de la faim (programme « faim zéro » rapidement abandonné), le doublement du salaire minimum ou encore le lancement d'une vaste réforme agraire. Il avait beau préciser que ses marges de manœuvre seraient étroites, la déception fut rapidement au rendez-vous lorsqu'il choisit de se convertir au « réalisme ».

Mais c'est au Venezuela que le néopopulisme a pris une forme emblématique, avec Hugo Chavez. Celui-ci donne à voir à la télévision un contact direct avec son peuple, grâce à son émission « Alo presidente » (8). Tous les dimanches après-midi, depuis un petit village de province, entouré des ministres concernés par les activités de la région, le président répond pendant cinq heures aux questions du public. Il lui arrive souvent de féliciter et de faire applaudir des citoyens méritants et de remercier ses concitoyens qui lui envoient des cadeaux, ou à l'inverse de tancer, voire de limoger, en direct un ministre. Il commente l'actualité internationale, réfléchit à voix haute aux grandes lignes du « socialisme du XXIe siècle », mais il peut tout aussi bien donner son avis sur des matchs de baseball ou plaisanter, ou encore chanter.

Parmi les présidents latino-américains actuels, Alvaro Uribe, en Colombie, a lui aussi pris l'habitude de se mettre en scène, entouré de ministres, dans des réunions avec un public dont il prend le pouls. Il lui arrive aussi de dénoncer en direct la politique de membres de son gouvernement. Mais Hugo Chavez reste certainement le meilleur « communicant » d'Amérique latine.

Dans les années 1930 comme aujourd'hui, le populisme est la solution choisie par les sociétés latino-américaines à des situations de graves crises économiques et sociales. Davantage : il est le produit de sociétés démocratiques encore profondément inégalitaires que les classes politiques traditionnelles n'ont pas su réformer.

(2) Ibid. , p. 227.

(3) A. Touraine, La Parole et le Sang. Politique et société en Amérique latine, Odile Jacob, 1988, p. 165.

(4) R. et D. Collier, Shaping the Political Arena, Princeton University Press, 1991.

(5) Cf. R. Dornbusch, S. Edwards dir., Macroeconomia del populismo en la América latina, Fondo de cultura economica, 1992.

(6) En 2006, la déception et la colère restent palpables alors même que la situation économique du continent est très favorable : selon la Cepal, le Produit intérieur brut (PIB) par habitant a progressé de 16 % dans la région entre 2003 et 2007, après avoir stagné pendant vingt ans (Cepal, Balance preliminar de las economias de America latina y el Caribe 2006).

(7) Introduit en 2003, la « bourse famille » fédère cinq programmes d'aide préexistants. L'aide est versée à la mère, jugée plus encline à le dépenser pour ses enfants. En échange, elle doit les scolariser et les vacciner.

(8) Voir www.alopresidente.gob.ve

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