TROISIÈMES COUTEAUX

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers et Georges Baux
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1994

Retour au rock, mais aussi à l'Amérique latine, avec Champs du possible, le quatorzième album de Lavilliers, tout aussi entaché d'emprunts inavoués que le précédent (Solo). L'opus commence par Troisièmes couteaux, en partie parlée et dotée de deux refrains qui parodient Mon légionnaire de façon savoureuse, premier volet d'un diptyque qui dresse un Etat des lieux du monde à "quelques heures" de "l'an 2000". Le bilan est aussi noir que dans Big brother et Faits divers, Lavilliers fustigeant les méfaits du libéralisme sauvage ("Ils prennent, ils se gavent, ils se tuent") et terminant sur une affirmation sans équivoque : "C'est le règne des troisièmes couteaux" ("consultants ambigus / Des hydres multinationales", mais aussi "Poules de luxe, hommes de paille / Requins, banquiers, simples canailles").

SCANDALES FINANCIERS AU VATICAN
(L'Histoire n°241 ; Jean-Luc Pouthier ; mars 2000)

L'affaire a défrayé la chronique en 1981. Quelles étaient les relations entre la banque du Vatican et le Banco Ambrosiano, en faillite à Milan ? Quel était le rôle du mystérieux Mgr Marcinkus ? Pour le comprendre, il faut remonter aux sources du financement de l'État pontifical.

Les comptes en banque du Vatican produisent davantage de fantasmes que d'intérêts. Prélats douteux, hommes d'affaires véreux, crimes crapuleux... Ces ingrédients d'un mauvais scénario viennent à l'esprit dès que l'on évoque les finances de la papauté. Cette suspicion est sans doute renforcée par le décalage entre la richesse supposée de l'Église catholique à son sommet et l'exigence évangélique de pauvreté qu'elle enseigne. Et l'histoire récente de l'Église n'a guère contribué à assurer la transparence de ses ressources et de ses dépenses.

Les ressources du Saint-Siège : timbres, dons et portefeuille

Le Vatican actuel est le minuscule successeur des États pontificaux, dont les papes furent les souverains, du Moyen Age jusqu'en 1870. Il a été créé par le traité signé en 1929 par le représentant du pape Pie XI et par le gouvernement de Mussolini. Comme tout État, la Cité du Vatican dispose d'une administration et d'une force armée, la Garde suisse. Son budget est en général équilibré, les principales recettes provenant de la visite des musées et des activités philatéliques.

Il va de soi, cependant, que le « gouvernement » central de l'Église ne se résume pas à la gestion des 43,5 hectares du Vatican, de ses jardins et de sa bibliothèque. Ce qu'il est convenu d'appeler le Saint-Siège regroupe tous les services de l'Église catholique romaine, de la Curie aux activités de communication, comme Radio Vatican et le quotidien l'Osservatore Romano. Depuis le concile de Vatican II (1962-1965), ces services se sont multipliés, avec la création de nouveaux secrétariats chargés des contacts avec les autres confessions ou le développement de l'activité des laïcs, sans oublier les voyages pontificaux.

Or les ressources du Saint-Siège proviennent pour l'essentiel des produits financiers d'une dotation de 1,75 milliard de lires versée en 1929 par l'Italie en dédommagement de la perte des États pontificaux. A cela s'ajoutent les versements des ordres religieux ou des Églises locales, ainsi que le « denier de saint Pierre », une quête organisée chaque année dans toutes les églises du monde qui fut instituée en 1870 à l'initiative des catholiques français. Ceux-ci étaient soucieux de venir en aide au pape, « prisonnier du Vatican » et privé de revenus. Aujourd'hui, le denier rapporte un peu plus de 300 millions de francs par an.

Après vingt-trois années de déficit, dû pour l'essentiel à l'accroissement des coûts de structure (Curie, nonciatures, secrétariat général du synode des évêques), les Églises locales ont été fermement invitées à mettre la main à la poche, et l'Administration du patrimoine du siège apostolique, qui assure la gestion financière du Saint-Siège, a remis de l'ordre dans les comptes. Depuis 1994, elle présente un budget en équilibre ou en excédent — même si la baisse de la rentabilité du portefeuille financier nourrit toujours quelques inquiétudes : il s'élevait à 318 millions de francs en 1998 contre 411 millions en 1997, sur un montant global de recettes de 1 147 millions de francs, soit moins du dixième du budget du ministère de la Culture en France.

Reste l'Institut des œuvres de religion, l'IOR, la fameuse « banque du Vatican » par laquelle le scandale est arrivé. Créé par Léon XIII en 1887, cet organisme avait à l'origine pour mission d'administrer les biens mobiliers et immobiliers issus des anciens États pontificaux des palais à Rome aussi bien que des exploitations agricoles dans le Latium, et toujours propriété du Saint-Siège, ainsi que les dons et legs qui pourraient lui être faits. Dotée par Pie XII de la personnalité juridique en 1942, cette institution financière s'est comportée dans les années 1970 comme une véritable banque d'investissement, alors qu'elle avait à sa tête un prélat américain haut en couleur, Mgr Marcinkus.

Ce colosse d'origine lituanienne, travailleur et énergique, avait été remarqué par Paul VI, qui en avait fait l'organisateur des voyages pontificaux et le responsable de sa garde rapprochée. En 1970, à Manille, Mgr Marcinkus protège le pape, qu'un détraqué tente de poignarder.

Nommé président de l'IOR en 1971, il accorde sa confiance à un avocat sicilien plus que douteux, Michele Sindona, qui l'initie aux mystères des circuits financiers internationaux. L'IOR, qui bénéficie des avantages fiscaux accordés au Saint-Siège par le traité du Latran, et qui n'est pas soumis au contrôle des changes, devient alors un relais pour toutes sortes d'activités frauduleuses, en particulier l'évasion de capitaux vers le Luxembourg, le Liechtenstein ou les Bahamas, que révèle le krach du Banco Ambrosiano, en 1981.

Monseigneur Marcinkus ne sera pas extradé

Depuis plusieurs années, cette banque milanaise catholique, présidée par Roberto Calvi, était étroitement associée aux activités de l'IOR. Jusqu'à la découverte de ses escroqueries... et du cadavre de Roberto Calvi, pendu à un pont de Londres. Les enquêtes ouvertes alors n'aboutiront jamais à l'audition de Mgr Marcinkus, qu'il aurait fallu extrader du Vatican ! Bien que Jean-Paul II ait refusé de reconnaître l'implication de l'IOR, l'État pontifical versera tout de même une « contribution » de 240 millions de dollars pour dédommager les créanciers sur une ardoise de 1,3 milliard de dollars, et Mgr Marcinkus ne quittera ses fonctions qu'en 1989.

Avait-il été trop naïf, ou fasciné par un certain monde louche de la finance internationale ? Avait-il avant tout pour souci de combler le déficit chronique des finances du Saint-Siège ? S'était-il acquis la bienveillance de Jean-Paul II en organisant un transfert d'argent vers le syndicat polonais Solidarité à travers diverses sociétés écrans ? Autant de questions auxquelles les historiens répondront peut-être un jour. Il leur manquera néanmoins le témoignage de Michele Sindona, découvert empoisonné dans sa cellule en 1986.

En 1990, Jean-Paul II a réorganisé les statuts de l'IOR, et nommé à son conseil d'administration cinq laïcs « au-dessus de tout soupçon », qui sont parvenus à restaurer à la fois les comptes et l'image de l'institution. En 1981, déjà, il avait créé un Conseil des cardinaux pour l'étude des problèmes organisationnels et économiques du Saint-Siège, composé de 15 membres (3 par continent) choisis en dehors de la Curie, et chargé d'introduire un peu de transparence dans la gestion des finances de la papauté. Les affaires de l'IOR ont montré qu'il restait encore en ce domaine un long chemin à parcourir.

Peu à peu pourtant, l'Église « modernise » sa gestion. Ce qui ne résout pas l'irréductible contradiction entre son organisation séculière et son message spirituel.

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