L'ASSASSINAT

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1962

Onze quatrains (dont les deux derniers vers sont à chaque fois bissés) et pas de refrain pour une transposition au "village" d'un de ces "beaux assassinats" qui ensanglantaient plutôt les villes et qui, tout en faisant les gros titres de la presse populaire, inspirèrent les chanteurs des rues pendant tout le XIXè siècle et jusqu'à l'entre-deux-guerres. Fidèle à l'esprit de ces complaintes, Brassens adopte un rythme lent et termine sur un repentir bien évangélique, qui n'est pas sans annoncer la morale des Quatre bacheliers.

COMPLAINTE DE FUALDÈS
(paroles de Pierre-Antoine Berryer, Marc-Antoine Desaugiers et Catalan ; 1818)

Écoutez, peuples de France,
Du royaume de Chili,
Peuples de Russie aussi,
Du cap de Bonne Espérance,
Le mémorable accident
D'un crime très conséquent.

Capitale du Rouergue,
Vieille ville de Rhodez,
Tu vis de sanglants forfaits
À quatre pas de L'Ambergue,
Faits par des cœurs aussi durs
Comme tes antiques murs.

De très honnête lignée
Vincent Bastide et Jausion,
Pour la malédiction
De cette ville indignée ;
Car de Rodez les habitants
Ont presque tous des sentiments.

Bastide le gigantesque,
Moins deux pouces ayant six pieds,
Fut un scélérat fieffé
Et même sans politesse,
Et Jausion l'insidieux
Sanguinaire, avaricieux.

Ils méditent la ruine
D'un magistral très prudent,
Leur ami, leur confident ;
Mais ne pensant pas le crime,
II ne se méfiait pas
Qu'on complotait son trépas.

Hélas ! Par un sort étrange,
Pouvant vivre honnêtement,
Ayant femmes et enfants,
Jausion, l'agent de change,
Pour acquitter ses effets,
Résolut ce grand forfait.

Bastide le formidable,
Le dix-neuf mars, à Rodez,
Chez le vieillard Fualdès
Entre avec un air aimable,
Dit : "Je dois à mon ami,
Je fais son compte aujourd'hui."

Ces deux beaux frères perfides
Prennent des associés ;
Bach et le porteur Bousquier,
Et Missonnier l'imbécile,
Et Colard est, pour certain,
Un ancien soldat du train.

Lors le couple farouche
Saisit Fualdès au Terral ;
Avec un mouchoir fatal
On lui tamponne la bouche ;
On remplit son nez de son
Pour intercepter le son.

Dans cet infâme repaire
Ils le poussent malgré lui,
Lui déchirant son habit,
Jetant son chapeau par terre
Et des vielleurs insolents
Assourdissent les passans.

Sur la table de cuisine
Ils l’étendent aussitôt ;
Jausion prend son couteau
Pour égorger la victime ;
Mais Fualdès, d'un coup de temps,
S'y soustrait adroitement.

Sitôt Bastide l'Hercule
Le relève à bras tendus,
De Jausion éperdu,
Prenant le fer homicide,
"Est-ce là comme on s'y prend ?
Vas, tu n'es qu'un innocent."

"Puisque sans raison plausible,
Vous me tuez, mes amis,
De mourir en étourdi,
Cela ne m'est pas possible.
Ah ! Laissez-moi dans ce lieu
Faire ma paix avec Dieu."

Ce géant épouvantable
Lui répond grossièrement :
"Tu pourras dans un instant
Faire paix avec le Diable."
Ensuite d'un large coup
II lui traverse le cou.

Voila le sang qui s'épanche,
Mais la Bancale aux aguets,
Le reçoit dans un baquet,
Disant : "En place d'eau blanche,
Y mettant un peu de son,
Ca sera pour mon cochon."

Fualdès meurt, et Jausion fouille.
Prenant le passe-partout,
Dit : "Bastide, ramasse tout ?"
II empoigne la grenouille,
Bague, clef, argent comptant,
Montant bien a dix-sept francs.

Alors chacun à la hâte,
Colard, Benoît, Missonnier,
Et Bach, le contrebandier,
Mettant la main à la pâte,
Le malheureux maltraité
Se trouve être empaqueté.

Certain bruit frappe l'ouie
De Bastide furieux,
Un homme s'offre à ses yeux,
Qui dit : "Sauvez-moi la vie,
Car, sous ce déguisement,
Je suis Clarisse Enjalran.''

Lors d'une main téméraire,
Ce monstre licencieux
Veut s'assurer de son mieux
À quel homme il a affaire,
Et trouvant le fait constant,
Teint son pantalon de sang.

Sans égard et sans scrupule
II a levé le couteau,
Jausion lui dit : "Nigaud,
Quelle action ridicule !
Un cadavre est onéreux,
Que feras-tu donc de deux ?"

On traîne l'infortunée
Sur le corps tout palpitant ;
On lui fait prêter serment.
Sitôt qu'elle est engagée,
Jausion officieux
La fait sortir de ces lieux.

Quand ils sont dedans la rue,
Jausion lui dit d'un air fier :
"Par le poison ou le fer,
Si tu causes, t'es perdue !"
Manson rend du fond du cœur
Grâce a son tendre sauveur.

Bousquier dit avec franchise,
En contemplant cette horreur :
"Je ne serai pas porteur
De pareille marchandise.
Comment, mon cher ami Bach,
Est-ce donc là ton tabac ?"

Mais Bousquier faisant la mine
De sortir de ce logis,
Bastide prend son fusil,
L'applique sur la poitrine
De Bousquier, disant : "Butor,
Si tu bouges, tu es mort."

Bastide, ivre de carnage,
Donne l'ordre du départ,
En avant voila qu'il part,
Jausion doit fermer la marche,
Et les autres du brancard
Saisissent chacun un quart.

Alors de l'affreux repaire
Sort le cortège sanglant ;
Colard et Bancale devant,
Bousquier, Bach portaient derrière ;
Missonnier, ne portant rien,
S'en va la canne à la main.

En allant à la rivière,
Jausion tombe d'effroi.
Bastide lui dit : "Eh quoi !
Que crains-tu ?" Le cher beau-frère
Lui répond : "Je n'ai pas peur,"
Mais tremblait comme un voleur.

Enfin l'on arrive au terme.
Le corps désempaqueté
Dans l'Aveyron est jeté ;
Bastide alors, d'un air ferme,
S'éloigne avec Jausion :
Chacun tourne les talons.

Par les lois de la physique,
Le corps du pauvre innocent,
Se trouvant privé de sang,
Par un miracle authentique,
Surnage, aux regards surpris,
Pour la gloire de Thémis.

L'on s'enquiert et on s'informe.
Les assises d'Aveyron
Prennent condamnation
Par un arrêt bien en forme,
Qui, pour quelque omission,
A subi cassation.

En vertu d'une ordonnance
La cour d'assises d'Albi
De ce forfait inouï
En doit prendre connaissance ;
Les fers aux mains et aux pieds,
Ces monstres sont transférés.

Le chef de gendarmerie
Et le maire de Rodez
Ont inventé, tout exprès,
Une cage bien garnie,
Qui les expose aux regards,
Comme tigres et léopards.

La procédure commence ;
Bastide le Rodomont,
Au témoin qui le confond,
Parle avec impertinence,
Quoique entouré de recors,
II fait le drôle de corps.

Tous adoptent le système
De la dénégation ;
Mais cette œuvre du démon
Se renverse d'elle-même ;
Et leurs contradictions
Servent d'explications.

Pressés par leur conscience,
Bach et la Bancale, tous deux
Font des aveux précieux ;
Malgré cette circonstance,
Les beaux-frères accusés
N'en sont pas déconcertés.

"Qui vous a sauvé, Clarisse ?"
Dit l'aimable président ;
II vous faut, en ce moment,
Le nommer à la justice :
"Est-ce Veynac ou Jausion?
- Je ne dis ni oui ni non."

Clarisse voit l'air farouche
Que sur elle on a porté ;
"Non, l’auguste vérité
Ne peut sortir de ma bouche,
Je ne fus point chez Bancale
Mais quoi ! Je me trouve mal."

On prodigue l’eau des Carmes ;
Clarisse aussitôt revient ;
À Bastide qui soutient
Ne connaître cette dame,
Elle dit : " Monstre enragé,
Tu as voulu m’égorger !"

Si l'on en croit l'éloquence
De chacun des avocats,
De tous ces vils scélérats
Manifeste est l'innocence ;
Mais malgré tous leurs rébus,
Ce sont des propos perdus.

De Clarisse l'innocence
Paraît alors dans son jour ;
Elle prononce un discours
Qui commande le silence,
Et n'aurait pas plus d'éclat
Quand ce serait son état.

"Dans cet asile du crime,
Imprudente et voilà tout,
Pleurs, débats, j’entendis tout,
Derniers cris de la victime :
Me trouvant là par hasard,
Et pour un moment d'écart."

À la fin tout débat cesse
Par la condamnation
De Bastide et de Jausion ;
Colard, Bach et la tigresse,
Par un légitime sort,
Subissent l’arrêt de mort.

De la clémence royale,
Pour ses révélations,
Bach est l'objet. Pour raisons
On conserve la Bancale ;
Jausion, Bastide et Colard
Doivent périr sans retard.

À trois heures et demie,
Le troisième jour de juin,
Cette bande d'assassins
De la prison est sortie ;
Pour subir leur châtiment,
Aux termes du jugement.

Bastide vêtu de même,
Et Colard comme aux débats,
Jausion ne l'était pas,
À sa famille qu'il aime,
Envoie une paire de bas
En signe de son trépas.

Malgré la sainte assistance
De leurs dignes confesseurs,
Ces scélérats imposteurs
Restent dans l'impénitence,
Et montent sur l'échafaud
Sans avouer leurs défauts.

"Épouse sensible et chère,
Qui, par mon ordre inhumain,
M'as si bien prêté la main
Pour forcer le secrétaire,
Élève nos chers enfants
Dans tes nobles sentiments."

NDLR : La complainte de Fualdès se chante sur L'Air du Maréchal de Saxe.

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