SOLEIL NOIR

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers, Pascal Arroyo et François Bréant
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1976 (inédit 1978)

Une chanson où Lavilliers présente en quelques mots, la plupart du temps parlés, les musiciens qui l'accompagnent sur scène, chacun se livrant tour à tour à un solo plus ou moins développé. Soleil noir existe depuis au moins 1976, mais elle ne figure que sur l'album live T'es vivant... ?, enregistré à l'Olympia en 1978, dont elle constitue le troisième inédit (dans l'ordre de l'album) et où elle atteint une durée (plus de douze minutes trente) qui en fait la plus longue chanson de l'auteur.

LAVILLIERS ET LA FORMATION DE SON GROUPE DE MUSICIENS
(Les vies liées de Lavilliers ; 2010; Editions Flammarion)

Pour l'heure et selon les opportunités de l'organisateur, [Lavilliers] se produit, en acoustique, tantôt en duo avec Mino et tantôt en trio avec le contrebassiste Bob Guérin. C'est ainsi qu'on le retrouve au Off d'Avignon, à guichet fermé, dans une petite salle. Face à son désir têtu de groupe mais aussi à de nouveaux titres qui appellent de toute évidence la musique électrique, la complicité entre le chanteur et son percussionniste se grippe quelque peu, s'estompe... Du reste, Mino Cinelu va bientôt rejoindre Gong, un groupe de rock progressif et de free jazz, qui se taille alors (entre autres avec Magma) un bon succès dans la contre-culture du moment ; avant de s'exiler aux Etats-Unis puis de connaître un avenir dont il n'oserait même pas rêver, au contact des plus grands : Miles Davis, Salif Keita, Sting, Joe Cocker, Weather Report, Peter Gabriel...

Il y aurait bien ces musiciens du groupe Nemo - le batteur Emmanuel Lacordaire, le pianiste François Bréant et le bassiste Pascal Arroyo, tous trois dans l'environnement du chanteur Mort Shuman -, croisés un an plus tôt au studio Ferber, lorsque Lavilliers enregistrait San Salvador. Mais ils semblent plus attirés par les sirènes du free rock auquel ils s'adonnent dans une posture expérimentale. Bernard a aussi remarqué un certain Dominique Mahut aux percussions. Mais le futur et génial « Docteur Mahut » - qui plus tard se partagera longtemps entre Lavilliers, Higelin et même Barbara - accompagne des cours de danse africaine...

Un soir où Nemo est en concert dans l'est de la France, Lavilliers et Martig se déplacent donc spécialement pour leur proposer de jouer ensemble. En vain dans l'immédiat, notamment par crainte, pour des musiciens aussi farouchement indépendants que ceux-ci, d'abdiquer tout ou partie de leur liberté, et donc de leur créativité. Le destin, cependant, va jouer sa propre partition : Nemo se dissout quelques mois plus tard. Et Manu Lacordaire, rencontré à nouveau par le plus grandes hasards, s'en va rejoindre notre héros, séduit par l'idée de pouvoir toucher aux percussions, lui qui était jusque-là cantonné à la seule batterie. Sur ses conseils, Bernard prend alors contact avec François Bréant. Une « très grande rencontre » pour le chanteur, à l'occasion de sa première fête de L'Huma : « Il arrive avec sa sacoche pleine d'idées. En plus, c'est un très bon mélodiste. » (1) Souvenirs de Bréant : « J'ai été d'emblée très impressionné car j'ai découvert sa capacité de manipuler la foule et de la mettre en nage. Une petite lumière s'est allumée dans ma tête et je me suis dit : attention vedette ! Je suis donc resté à ses côtés, d'autant que j'appréciais sa volonté de vouloir jouer coûte que coûte, quitte à se produire pour trois sous dans des conditions épouvantables. » (2) A la paire Bréant-Lacordaire s'adjoint vite Gérald Renard, bassiste réputé, longtemps musicien de Alpes (groupe indissociable de la chanteuse Catherine Ribeiro), un temps avec Higelin, se partageant désormais entre l'énigmatique autant qu'envoûtante Ribeiro et Bernard. C'est à chaque concert la fusion, la totale adhésion entre Lavilliers et ses musiciens. Pascal Arroyo ne les rejoindra qu'en 1977.

La fête de L'Humanité 1976 peut être considérée comme la première très grande scène de Lavilliers. Elle l'est à coup sûr pour le public présent. Certes, ce n'est pas encore la « grande scène », celle mythique et quasiment inaccessible, mais le kiosque, devant lequel s'agglutinent malgré tout plusieurs milliers de spectateurs, entassés, compressés mais heureux. Et ça devient énorme : Lavilliers surprend, séduit, impressionne la foule et, malin, fait durer le plaisir avec jubilation ! « Un concert c'est comme un acte d'amour. C'est  quelque chose de physique que tu ressens et que tu partages, avec les musiciens mais aussi avec le public. » (3) Bréant : « C'était très excitant d'être un des acteurs de son ascension. Les spectateurs, en permanente croissance, nous gratifiaient de triomphes. Le spectacle que Lavilliers présentait alors était en parfaite adéquation avec les attentes du public. Cette harmonie nous donnait des ailes et un sentiment d'invincibilité. Bernard était le chanteur performer qui nous avait toujours fait défaut et réciproquement. Nous étions le groupe qu'il lui fallait pour faire passer son écriture classique auprès d'un large public amateur de rythmes et d'électricité. » (4)

Tout vient en même temps à qui a su si longtemps attendre. Le mensuel Rock & Folk lui consacre six pleines pages. Ce n'est pourtant pas un de ses rock critics sûrs de leur fait qu'on dépêche auprès du Stéphanois mais le titulaire de la rubrique dédiée aux « fous du folk », Jacques Vassal, journaliste musical tout-terrain et grand spécialiste de la chanson. L'interview est longue qui grave dans le marbre la légende l'ex-prolo à la poursuite de son eldorado. Les retombées, elles, seront concrètes.

Après La Courneuve, Lavilliers enchaîne avec un autre rendez-vous d'importance dans la capitale : une semaine au théâtre de la Ville, dans un créneau horaire inhabituel, réservé à la chanson, de 18 h 30 à 19 h 30, avant le grand spectacle du soir, un ballet ou une pièce de théâtre, sans possibilité de dépassement. Lavilliers et ses musiciens débutent trente ou quarante minutes plus tôt, histoire de se chauffer, de commencer à « décoller » au fur et à mesure que les gens arrivent dans la salle, afin de pouvoir donner au plus vite le maximum dans l'heure impartie. Le chanteur est attendu, la salle chaque fois bondée mais le public des plus partagé, à l'image d'une presse souvent acerbe : « Toute une partie de la critique me descend, parce que je suis en débardeur de cuir et que ça ne plaît pas beaucoup là-bas. Et l'autre partie m'encense pour la même raison, mais aussi pour mes textes. » (5) Lavilliers est volontiers provocateur - ça lui donne l'assurance nécessaire - et rien ne le rassure tant que des gens qui le détestent ! Peut-on chanter Aragon en débardeur noir sur muscles luisants ?

Quoi qu'il en soir, ce théâtre de la Ville est aussi un rendez-vous qui compte dans sa carrière en raison de la présence sur scène, à ses côtés et pour la première fois, de Dominique Mahut : « J'ai appris que la batteur de Lavilliers cherchait un percussionniste. Je ne connaissais pas du tout Lavilliers, je n'écoutais absolument pas cette musique-là. J'ai donc débarqué un soir au théâtre de la Ville pour un concert où j'ai joué sans rien connaître du répertoire. Ça lui a plu et il m'a demandé de faire avec lui une série de concerts au théâtre-Fontaine. Ça a démarré comme ça, par accident. Quand je l'ai connu, je n'accrochais pas à son côté chanteur engagé que je trouvais déjà dépassé. Mais ce qui m'a séduit chez lui c'est son enthousiasme. Il sait vraiment emmener les gens dans du rêve. C'est une bête de scène. Et puis on s'est trouvé des points communs dans le goût du voyage, de l'exotisme, de la lecture aussi. On est devenus amis. » (6)

(1) Rock & Folk, 1976, propos recueillis par Jacques Vassal.

(2) Bernard Lavilliers, Escales, Flammarion 2005, propos recueillis par Gert-Peter Bruch.

(3) Rock & Folk, 1976, propos recueillis par Jacques Vassal.

(4) Propos de François Bréant sur son site http://www.francois-breant.com/

(5) Top-Stars spécial Lavilliers, 1986, propos rapportés par François Bensignor.

(6) rfi.fr, juin 2000, propos recueillis par Catherine Pouplain.

Nous contacter

Veuillez entrer votre nom.
Veuillez entrer un sujet.
Veuillez entrer un message.
Veuillez vérifier le captcha pour prouver que vous n'êtes pas un robot.