DISTINGUÉ
Paroles | Bernard Lavilliers | |
Musique | Jehro | |
Interprète | Bernard Lavilliers | |
Année | 2008 |
Si le rêve "d'abolir les frontières" par la musique se heurte à la violence du pouvoir économique ("Pris dans la machine, où sont tes rêves, tes évasions ?") et politique ("Mais la main du pouvoir se serre dans le velours noir"), Distingué incite les "foules indociles" à continuer la lutte, tout autant que Lavilliers s'y incite lui-même à continuer à "ensoleiller les imaginations" par ses chansons, sans céder au découragement qui guettait dans Solitaire.
NUITS DE CHAMPAGNE ET LORRAINE DE CŒUR
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)
Ecrire et composer, enregistrer, accomplir l'indispensable travail de promotion, tourner puis voyager et à nouveau tout recommencer, on serait vite gagné de routine. Pas Nanar qui se permet à présent de multiplier des initiatives et expériences souvent peu communes.
Ainsi cette vingt-et-unième édition des Nuits de Champagne, à Troyes, qui invite Lavilliers pour le célébrer à son tour, par une programmation que le Stéphanois suggère en grande partie (Magyd Cherfi, Bonga, Raul Paz, Roda da Cavaco, Horace Andy...) et presque supervise, se prenant au jeu avec une rare délectation : « C'est la première fois qu'on me donne l'occasion de programmer à quatre-vingts pour cent sept jours de festival. J'ai souhaité inviter des artistes d'un peu tous les continents, des Sud-Américains, des Capverdiens, des Jamaïquains, un Cubain, un Angolais. J'ai ramené toutes les musiques qui m'ont influencé. Ça groove ! » (1) Où il intervient parfois, se joignant à Tryo pour reprendre avec eux le Balèze de son dernier album puis retrouvant Mino Cinelu qui étrenne ses chansons sur scène... Et pour s'inscrire dans le traditionnel et magistral Grand Choral, tout invité d'honneur qu'il est. Qui ne connaît la capitale auboise ne peut connaître le Grand Choral, ne peut même se l'imaginer. C'est un mur vivant qui vous laisse sans voix. Il y en a pourtant près de mille, à explorer l'œuvre chantée d'un artiste. La participation de Lavilliers y était écrite depuis longtemps : elle s'accomplit enfin. De Pigalle la blanche à Stand the ghetto, les choristes revisitent, en live, ses plus mémorables chansons. Avec parfois le renfort des chanteurs Thomas Pitiot et Balbino Medellin. Et celle, au final et sur trois titres (Noir en Blanc, Petit et On the road again), de Bernard lui-même. On ne peut guère s'imaginer la puissance, l'émotion d'un tel événement, quand d'autant de voix s'élance le chant d'un artiste de cette trempe. Effluves portoricaines, rivages brésiliens, jungle amazonienne, épaves d'usines, zones interlopes, silences d'écrou, malédiction du voyageur et mystères de la femme... l'univers Lavilliers tonne à pleine puissance par mille voix, mille cœurs, une âme. Précédemment, au tout début de cette semaine festivalière, huit cents collégiens s'étaient mis eux aussi en bouche les chansons de l'artiste aventurier, sans grande difficulté d'ailleurs, preuve s'il en est que le répertoire du Stéphanois est à jamais inscrit dans la mémoire du temps présent : « Pour moi, la chorale, c'est le symbole de la solidarité. Toutes ces voix réunies, c'est puissant, magnifique », commente Bernard, enthousiaste. tant qu'il récidivera un an après, au Galaxie d'Amnéville, en Moselle, pour Lorraine de cœur : deux mille choristes lorrains interprétant, avec les artistes tous présents, des chansons d'I Muvrini, Laurent Voulzy, Emmanuel Moire, Joanna et Picolo. Et de notre Lavilliers. Le leur plutôt, dans cette part lorraine de Nanar, indéfectible attachement, incroyable identification d'un homme à une région meurtrie, où chaque jour le travail recule plus encore. C'est dire quand ce chœur-là rependra le « J'voudrais travailler encore... » des Mains d'or, ce sera incroyable osmose, rencontre grandeur nature entre l'implacable destin d'un bassin ouvrier et quelques couplets, un refrain, qui font immense résonance. Exceptionnel ! Le qualificatif d'impressionnant est dépassé : c'est dans l'indicible émotion qu'il faudra alors puiser son vocabulaire pour narrer ce moment.
(1) L'Humanité, 31 octobre 2008, propos recueillis par Victor Hache.