BRAZIL

Paroles Bernard Lavilliers
Musique Bernard Lavilliers
Interprète Bernard Lavilliers
Année 1972

Deuxième chanson de l'album Les poètes, après Tendresse, à se terminer par une coda, très longue cette fois (une minute), sans rapport avec la mélodie qui a précédé. Deuxième chanson aussi de l'album à emprunter aux rythmes brésiliens, mais, si La bossa cancanière, Eurasie et Tendresse s'étaient contentées jusque-là de ces emprunts, Brazil nous entraîne pour la première fois dans le pays des rêves de Lavilliers, pour une célébration de la samba en tant qu'âme des favelas où couve la "révolution".

LAVILLIERS DÉCOUVRE LE BRÉSIL
(Les vies liées de Lavilliers ; Michel Kemper ; 2010 ; Editions Flammarion)

Si, depuis les disques que son père écoutait à la maison, la musique brésilienne lui était quelque peu familière à l'oreille, Lavilliers découvre cette autre façon de chanter ce pays, par ses souffrances et ses joies, ses inquiétudes et ses espoirs, par le combat aussi des partisans de la liberté. Ça le renvoie tout autant à ses lectures passées et présentes, à tous les livres de Blaise Cendrars dont il raffole depuis longtemps. Pour Cendrars, « on n'a pas idée d'un pays pareil ». Lavilliers, lui, veut s'en faire une idée. Le voici qui passe des journées entières avec ses nouveaux amis brésiliens. A les écouter, à jouer avec eux, à discuter encore et toujours, à s’enquérir de ce pays grand comme un continent. Bernard veut tout savoir, s’en imprégner tant au niveau géographique qu’historique, politique, musical, humain… Il va dévorer tous les livres qu’il trouve sur le sujet, écouter tout ce qui est possible… Bernard se prend d’empathie pour ce pays, sa culture, ses habitants et leurs souffrances. Comme pour l’Espagne sous Franco, dont le Brésil tend à ravir la place dans son cœur et ses préoccupations. On ne s'étonnera pas, dès lors, que des notes brésiliennes et des mots inspirés s'insinuent dans l'œuvre de notre héros, commencent à la teinter. Dès son premier album, en 1968, le germe musical est déjà là, un peu par La bossa cancanière, à l'évidence par Eurasie, qui annoncent le répertoire nouveau. Sous les pavés, les plages du Brésil...

Ce sera plus vrai encore avec le deuxième album, en 1972, via La tendresse et Brazil 72 :

Pour aimer la samba
Il faut tendre sa peau
S'en servir de bongo.
(Brazil 72 - Bernard Lavilliers, 1972)

Lavilliers prendra l’habitude de rejoindre souvent Pierre Barouh (1) dans son antre de la Rue des Abbesses, à la fois studio, boutique et bureaux du jeune label Saravah créé à l’époque d’Un homme et une femme. Nanar lui raconte des trucs incroyables et, en retour sans doute, en apprend plus encore sur le Brésil. Car Barouh est un témoin privilégié de ce pays et de sa musique. Bien sûr il lui raconte l’enregistrement de cette Samba Saravah avec Baden Powell, sur l’unique piste d’un Revox, après une nuit sans sommeil. Il n’a de cesse de rappeler ce son un peu étripé et cette charge émotionnelle… Mais s’il parle à Lavilliers de la musique brésilienne, il l’entretient plus encore des auteurs de chansons qui sont derrière ces musiques, ceux qui, justement, sont les plus réprimés par la dictature que subit ce pays. Barouh est un témoin, un passeur, en aucun cas « l’apôtre de la bossa-nova » comme on le dit souvent. Bien au contraire, il encourage chacun à retrouver ses racines, là où il est.

Bizarrerie génétique ou confusion d’émotions, il semble de plus en plus à Bernard que ses racines viennent de là-bas… Par empathie, par capillarité, par osmose, il devient peu à peu « Lavillos », un Lavilliers « latino », aussi brésilien, plus même, qu’un habitant de Belém ou de Rio. « Quand tu aimes, il faut partir » affirme Cendrars. Il sait qu’il s’y rendra, dans ce pays qui enflamme son imaginaire. Il sait que ce sera alors comme un autre chez-lui. Mais y partir est un rêve qu’il faut sans cesse remettre aux calendes grecques : question finances, Bernard est pour l’heure cloué au sol, rivé au tarmac.

L’expression « protest-samba » du journaliste stéphanois Georges Rey, à propos de Lavilliers, aurait pu faire florès : « La première vague des auteurs guitaristes interprètes a fait ses classes sur des disques de Brassens. La seconde en traînant au mois d’août du côté de Liverpool. Bernard Lavilliers, lui, a trouvé sa voie en buvant des cognacs en compagnie d’exilés brésiliens. Avec ce 33 tours sorti il y a une quinzaine de jours chez Motors, il invente le protest-samba, coups de gueule et de cœur sur un tempo venu des favelas de Rio : « Je suis passionné par cette musique, la samba, qui, pour les Brésiliens, est la vraie musique, la bossa-nova n’est qu’un produit fabriqué pour l’exportation. Pour aimer la samba, il faut tendre sa peau et s’en faire des bongos » (2)

(1) Témoignage de Pierre Barouh, entretien avec l'auteur, décembre 2007.

(2) La Tribune-Le Progrès ; 18 avril 1972.

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