LA TONDUE

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1964

Une chanson qui suffirait presque à réconcilier Brassens et les féministes puisqu'elle s'en prend aux "braves sans-culottes" et aux "bonnets phrygiens" transformés en "coupeurs de cheveux en quatre" aux dépens des femmes soupçonnées de collaboration à la Libération. Avec une interrogation à la clé : s'il est juste de s'indigner devant de telles exactions, pourquoi Brassens n'a-t-il jamais eu un mot contre les crimes de Vichy ?

IMAGES DE FEMMES TONDUES
(L'Histoire n°179 ; Alain Brossat ; juillet-août 1994)

Des femmes désignées à la vindicte publique, tondues, violentées, tuées parfois... Tel est bien l'aspect le plus barbare de la libération du territoire. Un phénomène qui a fait des milliers de victimes, mais si gênant que les historiens l'ont longtemps passé sous silence.

Longtemps, les femmes tondues à la Libération ont été négligées par les historiens. Ce sont essentiellement des romans, des chroniques, des photographies, des films, des chansons qui en ont entretenu le souvenir. Citons pour mémoire, parmi tant d'autres, Le Quintette d'Avignon de Lawrence Durrell, Le Sourire du chat de François Maspero, les Carnets de Louis Guilloux, Hiroshima mon amour de Marguerite Duras et Alain Resnais, Le Vieil Homme et l'enfant de Claude Berri, la célèbre photo de Robert Capa, prise à Chartres au lendemain de la libération de la ville par les Américains, sans oublier La Belle qui couchait avec le roi de Prusse de Georges Brassens... Dans une historiographie guidée par la trame événementielle, politique et militaire, elles ne trouvaient leur place qu'en passant. Elles restaient pour ainsi dire innommables.

Et pourtant, on a tondu plusieurs milliers de femmes, des dizaines de milliers peut-être. Les recherches les plus récentes sur les tontes font apparaître que l'on a tondu dans les grandes villes comme dans les bourgades, dans les régions où le maquis avait durement affronté l'occupant et ses séides français, comme en Dordogne, et dans celles où la présence massive de ces derniers empêchait l'action de la Résistance, comme dans le Cotentin, dans les marches annexées par le IIIè Reich - que l'on a longtemps crues préservées de ce phénomène -, en Ardennes et en Alsace, par exemple, comme en Bretagne, dans les localités où de rudes affrontements avaient eu lieu entre les Alliés et la Wehrmacht comme dans d'autres où les Allemands s'étaient retirés sans combat... On a tondu en l'absence de toute directive centrale et de plan concerté, mais avec une régularité et un acharnement qui, rétrospectivement, choquent et stupéfient. Qu'au fil du temps la violence des images des tondues n'ait cessé de hanter les Français suffit d'ailleurs à signifier l'importance du phénomène.

Les tontes commencent, dans les régions libérées, dès les premiers jours qui suivent le débarquement allié en Normandie, et se poursuivent au fil des combats jusqu'à la fin de l'hiver 1944-1945. Elles connaissent un regain au lendemain de la capitulation de l'Allemagne, avec quelques prolongements jusqu'à la fin de l'année 1945. Elles entremêlent le temps long des rites de persécution à celui de l'extrême actualité, voire du fait divers ; leur interprétation relève de l'histoire du temps présent, bien sûr, mais aussi de l'ethnographie et de la psychanalyse.

La tonte des femmes est sans nul doute un rite de passage (de l'état de guerre à l'état de paix, de l'Occupation à la Libération, de la condition de vaincu à celle de vainqueur) et de purification (du pétainisme, de la Collaboration, de l'attentisme de beaucoup de Français), via la désignation d'un bouc-émissaire : la persécution d'une prétendue coupable possédant toutes les caractéristiques d'une victime - il s'agissait généralement de femmes isolées, d'un faible niveau culturel, sans réelle conscience politique. On leur reprochait indistinctement leurs amours antipatriotiques avec un soldat allemand, leurs activités de marché noir, leurs dénonciations, leurs états de service dans un établissement réquisitionné par la Wehrmacht, leur enrôlement au service de la Gestapo, leur fréquentation des milieux collaborationnistes, la vente de leurs charmes à l'occupant, etc. Cette « justice » directe, expéditive ne se soucie pas d'établir des crimes ou des délits ni de les sanctionner selon leur gravité, mais de produire un spectacle vindicatif et libérateur, où la tondue joue le rôle de l'ennemi vaincu.

Partout, les tontes se présentent comme une fête sauvage, une cérémonie, un carnaval ou un charivari destinés à canaliser et purger les passions populaires, à conjurer le spectre de la guerre civile franco-française et à hâter le rétablissement de l'ordre légitime. Aussi trouve-t-on dans la plupart des cas des éléments de « scénographie » qui les situent au carrefour des frairies populaires et des grandes scènes de persécution d'antan : cortèges bruyants traversant ville ou village, travestissement de la tondue dont le front s'orne de croix gammées, inscriptions vengeresses inscrites au goudron ou à la peinture sur différentes parties du corps des « pécheresses » (« a fait fusiller son mari », « a couché avec les Boches », « collabo »...), exécution de la « sentence » sur une estrade située devant un bâtiment public, mélange inextricable de rires et de violence.

Mais, encore une fois, au-delà de cette forme générale, le tableau des tontes présente une infinie diversité. Ici, la tonte est encadrée par le maquis descendu des montagnes, dans le but de réduire les tensions, voire d'édifier la population : les prostituées, victimes idéales, se prêtent de bonne ou de mauvaise grâce à la « cérémonie », puis l'on passe à l'ordre du jour - le rétablissement de l'ordre républicain. Là, la foule des résistants de la vingt-cinquième heure et des héros improvisés s'empare d'une « boniche » que leur désigne la rumeur publique, la tond, la violente, la tue parfois...

Malgré ces variantes, il demeure que, dès l'après-guerre, la femme tondue est apparue comme la victime de la lâcheté des hommes. Le roman (par exemple, pour la littérature populaire, Les Combattants du petit bonheur d'Alphonse Boudard, Le Diable en rit encore de Régine Deforges, Allemande de François Nourissier), notamment, a beaucoup contribué à imposer cette image : la tondue devenait la victime de la populace, de ses défoulements incontrôlés. Les violences sexistes de la Libération, dès lors, passaient sur le compte du « on » indéterminé de la mauvaise foule. Or, une approche systématique et raisonnée du phénomène, fondée sur l'examen des sources disponibles, tend à modifier sensiblement ce tableau : autant que de spontanéité désordonnée, il y a, dans les tontes, de l'organisation, de l'ordre, c'est-à-dire souvent des décisions locales imputables aux autorités provisoires du moment, des mises en scène conçues par elles avec plus ou moins de soin. Libérateurs, gendarmes, nouvelles autorités ont été, plus souvent qu'à leur tour, saisis par l'objectif du photographe sur le lieu de la tonte, dans le feu de l'action. Toute la difficulté, bien sûr, est de comprendre ces noces incongrues de la fête sauvage et du souci de l'ordre...

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