LA FEMME D'HECTOR
Paroles | Georges Brassens | |
Musique | Georges Brassens | |
Interprète | Georges Brassens | |
Année | 1958 |
La femme idéale selon Brassens : une bonne à tout faire.
LE XIXè SIÈCLE ÉTAIT-IL MISOGYNE ?
(L'Histoire n°160 ; Michelle Perrot ; novembre 1992)
Mauvaise ménagère, dépensière, sotte, perverse : la femme du XIXe siècle est bien, le plus souvent, perçue par les hommes selon les canons de la misogynie traditionnelle. Mais cette époque s'en prend aussi, et de façon plus féroce encore, aux femmes bachelières, artistes, médecins... C'est que l'émancipation se dessine. Et que prend forme, en contrepoint, l'antiféminisme.
Misogyne, le XIXè siècle ? A première vue, comment qualifier autrement un siècle placé sous le signe du Code civil, expression juridique du pouvoir patriarcal, qui s'ouvre par un Projet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes, de Sylvain Maréchal, et qui se clôt sur La Femme criminelle et la prostitution, de Cesare Lombroso et Enrico Ferri (1) ?
Dans le premier texte, Sylvain Maréchal, révolutionnaire d'extrême gauche, disciple de Rousseau et de Babeuf, démontre en cent treize « considérants » et quatre-vingts articles les raisons qui fondent la vocation exclusivement domestique des femmes : « Les femmes qui se targuent de savoir lire et de bien écrire ne sont pas celles qui savent aimer le mieux » (considérant 13). « L'intention de la bonne et sage nature a été que les femmes, exclusivement occupées des soins domestiques, s'honoreraient de tenir dans leurs mains, non pas un livre ou une plume, mais bien une quenouille ou un fuseau » (considérant 5). « Une femme poète est une petite monstruosité morale et littéraire ; de même qu'une femme souverain est une monstruosité politique. » Il n'était pas nécessaire à Jeanne d'Arc de savoir lire pour sauver la France. En revanche, si « Catherine de Médicis n'avait point su lire, il n'y aurait point eu en France de journée de la Saint-Barthélemy » (considérant 18).
Dans le second ouvrage, Cesare Lombroso, le grand criminologue italien, entend établir les motifs de la moindre criminalité féminine, ce qui nous vaut une série d'aphorismes sur la différence des sexes : « L'homme, en somme, est persévérant, la femme, patiente ; mais sa patience ressemble plus à celle du chameau qu'à celle de l'Homme de génie » (p.186). « La femme sent moins, de même qu'elle pense moins » (p. 63). « Les femmes sont bonnes à tout et à rien ; mais elles ne portent que rarement dans une branche l'empreinte de leur propre originalité » (p. 167). Car, pour des raisons liées à l'évolution, « la femme est restée en arrière dans le développement intellectuel » (p. 187). Etc.
Deux morceaux d'une épaisse anthologie, deux titres d'une immense bibliothèque. Car, tout au long du siècle, s'affirme un discours dépréciatif de ce que sont les femmes, du danger qu'elles représentent et par conséquent des limites à leur imposer. La misogynie s'exprime de cent manières : le traité scientifique et la sentence proverbiale ; le vaudeville et la caricature (Daumier excelle à ridiculiser bas-bleus, vésuviennes et féministes) ; la chanson et le roman ; le propos sérieux et la galéjade de collégien ; le sermon de clerc ou les vantardises de l'homme en goguette. Les personnes et les groupes les plus divers y participent.
Dans ce chœur, on entend aussi bien les bourgeois vieillissants et ventripotents des sociétés chantantes que les dandys épris d'amitiés masculines ou les artistes qu'écœure la fadeur douceâtre du foyer. Les premiers se réunissent pour manger, boire et chanter, dénigrer les femmes - que l'on aime toujours moins que sa pipe, son chien ou ses bœufs, mais dont on convoite le corps, dépecé dans des couplets grivois qui font la joie du dessert. Parmi les classiques, L'Examen de Mademoiselle Flora, de Louis Protat (publié en 1846), met en scène une « nouvelle » à laquelle la patronne d'un bordel apprend le métier jusque dans les moindres détails, selon une progression scabreuse propre à réveiller toutes les impuissances (2). La tradition gauloise et libertine cimente ces sociabilités mâles, telles les chambrées de soldats, d'ouvriers ou de collégiens, qui confortent leur virilité en célébrant la conquête, la chasse et le viol des filles, voire des petites filles.
Le dandysme fait du mépris de la femme « naturelle, c'est-à-dire abominable » selon Baudelaire, un de ses ressorts. « Comme Napoléon, j'ai toujours eu un grand mépris des femmes, confie Lord Byron. Les Turcs et les peuples d'Orient entendent ces choses-là mieux que nous. Ils les enferment et n'en sont que plus heureux. Donnez à une femme un miroir et des bonbons, elle sera satisfaite » (3). Le dandy prend soin de se démarquer en tout du féminin : dans sa mise, sobre et sombre, son langage, ses habitudes nocturnes, ses mœurs (très libres), son cynisme cinglant, sa haine de la famille, son dégoût du « laitage et des larmes » (Flaubert), sa prédilection pour les amitiés (et les amours) masculines, son choix de l'art comme valeur suprême et règle d'existence : l'art, ce monde divin inaccessible aux femmes. « Femmes , qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? [...] est le cri de la Pensée Pure, la protection du cerveau contre la matrice », s'exclame Flaubert (4), paraphrasant les paroles du Christ à sa mère.
La misogynie traverse tous les milieux : bourgeois et populaire, intellectuel et boulevardier. Les philosophes, pourtant acharnés a penser la différence des sexes, n'y échappent pas plus que les gens du commun - qu'ils sont aussi. Kant, Schopenhauer ou Nietzsche parlent le langage ordinaire. Proudhon, dont la réflexion est plus poussée qu'on le croit, opte pour la différence radicale qui rejette la femme du côté du règne animal, ce qui autorise tous les abus de langage et de pouvoir : « Bien loin d'applaudir à ce qu'on appelle aujourd'hui émancipation de la femme, inclinerais-je bien plutôt, s'il fallait en venir à cette extrémité, à mettre la femme en réclusion. » (5)
Car il faut que l'ordre règne dans la cité et à la maison. Charbonnier doit être maître chez lui. Les prolétaires l'entendent bien de cette oreille. Ils ont hérité du monde rural le droit de battre femme et enfants, et ne s'en privent point. Bien niais celui qui ne régente pas son ménage. Honte au cocu ! Il peut se venger, y compris par le meurtre. Pour ces crimes passionnels, dont les femmes sont massivement victimes, les jurés ont la plus extrême indulgence (6).
La classe ouvrière construit son identité sur l'idée de virilité, dans ses pratiques (la grève et le syndicalisme se veulent gestes et actes d'hommes) comme dans ses symboles. Une virilité incarnée par le travailleur de force, torse nu, pectoraux et biceps gonflés, reléguant les femmes dans les figurations allégoriques de la grève générale, sœurs de Marianne. Bourgeois et ouvriers compensent par le foisonnement des images symboliques l'absence des femmes réelles dans la vie publique.
Ce sempiternel mépris des femmes, cette volonté de les contrôler et de les contenir révèlent la peur que les hommes éprouvent devant ce sexe nocturne, incompréhensible, insatiable, sournois, rusé, ce maléfique pouvoir de l'ombre. Telle Dalila profitant du sommeil de Samson pour lui couper cette chevelure qui faisait sa force virile, la femme toujours menace l'homme et introduit le désordre dans le monde. La misogynie du XIXè siècle se nourrit de ces vieilles croyances quasi immanentes. Mais, à y regarder de plus près, elle se renouvelle profondément dans ses sources, son discours et ses formes. Et elle change dans ses arguments comme dans ses procédures.
Dans ses sources d'abord : la peur accrue de l'émancipation des femmes, leur prétention à sortir de leurs rôles traditionnels, leur folle, leur stupéfiante ambition d'accéder aux savoirs et, plus encore, aux pouvoirs des hommes, y compris le pouvoir politique au moment même où il se redéfinit, où l'on redistribue les cartes. Les femmes des Lumières, par leur activité épistolière et salonnière, leur collaboration à la vie intellectuelle et scientifique aux côtés des philosophes les plus éminents, tout comme leur empressement à demander le divorce (légal entre 1792 et 1816) ont beaucoup inquiété les conservateurs. La participation des « citoyennes » à la Révolution, dans la rue, les tribunes de l'Assemblée, les clubs, les fêtes parfois subversives, a suscité la crainte des montagnards qui, en bons disciples de Rousseau, n'ont pas manqué de leur rappeler leurs devoirs et leurs bornes : la politique n'est pas pour elles.
De manière générale, la prise de conscience de la puissance des mœurs (souvent plus fortes que la loi), du rôle du privé, du quotidien, de l'éducation des jeunes enfants, tout cela a revalorisé le rôle des femmes. Elles sont devenues à la fois plus nécessaires et plus redoutables. Selon Louis-Aimé Martin, les femmes, surtout les mères, « tiennent les destinées du genre humain » (7).
« Les mères, écrira plus tard André Breton : on retrouve l'effroi de Faust, on est saisi comme lui d'une commotion électrique au seul bruit de ces syllabes dans lesquelles se cachent les puissantes déesses qui échappent au temps et au lieu. » Comme si les hommes étaient effrayés par cette emprise féminine domestique qu'ils ont eux-mêmes contribué à créer. « Les femmes : quelle puissance ! », dit encore Michelet, qui fait du rapport entre les sexes un des moteurs de l'histoire.
Que faire, donc, pour endiguer l'influence montante et enveloppante des femmes ? Célébrer la Femme. Comment ? Par la religion, qui l'encense (le culte de la Vierge Marie atteint alors des sommets), la littérature qui l'exalte ; par l'art, qui confisque son image pour les besoins de la représentation ou les plaisirs de la possession (8). « La femme est une esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône », dit cyniquement Balzac.
Mais il convient aussi de limiter les pouvoirs des femmes, tout en utilisant l'immense potentiel qu'elles représentent - pas seulement dans le domaine domestique, mais de plus en plus dans le domaine social -, par la philanthropie, prélude au travail social. D'où tout un arsenal juridique, dont le Code civil est la pierre angulaire pratiquement inébranlée jusqu'à nos jours, un système éducatif, une organisation rationnelle de la société, dont la théorie des « sphères » d'influence est une des formes les plus élaborées : aux hommes, le public, et par-dessus tout le politique ; aux femmes, le privé (sous contrôle ultime du mari et du père), principalement le domestique, la gestion de la maison, de la vie quotidienne du ménage et les soins des enfants.
« Chaque sexe a son rôle, dit Sylvain Maréchal. Celui de l'homme étant d'instruire et de protéger, suppose une organisation forte dans toutes ses parties. Le rôle de la femme doit être moins prononcé. Douceur et sensibilité en sont les principaux caractères. La société civile, dans la distribution de ses rôles, n'en a donné qu'un passif aux femmes. Leur empire a pour limites le seuil de la maison paternelle ou maritale. C'est là qu'elles règnent véritablement. C'est là que, par leurs soins journaliers, elles dédommagent les hommes des travaux et des peines qu'ils endurent hors de leurs foyers. » Et notre auteur prend bien soin d'affirmer que les deux sexes sont « parfaitement égaux » dans cette complémentarité.
Car il est devenu difficile de justifier l'exclusion des femmes par leur infériorité. L'argumentation se fait plus subtile : elle insiste sur les dispositions du droit, nécessaires à l'ordre familial et social, sur les « incapacités » des femmes qui les écartent de l'exercice du pouvoir ou de la création. Biologistes et médecins - les experts du siècle - viennent au secours des philosophes embarrassés. Le corps des femmes - leurs indispositions, maladies, maternités, dérangements ; leur utérus, clef de l'hystérie ; leur cerveau, siège des affections nerveuses (il est léger et moins « frisé ») (9) les voue a l'ombre quiète du foyer et exige indulgence (pénale notamment : la femme est quasi irresponsable) et protection. Le paternalisme trouve là son principal appui.
L'histoire, naturelle (celle des espèces) et sociale - l'anthropologie du Suisse Bachofen et de l'Américain Morgan -, démontre aussi comment l'exclusion des femmes est le fruit d'une évolution que Darwin croit irréversible. La subordination du sexe féminin n'est pas création originelle de Dieu, mais produit de la lutte pour la vie, source du progrès. Ainsi se voit justifié, conforté par la Science, un ordre du monde soumis au pouvoir patriarcal, qui est celui de la Raison : incontestable, donc plus implacable.
Ainsi, la misogynie traditionnelle s'est muée en un antiféminisme conscient des enjeux, sourcilleux quant aux revendications des femmes, vigilant sur leurs avancées. La louange dithyrambique des femmes qui se conforment à leurs rôles - l'ange du foyer, l'épouse, la mère, la muse, etc. - s'accompagne de sarcasmes cinglants envers celles qui y contreviennent.
Principales cibles : la mauvaise ménagère, qui se gave de romans ; la femme frivole, légère, dépensière ; celle qui prétend sortir, voyager, faire du sport, fréquenter des lieux interdits ; celles qui entendent faire des études (la première bachelière, Julie Daubié, fit scandale en 1861) (10) et exercer une profession, un vrai métier ; par-dessus tout, celles qui osent créer. Contre les femmes peintres (elles « envahissent » les Salons, dit Baudelaire, navré), plus encore contre les femmes auteurs (11), les bas-bleus, les Cervelines (12), les passions se déchaînent. Celles qui réussissent sont des hommes manqués. Edmond de Goncourt écrit en 1893 dans son Journal : « Si on avait fait l'autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand, Mme Viardot (13), etc, on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l'homme, des clitoris un peu parents de nos verges. »
Mais les plus honnies sont les « femmes publiques » (à l'origine, le terme signifie prostituées, ce qui en dit long sur l'opprobre qui s'attache à celles qui sortent du privé) ; celles qui interviennent dans ce domaine réservé et y revendiquent un quelconque pouvoir. Les oratrices de clubs ou de meetings déclenchent un rire homicide. On raille leur voix grêle, aiguë, tremblante, enrouée, inaudible, désagréable : « Ne permettez point à une femme de parler en public, dit Sylvain Maréchal citant Pythagore, une femme en public est toujours déplacée. »
Les manifestations, devenues au XIXè siècle une forme majeure d'expression démocratique, excluent les femmes ou ne les incorporent que de manière sélective et fonctionnelle. Les débordements d'une foule sont souvent attribués à la présence de ces viragos, mégères vociférantes, nécessairement laides car le mouvement détruit la douce harmonie de la féminité. « Les révolutionnaires sont laides à faire peur », dit un de leurs camarades. La laideur, voilà bien le châtiment suprême. Militantes et féministes perdent séduction et attrait. La solitude guette ces vieilles filles en puissance ou ces lesbiennes à la sexualité déviante.
La revendication par les femmes du droit de vote paraît une prétention inouïe. Pour Sylvain Maréchal encore, « le premier des deux sexes, représentant naturel de l'autre, discute et stipule pour les deux ensemble. La voix d'une femme parmi les législateurs ferait nécessairement cacophonie. Qu'elles aillent plutôt au marché ! ». La politique est l'apanage des hommes qui, seuls, ont les capacités de gouverner la cité.
La Révolution française reconnaît la femme civile, notamment la fille majeure, mais non la citoyenne. Geneviève Fraisse a montré comment la démocratie qui se construit alors en exclut les femmes (14). Condorcet est bien seul à demander leur « admission au droit de Cité » (1791), comme le sera plus tard Stuart Mill. Les républicains ne voient là aucune urgence, pas plus que les socialistes ou les radicaux, qui feignent de redouter le pouvoir de l'Eglise.
A LA CONQUÊTE DE L'ÉGALITÉ CIVILE ET POLITIQUE
D'ailleurs, la majorité des femmes ont entériné leur exclusion en se désintéressant des affaires publiques et de la politique, voire en les dévalorisant. Contre Eugénie Niboyet, Jeanne Deroin, Désirée Gay, ardentes féministes de 1848, George Sand fait de la conquête de l'égalité civile le préalable absolu à l'égalité politique : fait-on voter les esclaves ? Pourtant, les esprits évoluent. Avec Hubertine Auclert, Madeleine Pelletier et quelques autres, se développe un suffragisme français, modéré dans ses formes, efficace dans ses effets. En 1914, un projet de loi accordant aux femmes le droit de vote obtient la majorité à la Chambre des députés, mais il est bloqué au Sénat, antre du conservatisme dans tous les domaines, et enterré par la guerre, qui consolide, plus qu'elle ne bouleverse, les rôles sexuels.
Décidément, en ce début de siècle, une avancée des femmes se manifeste dans tous les domaines : économique, juridique (par la loi de 1907, les femmes mariées peuvent enfin disposer librement de leur salaire), culturel, professionnel surtout. Le féminisme, divers dans ses courants, ses contenus, est alors assez puissant pour constituer presque un mouvement social de dimension internationale dont les associations et les congrès sollicitent l'opinion (15). Il provoque une violente crise d'identité sexuelle, qui touche d'ailleurs les deux sexes, et qui se traduit par une vague de misogynie des plus classiques - ô les ricanements de la Belle Époque contre les femmes cyclistes, téléphonistes, bachelières ou médecins ! - et d'antiféminisme raisonné.
Annelise Maugue a montré les aspects littéraires de cet antiféminisme (16). Ainsi Théodore Joran, « le plus farouche champion de l'antiféminisme », multiplie les pamphlets à succès, dont l'un, Mensonge du féminisme (1905), est couronné par l'Académie française, autre gardienne du temple mâle. Ailleurs, il dénonce dans le féminisme « une conjuration sourde contre toutes ces choses traditionnelles que nous n'avons pas cessé de respecter : le mariage, la famille, la société, la religion » (Au cœur du féminisme, 1908). Voilà qui est clair.
Pour ce chantre de l'antiféminisme, le féminisme est en outre juif et lesbien : « Le féminisme est, en France, une opinion, ou une attitude, d'avocates - juives pour la plupart -, de doctoresses, de bas-bleus, d'intellectuelles qui, au fond, sont humiliées d'être femmes » (Le Suffrage des femmes, 1914). D'ailleurs, « le féminisme, qui était au début la monomanie de l'égalité, est devenu l'apologie de l'instinct bestial. Il exhale une odeur équivoque de luxure. L'une de nos plus éhontées féministes, une certaine Renée Vivien, ne s'est-elle pas faite [...] la prêtresse des "amours lesbiennes" ? Cette Sapho mêle sans cesse à son "lyrisme" des déclarations féministes » (Au cœur du féminisme).
Des études récentes ont mis en lumière l'anxiété qui tisse l'Art nouveau, où les figures de la femme pieuvre, liane enveloppante, glauque méduse, tentent de conjurer la Femme fatale, dont les artistes cherchent à emprisonner le corps dans les volutes du Modern Style (17). Avec Otto Weininger (Sexe et Caractères, 1903), la philosophie entreprend de penser autrement la différence des sexes, grand thème de discussion dans le monde germanique. En dissociant sexe biologique et sexe culturel, Weininger ébauche la notion moderne de « genre », construction symbolique qui ferait fi des assignations du corps. Mais, dans son système, le féminin est toujours le principe de l'infériorité. Et la psychanalyse (qu'on se gardera bien de taxer de misogynie) définit originellement la féminité par le manque...
Misogyne, donc, le XIXè siècle ? Sans doute, parce que la « question des femmes » se pose avec une acuité qui entraîne des réactions de surprise, de défense et de rejet. Mais cette misogynie n'est pas la banale reproduction du sempiternel mépris des femmes. Renouvelée dans son expression, travaillée par l'esquisse de nouveaux rapports entre les sexes, elle dit, à sa manière, la modernité.
(1) Sylvain Maréchal, Projet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes, Paris, Massé, an IX, 1801. C'est à cette édition originale que nous nous référerons. Cesare Lombroso et Enrico Ferri, La Femme criminelle et la prostitution, trad. fr., Paris, Alcan, 1896.
(2) Cf. Marie-Véronique Gauthier, Chanson, sociabilité et grivoiserie au XIXè siècle, Paris, Aubier, 1992.
(3) Cf. Roger Kempf, Dandies, Paris, Le Seuil, 1977 ; Marylène Delbourg-Delphis, Masculin singulier. Le dandysme et son histoire, Paris, Hachette, 1985.
(4) Cf. La Femme au XIXè siècle, textes présentés par Nicole Priollaud, Paris, Liana Lévi/Sylvie Messinger, 1983.
(5) Cf. Geneviève Fraisse, Histoire des femmes en Occident, t. IV, Le XIXè siècle, Paris, Pion, 1991.
(6) Cf. Joëlle Guillais-Maury, La Chair de l'Autre. Le crime passionnel au XIXè siècle, Paris, Olivier Orban, 1986.
(7) L. A. Martin, De l'éducation des mères de famille. De la civilisation du genre humain par les femmes, Paris, Gosselin, 1834.
(8) Cf. Stéphane Michaud, Muse et Madone. Visages de la femme, de la Révolution française aux apparitions de Lourdes, Paris, Le Seuil, 1985, et t. IV de l'Histoire des femmes en Occident, « Idolâtries ».
(9) Cf. Stephen Jay Gould, La Mal-mesure de l'homme, Paris, Ramsay, 1982.
(10) Un colloque sur Julie Daubié se tiendra à l'université de Lyon-II, le 18 novembre 1992. Renseignements au Centre Pierre Léon, 14 avenue Berthelot, 69007 Lyon.
(11) Cf. Christine Planté, La Petite Sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Paris, Le Seuil, 1989.
(12) C'est le titre d'un roman publié en 1907 et couronné par le prix Fémina. L'auteur, Colette Yver, catholique, pensait que, pour une femme, la carrière est incompatible avec le bonheur.
(13) La cantatrice Pauline Viardot-Garcia (1821-1910) fut, comme sa sœur, Maria Malibran, l'une des artistes lyriques les plus célèbres de son temps.
(14) Geneviève Fraisse, Muse de la raison. La démocratie exclusive et la différence des sexes, Aix-en-Provence, Alinéa, 1989.
(15) Cf. Florence Rochefort et Laurence Klejman, L'Égalité en marche. Le féminisme en France sous la Troisième République, Paris, Fondation nationale des Sciences politiques/Des Femmes, 1989 ; Charles Sowerwine et Claude Maignien, Madeleine Pelletier, une féministe dans l'arène politique, Paris. Éd. Ouvrières, 1992.
(16) Annelise Maugue, L'Identité masculine en crise au tournant du siècle, Paris-Marseille, Rivages, 1987, et t. IV de l'Histoire des femmes.
(17) Cf. Bram Dijkstra, Les Idoles de la perversité. Figures de la femme fatale dans la culture fin de siècle, trad., Paris, Le Seuil, 1992.