GRAND-PÈRE

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1957

Le second volet, après Oncle Archibald, du diptyque consacré à la mort sur le cinquième 33 tours de Brassens relate les efforts d'une famille pauvre pour enterrer dignement le grand-père. Brassens y recourt volontiers à l'humour noir ("L'avait donné de son vivant / Tant de bonheur à ses enfants / Qu'on fit, pour lui en savoir gré, / Tout pour l'enterrer), mêle allégrement la langue la plus populaire ("une fesse qui dit merde à l'autre") et la plus élaborée ("Et l'on courut à toutes jam- / Bes quérir une bière [puis "un corbillard" puis "un goupillon"]), s'amuse à détourner des expressions courantes de leur sens ("ces empêcheurs d'enterrer en rond") et emprunte pour la première fois sur le mode parodique à une œuvre littéraire : "Chez la belle Suzon, pas d'argent, pas de cuisse" renvoie au "Point d'argent, pas de Suisses" des Plaideurs de Racine.

LA MORT CHANTÉE
(Georges Brassens ; Louis-Jean Calvet ; 1991 ; Editions Lieu commun)

On a tout dit, et le contraire de tout, sur les rapports entre Brassens et la mort, entre Brassens et Dieu. L'abbé Barrès, bien sûr, est sur ce thème prolixe. Il raconte par exemple qu'au « Méridien » Georges avait pour voisin un Allemand licencié en théologie avec lequel il discutait souvent. « Et il lisait la Bible, qui était toujours sur sa table de nuit. » En fait, il y avait plutôt La Fontaine sur la table de nuit de Brassens, et l'abbé est bien le seul à se souvenir d'une Bible. Il ajoute d'ailleurs, pour conforter son propos, que L'Auvergnat est une chanson chrétienne. Ouais... ! En la matière, ne vaut-il pas mieux d'abord s'en tenir aux textes ? Bien sûr, le thème de la mort est classique, et tous les poètes, ou presque, s'y sont essayés, Brassens comme les autres. Mais il donne ici le plus souvent dans l'ironie : il a toujours rigolé de la mort, il l'a toujours traitée par-dessus la jambe. Ainsi, dès son premier disque, la fin de Corne d'Aurochs est mise en scène sur le ton de la dérision :

Il rendit comme il put son âme machinale,
Et sa vie n'ayant pas été originale,
L'Etat lui fit des funérailles nationales...
Corne d'Aurochs.
Alors sa veuve en gémissant, ô gué ! ô gué !
Coucha avec son remplaçant, ô gué ! ô gué !

Plus tard, Le Testament en 1955, Grand-père en 1957, Les Funérailles d'antan en 1960, La Ballade des cimetières en 1962 poursuivront sur le même ton moqueur, et les rares exceptions que sont Bonhomme ou Le Vieux Léon, dans lesquelles domine l'émotion, ne changent rien à cette évidence : le Brassens de la quarantaine fait volontiers un pied de nez à la camarde, ce qui est une façon comme une autre d'en nier l'existence, ou de la minimiser.

Mais celle-ci va bientôt se rappeler à son souvenir. Le 31 décembre 1962, dans la nuit, la mère meurt. Georges est à Marseille, il passe pour quelques jours à l'Alhambra. Aller et retour en voiture, pour les obsèques. Il est pâle. Le chagrin bien sûr, auquel s'ajoutent de terribles coliques néphrétiques qui le taraudent depuis des jours, depuis l'Olympia au début du mois. A la messe, célébrée bien sûr par l'abbé Barrès, il retrouve les parents, les amis, et son père, le vieux Louis. Les vrais enterrements viennent de commencer et sa chanson, Les Quat'z'Arts, ne va pas tarder : elle sera enregistrée en 1965, l'année où mourra le père :

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
J'étais le plus proch' parent du défunt. Bravo !

Sur la pochette du disque, René Fallet commente :

« La mort, tant de fois bafouée par Brassens, y prend sa revanche. Elle a frappé. L'humour lutte six couplets contre elle, de toutes ses forces, de tous ses mots, et puis s'éteint tragiquement, comme la pauvre chèvre de M. Seguin. »

On ne saurait mieux dire car, à partir de là, le ton va changer. Après Les Quat z'Arts en 1965, ce sera l'année suivante Supplique pour être enterré à la plage de Sète, et l'on a désormais l'impression qu'il cherche à exorciser un tabou, qu'il ne rit plus de la mort, mais rit pour faire semblant de ne pas y croire ou pour l'oublier : Le Bulletin de santé en 1966, sous ses aspects de gaudriole, dit la même obsession que Trompe la mort en 1976 :

C'est pas demain la veille, Bon Dieu !
De mes adieux.

D'ailleurs, les enterrements se multiplient ; après les parents, les amis : en 1967, René-Louis Lafforgue se tue en voiture, à trente-neuf ans ; en 1968, c'est Jeanne qui s'éteint ; en 1971, c'est au tour de Félix Vitry, le patron de Bobino... Et Georges, chaque fois, suit les enterrements. Moustaki se souvient de celui de Félix Vitry en 1971 : « Nous nous sommes retrouvés au cimetière, Brassens, Ferré et moi, tous les trois en cravate : on aurait dû nous prendre en photo... » La mort n'est désormais plus abstraite et chaque fois qu'il en parlera publiquement ce sera de façon moins féroce ou moins ironique :

« Je m'en fous de la mort, mais celle des autre me dérange bougrement. Je ne m'habitue pas aux gens qui ont fichu le camp. Et il y a eu tellement de morts dans mon monde à moi depuis quelque temps que j'ai décidé de l'ignorer, la salope. La conspiration du silence. » (Le Monde ; 5 octobre 1972)

Ce qui ne l'empêche pas de continuer à en rire : il adorait en particulier faire enrager Lino Ventura, qui détestait ce sujet, en lui parlant de leur mort à venir, ou en lui expliquant qu'il écoutait chaque matin la radio pour savoir qui était mort... Mais il s'agit toujours de la mort envisagée comme un phénomène physique, biologique, comme la fin de la vie : nulle métaphysique ici. En 1969, au cours de l'entretien de RTL avec Ferré et Brel, il déclarait d'ailleurs avec superbe : « En acceptant de vivre j'ai accepté de mourir. » (Rock & folk n°25 ; février 1969)

Reste le problème de Dieu. Ici aussi, l'abbé Barrès a une mémoire quelque peu sélective : répondant en 1981, et en présence de l'abbé Barrès justement, aux questions d'un prêtre qui prépare une émission de radio sur la mort, Brassens est en effet très clair. Après avoir affirmé qu'il est athée, qu'il croit ne pas croire, il poursuit :

« Les hommes avaient peur, ils ont eu besoin de soutien et se sont inventé des dieux, puis ils sont passés, avec les juifs, au monothéisme, à un Dieu unique. Je crois qu'on a inventé les dieux parce qu'on en avait besoin, parce qu'on avait peur, et que le christianisme a augmenté cette peur, les chrétiens ont fait une chose grave en créant une peur épouvantable, la peur du péché originel... »

Et douze ans plus tôt, dans la rencontre citée plus haut avec Brel et Ferré, il déclarait : « Ne croyant pas, il m'est difficile de parler de la religion », puis, comme on lui demandait si Dieu ne serait pas une forme de fétiche :

« Dans une certaine mesure, oui, ça pourrait bien être une sorte de fétiche. D'ailleurs, quelqu'un l'a appelé le Grand Fétiche, Dieu. Moi, j'en parle beaucoup dans mes chansons, mais uniquement pour qu'on comprenne, enfin que ceux qui y croient comprennent ce que je veux dire. »

On ne saurait être plus net. Et, dans les chansons, Dieu est traité avec plus de désinvolture encore que la mort : « Qu'il me le pardonne ou non, d'ailleurs je m'en fous » (Je suis un voyou), « Avant même que le vicaire ait pu lâcher un cri, j'lui bottais l'cul au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Grand-père), « J'voudrais avoir la foi... d'mon charbonnier qu'est heureux comme un pape et con comme un panier » (Le Mécréant) et enfin cette chanson posthume dont le titre est tout un programme, Dieu s'il existe, « Dieu s'il existe, il exagère »...

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